Fin 2008, les producteurs gersois sont parvenus à regrouper l'offre de trois groupes coopératifs du département, à savoir CPR (Cave des producteurs réunis), Les Vignerons du Gerland et Vivadour. Ce faisant, ils ont créé un incontournable géant du vrac, à même de faire le poids face aux grandes maisons de négoce. Même si les relations sont loin d'être conflictuelles entre l'amont et l'aval, le rapport de force va nécessairement évoluer.
Une offre vrac segmentée en quatre types de produits
C'est la société CVG (Caves et vignobles gersois) qui commercialise les vins des trois groupes, soit 800 000 hl en 2008-2009, dont 50 000 hl proviennent des caves de Vivadour. Ce volume représente 80 % des vins de l'offre vrac de la filière gersoise. « Nous vendons 90 % des vins blancs en vrac de la région, précise Franck Clavier, directeur général de Vivadour. Nous proposons à nos clients une production régulière, leur permettant de construire une offre en bouteilles reproductible chaque année. »
Suite à l'arrivée des vins sans indication géographique, CVG a créé un « carré magique » segmentant son offre autour de quatre types de produits :
les vins sous IGP (vins de pays) basiques (25 % des volumes),
les IGP à haute expression aromatique (35 %),
les vins sans IG basiques (7 % qui serviront aussi à la distillation en armagnac),
et enfin les vins sans IG aromatiques (33 %).
« Notre modèle stratégique de développement est la contractualisation avec nos clients, que sont les principaux négociants de France (Grands chais de France, Castel, Diageo…), reprend Franck Clavier, précisant que CVG a renoncé à répondre aux appels d'offres directs de la grande distribution et à vendre en bouteilles, afin de ne pas concurrencer ses clients.
Nous leur proposons une offre structurée regroupée au sein d'un canal unique, à même de les servir toute l'année en qualité et en quantité. Il s'agit d'un vrac marketé et d'une segmentation propre à répondre aux différentes gammes qu'ils veulent mettre en marché. Cela devrait aussi déboucher sur une segmentation plus claire en rayon. »
CVG a embauché un logisticien chargé de gérer les livraisons en flux tendu. L'entreprise a aussi créé un poste de référent technique garant du suivi qualité dans les trois groupes. Elle va recruter un qualiticien.
De leur côté, des négociants s'interrogent sur l'intérêt de continuer à jouer la carte de l'IGP vins de pays des côtes-de-gascogne. Grands chais de France aurait annoncé qu'il y renonçait pour les blancs de sa marque JP Chenet. Allait-il pouvoir acheter moins cher des vins sans indication géographique que des vins labellisés « côtes-de-Gascogne » ? Mi-décembre, les prix n'étaient pas encore fixés. Tous les acteurs du marché pensaient qu'il fallait attendre la fin du mois pour avoir une vision complète de l'offre.
Face à l'arrivée des vins sans IG, les producteurs se battent pour défendre des prix rémunérateurs. « L'enjeu est de créer de la valeur sur l'ensemble de la filière, poursuit Franck Clavier. Nous expliquons notre prix de revient aux négociants. Il n'y a pas de raison que nous vendions en dessous. Si c'est pour arracher les vignes ensuite, ce n'est pas la peine. Si notre produit se valorise sur le marché, nous espérons pouvoir discuter d'un retour de valeur avec nos clients. »
Les 20 % de vrac restant à commercialiser en Gascogne se partagent entre quelques courtiers, comme Alain Faget, également producteur à Saint-Martin-d'Armagnac (Gers), et des vignerons acheteurs, comme Alain Brumont, à Maumusson-Laguian (Gers).
« J'assure 7 000 €/ha de CA à mes partenaires »
« Sur l'appellation Madiran pour laquelle je suis courtier exclusif, nous avons entièrement contractualisé le marché, raconte Alain Faget. Chaque année, le comité interprofessionnel fixe une fourchette de prix avec un seuil minimal, pour trois catégories de qualité. Je commercialise toute l'année les produits au grand négoce, à partir de ces prix-là. Mes relations avec les metteurs en marché sont très bonnes. »
Alain Faget exerce également une petite activité de courtier en vins de pays des côtes-de-gascogne. Les prix sont calés sur ceux du marché. Il y a six ans, il a contractualisé quelques grandes exploitations, à la demande de la maison Jeanjean, pour 15 000 à 20 000 hl par an de vins de pays des côtes-de-gascogne. Les prix sont réguliers, même si cette année « les flux sont à la baisse ». Jeanjean a fait le choix de continuer à commercialiser sous IGP.
Ce qui n'est pas le cas d'Alain Brumont, viticulteur connu pour ses châteaux Montus et Bouscassé, qui réalise 30 % de son chiffre d'affaires avec une activité de négoce en vins blancs. « Les appellations ne veulent plus rien dire, estime-t-il. Ce sont les marques qui prédominent. En côtes-de-gascogne, c'est Tariquet qui a fait la notoriété de l'appellation. Pour ma part, je fais mon propre vin. Ce qu'on me demande, c'est des cépages et une marque, et mon activité progresse chaque année de 25 %. » Alain Brumont a passé des contrats avec une trentaine de viticulteurs auxquels il achète des hectares sur pied. Son cahier des charges est très strict, imposant, par exemple, la maîtrise des rendements. Mais l'acheteur assure « plus de 7 000 €/ha de chiffre d'affaires en Madiran et plus de 6 000 € en côtes-de-gascogne, quand la moyenne du Sud-Ouest est à 3 000 €/ha ».
Le Point de vue de
Patrick Farbos, président de CPR les Hauts de Montrouge (Cave des producteurs réunis), à Nogaro adhérent du groupement CGV
« Nous ne traitons pas avec les acheteurs »
« Cette année nous avons récolté 85 000 hl environ. C'est une quantité normale pour une très bonne qualité. Nous avons destiné 700 hl à l'élaboration de floc de Gascogne blanc et rouge. 17 000 hl sont en cours de distillation pour l'armagnac. Nous allons vendre le reste en vrac par l'intermédiaire de CVG (Caves et vignobles du Gers). Nous travaillons depuis longtemps avec CVG qui vend tous nos vins en vrac. Ce bureau de vente ne possède pas de cuverie. Nos œnologues préparent les assemblages chez nous, à Nogaro, en fonction des demandes des clients.
Nous apportons ces échantillons à CVG où ils sont dégustés par les acheteurs. Ensuite, les vins retenus sont livrés en citerne, en partant de chez nous. Nous ne traitons pas avec les acheteurs, mais ils passent tout de même régulièrement à la cave pour réaliser des audits de traçabilité.
Depuis les années quatre-vingt-dix, nous avons entamé un programme de restructuration de notre vignoble, afin de remplacer des parcelles d'ugni blanc vieillissantes, cépage très utilisé pour l'armagnac, par du sauvignon, du chardonnay ou du colombard. Nous voulons atteindre 20 % des surfaces en sauvignon, car c'est un cépage très demandé. Nous limitons tous les rendements à 120 hl/ha et nous avons investi dans une unité de pressurage et dans un chai isotherme, afin de privilégier la qualité et de coller aux « cases » valorisantes de la segmentation de CVG. Mais nous sommes aujourd'hui dans le flou le plus total, les acheteurs ne sachant pas s'ils choisiront des vins sous IGP ou sans IG. Avec la nouvelle OCM, je remarque un autre changement. Avant, les négociants achetaient de grosses quantités. Maintenant, ils ont réduit la taille et augmenté le nombre de commandes. Ce qui multiplie d'autant les dégustations et le nombre d'échantillons que nous avons à préparer. »