Depuis le 1er août 2008, les aides européennes accordées à la distillation des prestations viniques ont fortement baissé. Les viticulteurs n'en touchent plus du tout. Et pour les distilleries, seuls les frais de distillation sont couverts. L'Europe n'offre plus de prix garanti pour les alcools. Aux distilleries de les vendre au prix du marché !
Les régions productrices de vins blancs sont les plus pénalisées par ces changements, ces vins étant moins riches en alcool et en tartre que les rouges. En parallèle, les principaux débouchés - l'acide tartrique et l'alcool industriel – ont perdu de la valeur. Les distillateurs ont donc vu leurs revenus fortement baisser. En réaction, ils ont demandé aux vignerons de payer le transport des marcs et des lies. Seuls les Champenois ont accepté.
ALSACE : Les deux parties en appellent au Préfet
L'Alsace est la région où la situation reste la plus tendue. « Lors de l'AG de l'Ava le 28 août 2009, Grap'Sud, l'unique distillerie alsacienne, nous a annoncé qu'elle ferait payer le transport pour un montant variant entre 25 et 35 €/tonne, commente Frédéric Bach, directeur de l'Ava (Association des viticulteurs d'Alsace). Les Jeunes agriculteurs suivis des autres viticulteurs leur ont répondu qu'ils ne paieraient pas. Et le 5 octobre, Grap'Sud nous a envoyé un courrier précisant qu'ils allaient nous facturer, pour la vendange 2008, 40 €/tonne pour le traitement des marcs et 30 €/tonne pour le transport ! ».
Les négociations entre l'Ava et le distillateur n'ayant pas abouti, chaque partie a fait appel au Préfet du Haut-Rhin pour qu'il nomme un médiateur. Une réunion a eu lieu le 3 décembre.
« L'un de nos objectifs est de lever l'obligation de livrer les marcs, poursuit Frédéric Bach. Les viticulteurs bio n'ont pas cette obligation, de même que les Corses ou les Lorrains, qui ne disposent pas de distillerie proche de leur vignoble. Les Allemands et les Autrichiens épandent leurs marcs depuis longtemps. Pourquoi serions-nous obligés de livrer en payant ? »
Pour que les Alsaciens obtiennent gain de cause, il faudra une modification de la réglementation nationale.
BOURGOGNE : Un chevalier blanc vole au secours des coops
Toute la filière bourguignonne s'est unie et mobilisée pour exiger le maintien de la gratuité, avec succès. La distillerie Bourgogne alcool, qui appartient depuis à Cristal union, avait ouvert le bal lors des vendanges 2008 en envoyant un courrier à ses livreurs les informant qu'ils allaient devoir payer le transport. La distillerie Champion l'avait rapidement suivie.
La parade est venue des coopératives bourguignonnes qui ont conclu un accord de livraison gratuite avec l'union des distilleries de la Méditerranée, structure coopérative elle aussi. Craignant de perdre des volumes, les deux distilleries bourguignonnes ont accepté de maintenir la gratuité. Depuis, l'Union des distilleries de la Méditerranée a racheté Champion.
CHAMPAGNE : 22 €/t de frais de transport pour préserver un outil utile
Les distillateurs ont rencontré les représentants des viticulteurs et des négociants pour parvenir à un accord. Ils se sont accordés sur une participation moyenne au transport de 29 €/tonne pour la vendange 2008. Avec les ristournes, le prix moyen de la facture s'est élevé à 22 €/tonne.« Notre objectif était de ne pas détruire ce qui existe déjà, car nous avons besoin des distillateurs, résume Catherine Chamourin, du SGV (Syndicat général des vignerons) de la Champagne. C'est important en termes d'image et d'environnement. »
Pour 2009, « le prix devrait être significativement inférieur », annonce Georges Blanck, directeur général de Goyard (Cristal union), la principale distillerie champenoise. C'est une conséquence de la hausse du taux de prestation vinique décidé pour 2009 (voir encadré page 32).
Reste aux distillateurs à trouver rapidement de nouvelles voies de valorisation des sous-produits, de façon à pérenniser leur fonctionnement après 2013 sans augmenter la participation des vignerons. « Nous avons une véritable mission de prestation de service, estime Georges Blanck. Nous mettons à disposition des vignerons et négociants un matériel performant qui évite l'écoulement sauvage de jus. Nous nettoyons plus de 7 000 km de voirie pendant les vendanges. »
Interrogé sur la différence de traitement des vignerons champenois et bourguignons (qui ne payent pas le transport) par le groupe Cristal union, Georges Blanck précise « que la prestation est différente en Champagne où les marcs sont potentiellement plus polluants en raison des règles de pressurage différentes. De plus, la région produit exclusivement des vins blancs, alors que la région Bourgogne produit 50 % de vins rouges».
