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DOSSIER - PRODUCTEURS-NÉGOCIANTS : La tension monte - Enquête dans les régions

BEAUJOLAIS L'incompréhension

David Besson - La vigne - n°216 - janvier 2010 - page 32

Entre une viticulture aux abois et un négoce confronté à la grande distribution, les rapports sont tendus depuis longtemps. La campagne des primeurs 2009 n'a rien amélioré.

Un mot revient régulièrement pour évoquer les rapports entre négoce et production en Beaujolais : l'incompréhension. Une fois de plus, l'incapacité, ou le refus, de comprendre la partie adverse a marqué la campagne de vente des beaujolais nouveaux.

D'un côté, les viticulteurs. Ils ont mis en avant la qualité - avérée - de leur millésime 2009. Ils espéraient en tirer des prix équivalents à ceux de l'an dernier, année de faibles volumes. De l'autre, un négoce confronté à un marché en contraction et à une grande distribution avide de prix bas. Résultat : une baisse des volumes échangés que beaucoup savaient inéluctable et un recul inattendu de 12 % des prix par rapport au millésime 2008, provoquant colère et abattement dans le vignoble. Aujourd'hui, le primeur passé, certains n'hésitent pas à parler de « guerre froide ».

La production échoue à se rassembler

Rien de bien nouveau pourtant. La profession a tenté d'endiguer la baisse des prix depuis quelques années en créant CVB, Cave et vignoble du Beaujolais, une structure de vente qui regroupe caves coopératives et indépendants. Objectif : parler d'une seule voix face à un négoce extrêmement concentré, où Dubœuf, Boisset et Loron (groupe Jadot) dominent le marché.

En octobre, les négociants ont été accusés de torpiller l'initiative en faisant pression sur les exploitants désireux de rejoindre CVB. « Un très mauvais procès », avait alors rétorqué le négoce par la voix de Xavier Barbet, vice-président d'Inter-Beaujolais, qui estimait avoir soutenu l'initiative de CVB même s'il la jugeait « utopique ».

« Les négociants ont les mêmes relations avec leurs acheteurs qu'avec nous. Ils subissent la baisse des prix alors qu'ils ont des entreprises à faire tourner, résume Philippe Thillardon, président d'Œdoria, regroupement des caves de Liergues et de Theizé (Rhône), et également gérant de CVB. Pour autant, je ne comprends pas leur défiance vis-à-vis de CVB : si notre groupement atteint une taille critique, il garantira une stabilité des prix pendant la courte campagne du primeur. Cela évitera ainsi au négoce local d'acheter haut en début de campagne et de voir les prix tomber ensuite. »

Mais pour le négoce, qui achète 75 % des vins produits, la crainte de voir une concurrence se développer est sans doute la plus forte. On notera également que « l'union sacrée » est loin d'être réalisée puisque CVB, pour sa troisième campagne de primeurs, ne regroupe que neuf caves coops et quelques dizaines de particuliers, pour 100 000 hl, soit moins de 50 % du total.

Contrats moraux

Au quotidien, les relations sont néanmoins plus sereines que ces réactions pourraient le faire croire. « C'est tendu pour les primeurs, plus apaisé ensuite, confie Jean-Luc Merle, président de la Fédération des caves coopératives. Le problème, c'est que nous n'avons pas de force commerciale face à des acheteurs jeunes et professionnels. »

Une certaine confiance réciproque est obligatoire dans ce vignoble où la contractualisation est faible et en baisse constante. On fonctionne beaucoup à la parole donnée. Georges Dubœuf est connu pour ses relations anciennes et personnelles avec ses fournisseurs. Avec lui, les affaires se font souvent oralement.

« D'ailleurs, à quoi servent les contrats : ils ne sont pas respectés ? » s'interrogent la plupart des observateurs. A ce titre, l'initiative prise pendant l'été 2009 par Inter-Beaujolais ne paraît pas promise à un grand avenir. Pour inciter les négociants à proposer des contrats pluriannuels, l'interprofession a décidé d'allonger les délais de paiement afférents à ces contrats. Mais peu sont signés.

Même dans les crus, la contractualisation bat de l'aile. La cave de Fleurie en atteste. « Depuis 1984, nous avions des contrats sur trois ans. Ces clients pouvaient choisir leurs cuvées en priorité, à une époque où les volumes étaient inférieurs aux demandes. Depuis 2003, nous continuons avec des contrats moraux, plus personne ne veut d'écrit. Nous ne sommes plus maîtres de la situation », analyse Didier Vermorel, le président de cette coopérative.

Autre phénomène local, le rachat des anciennes maisons de négoce et la concentration qui s'en est suivi a éloigné producteurs et acheteurs. Désormais, ces derniers sont moins présents pour déguster les cuvées. « Ce sont les courtiers qui font tampon », résume Olivier Richard, leur responsable local. Dans ces conditions, comment préparer sereinement les prochaines rencontres interprofessionnelles ? La plupart des interlocuteurs jugent qu'elles « ne servent à rien ». Mais le président d'Inter-Beaujolais, Dominique Capart, représentant de la viticulture, y croit.

« Début janvier, nous allons réunir la commission d'économie de marché, créée voilà deux ans, afin de tout mettre sur la table et de travailler sur la campagne des vins de garde. La production doit être en phase avec le marché. Mais il faut que les négociants expliquent nos coûts de production à leurs clients. Ils ne doivent pas se satisfaire du fait que les prix sont établis avant la récolte, par la grande distribution. Des membres du négoce régional sont prêts à jouer le jeu ! »

Le Point de vue de

Bernard Couzon, président de la cave coopérative de Bully (Rhône), 40 000 hl

« Nous n'avons aucun contrat écrit »

 © J.-F. MARIN

© J.-F. MARIN

« Nous vendons les deux tiers de notre production au négoce, à des maisons locales comme Dubœuf, notre plus gros client, mais aussi à quelques Bourguignons et à des vraqueurs. Nous n'avons aucun contrat écrit. Nous fonctionnons avec nos clients depuis longtemps. Le négoce ne nous impose pas de cahier des charges. Il faut dire que, depuis douze ans, nous avons notre propre cahier des charges et que nous vendons 30 % en bouteilles, avec les référentiels de la grande distribution. On nous fait donc confiance sur la qualité. C'est d'ailleurs pour ça que l'on vient nous voir. Mais la montée en puissance de notre vente directe nous a coûté quelques clients côté négoce ! Sinon, d'un point de vue commercial, nos acheteurs viennent eux-mêmes goûter et sélectionner leurs cuvées, seuls quelques vraqueurs passent par des courtiers. Mais on ne peut plus vraiment parler de négociation, en particulier pour le primeur qui reste très important pour nous. Les prix sont déjà faits, à cause de groupes de plus en plus gros qui spéculent sur le beaujolais nouveau. Comme d'autres, nous n'avons pas voulu brader. Cette année, nous avons refusé de vendre en dessous de 120 €/hl. Résultat : il nous reste 6 000 hl non vendus. »

74 %

Le poids du négoce 74 % de la récolte 2008 a été vendu au négoce (Source : interprofession).

Les trois premiers acheteurs

1. Vins Georges Dubœuf

2. Groupe Boisset (Mommessin, Pellerin…)

3. Vins Loron et Fils (groupe Jadot)

(Source : entreprises)

L'essentiel de l'offre

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