« Depuis 2004, date d'entrée du vignoble en crise, les quantités que nous achète le négoce diminuent, déplore un directeur de cave coopérative gardoise qui produit 12 000 hl d'AOC côtes-du-rhône, dont il vend près des trois quarts en vrac. Avant cela, nous vendions nos vins auprès du négoce de place sur la base d'engagements oraux reconduits d'année en année.
On a l'impression que cette époque est révolue. Aujourd'hui, les ventes faiblissent et le cours du vin ne remonte pas. A 80-90 €/hl, on ne couvre pas nos prix de revient. On a aussi le sentiment que c'est le client final, le distributeur, qui tire les prix vers le bas. »
En vallée du Rhône, sur une partie du volume de vin échangé en vrac entre la production et le négoce, le climat est à l'opportunisme. Principal concerné, le côtes-du-rhône régional qui, avec 1,4 million d'hl produit, représente un peu plus de la moitié de la récolte rhodanienne annuelle. 80 % de ce volume est vendu en vrac. Une partie est absorbée par des groupements de producteurs, tel le Cellier des dauphins, le reste transite par le négoce.
D'après les enregistrements de contrats d'achat réalisés par Inter-Rhône, les transactions en vrac ont reculé de 8 % au 31 juillet 2009 par rapport à la même période de l'année précédente pour se situer à 1,27 million d'hl de côtes-du-rhône. En plus de la diminution des échanges à cause du fléchissement de la demande en France et à l'étranger, on assiste à un bouleversement au sein du négoce.
« La crise a fragilisé le négoce éleveur local, expose un analyste. Très atomisé, il n'a pas fait face à la concentration de la grande distribution. Des entreprises ont périclité, d'autres ont rejoint le giron d'opérateurs extérieurs. »
A la merci de la volatilité des cours
Le négociant bourguignon Boisset a successivement mis la main sur Les Domaines Louis Bernard, à Orange, la maison Du Peloux, à Courthézon, et Gabriel Meffre, à Gigondas. Le languedocien Skalli s'est emparé de la Maison Bouachon, à Châteauneuf-du-Pape. Au Nord, Jaboulet est aujourd'hui détenu par le groupe Frey…
« Le côtes-du-rhône régional est rarement un moteur de la stratégie de ces entreprises, poursuit l'analyste. Elles ont acquis des négociants rhodaniens pour compléter leur gamme avec la crème de la production : les villages et les crus. »
Résultat, une partie du volume de côtes-du-rhône régional qui transitait autrefois par le négoce de place se trouve désormais sur le marché « spot », à la merci de la volatilité des cours. « Sur ce marché, les prix sont tirés au couteau et on assiste à des tensions, souligne Philippe Pellaton, président du Syndicat général des vignerons des côtes-du-rhône. Il alimente principalement les premiers prix et les MDD. »
Des caves coopératives fusionnent
Ce changement a favorisé la montée en puissance de négociants « vraqueurs » tel Raphaël Michel. En sept ans, les volumes de ce dernier ont été multiplié par sept (voir «La Vigne », novembre 2009 p. 80). D'après Inter-Rhône, 30 à 40 % de l'offre de côtes-du-rhône régional se trouve dans cette spirale déflationniste, soit quelque 500 000 hl.
« Le reste de l'offre est valorisé, estime Christian Paly, président d'Inter-Rhône. En particulier parce qu'il fait l'objet de partenariats sur la durée entre le négoce et la production. »
« Tous nos partenariats ont traversé la crise, enchaîne Philippe Pellaton, qui est aussi président des Vignerons Laudun-Chusclan. Mieux, nous en développons de nouveaux.
Ce sont de vrais partenariats, ils commencent à la vigne avec un suivi des parcelles et vont jusqu'à la vinification. »
Didier Couturier, responsable des approvisionnements chez le négociant Ogier confirme : « Nous avons maintenu tous nos partenariats historiques et de nouveaux se mettent en place. C'est la condition pour fédérer les compétences autour de l'élaboration de vins de très haute qualité. Seule évolution, nous orientons davantage nos partenariats vers les caves particulières. Elles sont beaucoup plus souples et réactives que les coopératives. »
Reste que dans le climat actuel, un certain nombre de caves coopératives tentent de réduire leur dépendance au négoce. « Depuis 2004, nous avons développé la vente de nos côtes-du-rhône en bouteille, indique Pierre-Alain Morel, directeur de la cave coopérative d'Orsan. Elle représente aujourd'hui près de 60 % de notre chiffre d'affaires. L'essentiel part à l'export. »
Mais, il ne cache pas les problèmes rencontrées. « La bouteille génère des coûts qui sont trop souvent sous-estimés, souligne t-il. Nos frais de caves ont explosé. Sans parler des investissements humains - nous avons recruté un caviste et une assistante commerciale - et aussi en informatique. Résultat, nous rencontrons des difficultés de trésorerie. Nous pensons redresser la barre en 2010. »
En juin dernier, la coopérative d'Orsan a fusionné avec son homologue de Saint-André Roquepertuis « pour faire des économies d'échelle ». Ensemble, elles représentent 20 000 hl. D'autres regroupements ont précédé celui-ci. Les caves de Morières d'Avignon et de Canteperdrix ont fait alliance en 2006 au sein de Vin Attitude pour vendre leurs vins en bouteilles auprès des circuits professionnels.
En 2008, les caves de Laudun et de Chusclan ont fusionné pour aligner 125 000 hl. « Nous réalisons 40 % de notre activité à partir de la vente en bouteilles, fait valoir Philippe Pellaton. A côté, nous maintenons de solides partenariats avec le négoce. » La voie de l'équilibre ?
Le Point de vue de
Pascal Duconget, directeur général des Vignerons de caractère, à Vacqueyras
« Nous avons repris les relations avec le négoce »
« Notre cave produit 12 500 hl en AOC Vacqueyras, ce qui représente la moitié de la production de ce cru. En 1957, lorsqu'elle a vu le jour, les vignerons ont choisi de distribuer eux-mêmes leurs vins. C'est un pari que nous avons tenu. En 2000, la cave vendait directement 95 % de son offre. Mais nous avons décidé de revenir en arrière.
Nous avons repris des relations avec le négoce, car il a accès à des marchés sur lesquels nous n'avons pas les moyens d'être présents. A l'export, il est là dans une bonne soixantaine de pays quand nous nous trouvons dans une trentaine seulement. Nous n'avons pas la capacité financière de déployer des commerciaux à travers le monde.
En France, le négoce entretient également des relations avec des cavistes et des restaurateurs haut de gamme avec lesquels nous n'avons pas l'habitude de travailler. Au-delà, nous pensons que le fait de confier des ventes au négoce est un moyen pour diffuser le plus largement possible l'AOC Vacqueyras et augmenter sa notoriété. Nous avons engagé des partenariats avec des maisons de négoce qualitatives. Désormais, un peu plus de 10 % du volume est distribué par le négoce. Nous visons 20 %. »