CHARENTE : De nombreuses demandes d'épandage
Dans la région de Cognac, la coopérative UVCA ne fait pas payer le transport, alors que le groupe Douence le facture 5 €/tonne. « Ce groupe a revu sa position, car initialement, il voulait faire payer 10 €/tonne aux vignerons qui ne livraient que les marcs et 5 €/tonne pour ceux qui livraient les marcs et les lies », relate Marlène Tisseire, directrice du SGV Cognac.
Le groupe Douence a écrit fin juillet aux vignerons qu'il allait leur facturer le transport, ce qui a suscité de vives réactions. L'autre distillerie ne pouvant pas accueillir de nouveaux adhérents, les vignerons se sont retrouvés dans une impasse. De nombreux viticulteurs ont envoyé une demande de levée de l'obligation de livrer leurs prestations viniques à FranceAgriMer pour privilégier l'épandage. Les réponses commencent à arriver.
JURA : Un travail sur les sous-produits du macvin
Les marcs des vignerons du Jura étant distillés par les distilleries bourguignonnes, cette région s'est alignée sur la position des Bourguignons pour refuser de payer le transport.
Dans le Jura, la problématique diffère des autres vignobles de vins blancs puisqu'une grande partie de marcs sont distillés localement pour produire le macvin du Jura. « Reste néanmoins à trouver un débouché pour les parties solides issues de cette distillation, lesquelles se situent entre les déchets et les sous-produits, estime Daniel Cousin, directeur de la Société de viticulture du Jura. La réforme de l'OCM est un facteur d'accélération de notre réflexion sur ce sujet. Nous allons poursuivre notre programme de traitement de tous les effluents de cave. Pour les lies, nous avons mis en place des plans d'épandage officiels avec les chambres d'agriculture. »
Taux de prestations viniques : à la hausse pour les blancs
Le groupe de travail sur les prestations viniques, qui regroupe les organisations professionnelles viticoles et les distillateurs, est parvenu à un accord le 16 novembre. Il a décidé de faire passer le taux de prestation vinique pour les vins blancs de 2009, de 7 à 10 %, soit le taux appliqué aux vins rouges. Cela ne devrait rien changer pour les viticulteurs qui livraient déjà bien plus que les 7 % réglementaires. Mais les distilleries verront ainsi augmenter le volume de sous-produit éligible pour l'aide européenne. « Pour la prochaine vendange, chaque bassin de production pourra fixer le taux entre 7 et 10 %, annonce Jérôme Despey, président du groupe de travail. Notre objectif est que le traitement des sous-produits soit le moins coûteux possible pour le vigneron. Le groupe va étudier les nouvelles pistes de traitement des sous-produits. Il va également se poser la question de savoir s'il faut maintenir l'obligation, pour le viticulteur, de livrer ses sous-produits. Nous souhaitons anticiper au mieux l'après 2013, avec une OCM qui va évoluer. »
Le Point de vue de
Georges Blanck, DG de la distillerie Goyard (Marne)
« Nous cherchons à développer les coproduits plutôt que l'alcool industriel »
« Chaque année, nous collectons environ 90 000 tonnes de marcs et 200 000 hl de parties liquides (VO, lies, bourbes). Nous valorisons l'alcool sous toutes ses formes en ratafia, marc de champagne, eaux-de-vie de vin et brandy. Nous transformons également les produits en alcool industriel, destiné à la carburation. C'est sur ce segment que les aides communautaires ont beaucoup baissé en 2008. Pour nous, la perte se chiffre à plusieurs millions d'euros. Depuis dix à vingt ans, nous développons également les spécialités de coproduits. Nous proposons des huiles essentielles issues de lies pour les parfumeurs, la cosmétique et l'industrie agroalimentaire. Nous commercialisons des pulpes de raisin déshydraté pour l'alimentation animale et pour les chaudières à biomasse. Nous vendons du tartrate de chaux qui se transforme ensuite en acide tartrique. Ce marché très fluctuant a été déstabilisé par l'acide tartrique de synthèse provenant de Chine. Nous produisons aussi un engrais naturel riche en potasse, le Fertinat. Pour l'instant, les produits à base d'alcool représentent deux tiers de nos débouchés et les coproduits un tier. Avec l'évolution réglementaire européenne, nous visons à inverser ce rapport. Nous effectuons un gros travail de recherche sur les pépins de raisin déshydratés, qui sont riches en polyphénols et présentent un caractère antioxydant. Nous essayons de travailler sur des pépins les plus frais possibles, avec pour débouché le cosmétique. Avec les pépins issus de la distillation des marcs, nous produisons de l'huile alimentaire. »