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DOSSIER - PRODUCTEURS-NÉGOCIANTS : La tension monte - Enquête dans les régions

ALSACE Quelques sujets de friction

Christophe Reibel - La vigne - n°216 - janvier 2010 - page 26

Dans la région, les négociants sont aussi producteurs. Pas étonnant que les deux familles s'entendent bien malgré des tiraillements.

Le vignoble alsacien est dans une situation singulière. Il ne connaît qu'un seul négociant qui n'a pas son propre vignoble : les vins Biecher et fils. Cette entreprise est le premier acheteur de vins d'Alsace en vrac.

De son côté, Arthur Metz s'est petit à petit retiré du marché du vrac. Cette filiale des Grands chais de France qui revendique 25 % du marché des crémants d'Alsace n'achète plus que 5 000 à 8 000 hl selon les années contre 15 000 hl il y a dix ans. Elle a préféré augmenter ses achats en raisins auprès de ses 650 apporteurs regroupés au sein de l'association Univa et auprès d'autres partenaires réguliers. Les surfaces sont contractualisées sur cinq ans et plus sur la base d'un cahier des charges.

La frontière a toujours été mince

Les autres négociants - une cinquantaine au total - sont en même temps déclarants de récolte. Ils exploitent tous leur propre domaine et complètent leur offre par l'achat de raisin ou de vin en vrac.

Il y a enfin les négoces, filiales de coopératives, qui passent des contrats pluriannuels avec leurs consœurs, voire avec des producteurs-négociants. Ces filiales s'engagent sur des volumes et des conditions d'achat ou achètent sur le marché en fonction de leurs besoins. « Nous nous sentons autant producteur que négociant », lâche Thierry Schoepfer, le directeur de Bestheim, l'Union des caves de Bennwihr et de Westhalten, qui revendique la place de troisième producteur de vins d'Alsace.

Dans une région où quelque 60 % des volumes s'échangent sous forme de vrac ou de raisins, la frontière entre production et négoce est donc mince. Elle l'a toujours été. Au début du XIXe siècle, les premiers syndicats viticoles sont présidés par l'instituteur du village ou par un… négociant. Et l'Association des viticulteurs d'Alsace (Ava) avait à sa tête le négociant Eugène Klipfel jusque dans les années soixante.

Fruit de cette histoire, l'Ava, qui est l'ODG du vignoble, compte trois négociants parmi ses membres. Il est le seul dans ce cas en France. « Les voix du négoce ne sont que consultatives. La production n'est pas assez à l'écoute des metteurs en marché », regrette cependant Serge Fleischer, directeur du négociant Arthur Metz.

Production et négoce se retrouvent une fois par mois au sein de l'interprofession. Jean-Louis Vezien, directeur du Civa, salue « l'esprit de partenariat » qui anime les deux parties. Mais d'autres observateurs se veulent plus réalistes. « Négoce et coopération cherchent à faire mettre en place des règles qui leur laissent toute latitude pour agir comme ils le souhaitent », raconte un producteur.

Effectivement, des sujets de friction surviennent. La dernière incompréhension en date porte sur la taille des caractères du mot « Alsace » sur les étiquettes. La production proposait de l'aligner sur le plus grand caractère utilisé. Refus du négoce qui craignait que la marque ne fasse à terme les frais d'un tel choix. Il a obtenu le statu quo.

Le prix des raisins reste un autre sujet « chaud ». La production demande de manière récurrente de l'augmenter, ce qui agace le négoce. « Ce prix a progressé de 6 % en deux ans. Dites moi quel opérateur peut augmenter ses prix de vente d'autant ! » tempête Pierre Heydt-Trimbach, président du GPNVA (Groupement des producteurs négociants en vins d'Alsace).

Autre pomme de discorde, le contrat d'achat de raisins. Depuis 2008, chaque échange de raisin entre négoce et production doit faire l'objet d'un contrat écrit, dont un exemplaire doit être adressé à l'interprofession. L'interprofession a adopté un avenant sous la pression de la production qui cherchait une alternative à l'interdiction de fixer les prix des raisins. Deux informations doivent obligatoirement figurer dans ce contrat-type : le cépage et le prix départ hors prime. Les deux parties peuvent y mentionner des informations complémentaires comme les quantités et les parcelles concernées.

Bisbille autour du contrat d'achat en raisins

« Le négoce n'était pas chaud », avoue Pierre Heydt-Trimbach. « L'outil existe, se félicite Gérard Boesch, président de l'Ava. Le négociant peut émettre ses exigences d'apport et le viticulteur connaît la procédure selon laquelle il sera payé. »

Au quotidien, le contrat d'achat de raisins n'est pas encore entré dans les mœurs. Le Civa reconnaît du bout des lèvres qu'il « n'y a pas beaucoup de retours ». Le contenu de certains exemplaires rendus laisserait perplexe. « C'est un fiasco. Ces contrats sont remplis avec un minimum de choses. Parfois, aucun prix n'y figure alors qu'il est obligatoire », dit une source qui souhaite conserver l'anonymat.

Pour Pierre Heydt-Trimbach, « Les contrats ont été pensés pour régler le problème du prix des raisins. Mais c'est un échec à ce niveau. C'est juste beaucoup de paperasserie pour pas grand-chose ». Gérard Boesch se veut rassurant : « les choses vont se mettre en place. Les opérateurs verront petit à petit l'intérêt de signer les contrats. »

Malgré ces inévitables conflits d'intérêt, les relations entre les deux parties paraissent apaisées. « Ici, il n'est pas question de lutte des classes comme dans le Bordelais », lance Gérard Boesch. « Nous n'en sommes pas à la guerre des tranchées », enchaîne Pierre Heydt-Trimbach.

Le Point de vue de

Nicolas Thirian, viticulteur sur 10,5 ha, à Bergheim (Haut-Rhin)

« Je vends tout mon vrac en une fois »

 © C. REIBEL

© C. REIBEL

« Même avec deux salariés et un apprenti, j'ai beaucoup de travail sur mon exploitation. Je n'ai pas le temps de démarcher pour vendre davantage de bouteilles. Selon les années, j'écoule la moitié et jusqu'aux deux tiers de mes vins en vrac. Je vends aussi 1,5 ha en raisins. Je sélectionne les vins destinés au vrac dès les vendanges. Je passe par le même courtier depuis quelques années.

Je suis satisfait de ses services. Il m'a toujours trouvé des clients corrects qui respectent les délais de paiement. Je vends toujours la totalité de mon vrac en une fois. Mon atout est de proposer en moyenne 200 hl de riesling et 160 hl de gewurztraminer. Je ne les cède que si l'acheteur prend aussi les autres cépages.

En vendant cuve par cuve, l'acheteur trie et il peut me rester du vin sur les bras en fin de campagne. Comme l'accord verbal n'est plus fiable, je demande un contrat écrit. Une fois ce contrat mentionnant les cépages, les volumes et le prix signé, je suis tranquille. Pour moi, la crise de 2008 n'a pas changé grand-chose. Les prix sont stables, voire en légère progression. Le marché du vrac s'est détérioré en 2003 et en 2005.

C'est pourquoi j'ai contractualisé avec Arthur Metz la vente en raisins à crémant de 1,5 ha en m'installant en 2003. Cet engagement est venu à terme en 2009. Je pense le renouveler. »

43 %

Le poids du négoce 43 % des vins d'Alsace sont commercialisés par les producteurs-négociants

Les trois premiers acheteurs De vin de vins d'Alsace en vrac

1. Vins Biecher et fils

2. Bestheim

3. Hauller

(source : les entreprises)

L'essentiel de l'offre

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