Il devient difficile d'être au top dans les vignes, les chais et la vente. Les vignerons se mettent à déléguer une partie de leur travail pour se recentrer là où ils sont les plus performants.
Franck Mazy, consultant viticole en Champagne, constate : « De nombreux vignerons réalisent qu'il leur est difficile de tout faire eux-mêmes. Pour ceux qui ont travaillé dans de grandes entreprises avant d'être viticulteur, la démarche de solliciter une personne extérieure est naturelle. » Pour les vignerons nés dans le métier, ce n'est pas le cas. Cependant, les mentalités évoluent.
« L'obligation d'enherber une partie du vignoble, et le développement des mesures de sécurité autour de l'utilisation des produits phytosanitaires a été un déclic , confirme Franck Mazy. Mes clients sont des vignerons qui vinifient et vendent en direct. Ils me délèguent le suivi de leurs vignes toute l'année. Je leur fais des observations et des prescriptions techniques. Mes honoraires sont remboursés par les économies d'intrants. »
Déléguer une partie de son travail n'est pas toujours plus coûteux, contrairement à ce que beaucoup pensent. « Dans certains cas, le recours à un entrepreneur de travaux est plus avantageux que le fait d'acheter seul du matériel, de l'assurer et de l'entretenir », explique un conseiller de gestion du Beaujolais.
Une étude réalisée en Gironde sur 105 exploitations le confirme. Entre 2000 et 2004, elles ont réduit de 20 % leurs frais de mécanisation, alors que les frais de prestation viticole ont augmenté de 9 % seulement. Ces exploitations ont réduit leurs coûts en confiant une partie de leurs travaux viticoles à des entreprises.
Alors que des vignerons se désengagent de la production, d'autres délèguent la vente. C'est le cas de Bernard Julien, gérant du Domaine de Bachellery, dans l'Hérault : « En 1997, j'ai recruté une collaboratrice à temps partiel, chargée de développer l'exportation. Puis en 2005, j'ai embauché un commercial à plein temps sur la France, qui a pour mission d'animer un réseau d'agents, d'approcher lui-même la grande distribution, et de monter des actions avec les cavistes et les grossistes. De mon côté, je m'occupe de la production et de l'administratif. C'est plus facile de trouver un commercial qu'un vinificateur qui élaborerait exactement le vin que je souhaite. Je connais bien mes terroirs et je préfère ne pas déléguer les assemblages. »
Comme toujours, les finances entrent en jeu dans la décision de déléguer. « J'avais pour objectif d'atteindre l'équilibre en dix-huit mois. En fait, il me faudra plus de deux ans , poursuit Bernard Julien. En 2004, la grande distribution était demandeuse de vins de domaine. C'est moins vrai maintenant. Nous allons donc nous réorienter vers l'exportation, où la rentabilité par rapport au temps passé est bien meilleure qu'en France. »
D'autres producteurs font le choix d'arrêter la vente de bouteilles. C'est une manière radicale de se concentrer sur son domaine d'excellence, celui de la vigne. « J'avais 48 ans quand j'ai décidé, un matin, d'arrêter de vendre des bouteilles », confie ce Champenois.
« J'en avais assez de partir en fourgon à 5 h du matin pour rentrer à 22 h plusieurs fois par mois, et de recevoir des clients les samedi et dimanche matins. Deux événements ont pesé dans cette décision. Un gros impayé et, surtout, le mal-être de l'un de mes enfants que je n'avais pas beaucoup vu grandir, regrette-t-il. Je me suis demandé qu'est ce qui me rend le plus heureux et la réponse a fusé : être dans les vignes. J'ai donc écoulé mon stock. Mon épouse a repris un mi-temps d'enseignante et moi, d'octobre à décembre, je retape une vieille maison. J'ai la chance de pouvoir faire ce choix, car le raisin se vend bien en Champagne. En me consacrant à la vigne, j'ai optimisé mes coûts de production de 15 % et je suis beaucoup plus respectueux de l'environnement. »