A Bergerac, entre négoce et production, on discute sec et on trouve des accords. En juillet, c'était sur les modalités de paiement. Désormais, le négociant qui ne retire pas à date voulue s'engage malgré tout à régler le viticulteur à partir de cette date. Une mesure votée en assemblée générale de l'interprofession.
En septembre, c'est la question des prix qui est venue sur le tapis. Au final, la commission économique a émis le souhait de tenir des prix entre 800 et 850 euros le tonneau de 900 litres de rouge, entre 950 et 1 000 euros en blanc sec et entre 850 à 900 euros pour les rosés.
Les cours se tiennent
Entre les deux familles, les relations ne sont pas mauvaises, portées par une campagne 2008-2009 encourageante. « A Bergerac, il y a un équilibre entre l'offre et la demande. Les cours se tiennent et sont autonomes par rapport à ceux de Bordeaux, où il y a de gros soucis », explique Michel Delpon, président du syndicat des négociants de Bergerac et directeur général du groupement Producta.
« Depuis quinze ans que je suis au bureau de l'interprofession, c'est la première fois que je vois des prix de Bergerac au-dessus de ceux de Bordeaux », renchérit Patrick Monfort, à la tête du négoce Julien de Savignac. Mais ces écarts portent sur des affaires ponctuelles. En moyenne, en novembre, le bordeaux rouge s'échangeait plus cher que le bergerac de la même couleur : 102 €/hl contre 81 €/hl. De même pour les blancs secs.
Comme partout, des négociants battent la campagne pour obtenir des prix cassés. La production a passé le mot d'ordre de résister à leur appel. Certains s'y tiennent. Daniel Duperret, vice-président de la Fédération des vins de Bergerac, cite l'exemple d'une centrale d'achat qui a cherché à s'approvisionner en vin certifié en agriculture raisonnée (30 000 bouteilles). Des viticulteurs ont répondu à son appel d'offres à un prix supérieur de 10 % au cours en vigueur. Finalement, c'est un négociant qui a enlevé le marché à un prix cassé.
« Eviter les premiers prix et jouer collectif »
« Nous l'avons identifié, raconte Daniel Duperret. Nous avons dénoncé son comportement. C'est une première. Nous ne voulons plus être victimes de ces pratiques », confie-t-il.
« Il faut se bagarrer pour éviter les premiers prix et jouer collectif », martèle Eric Chadourne, le président de l'union vinicole Bergerac-Le Fleix. Le 16 décembre dernier, cette coopérative (123 coopérateurs, 63 000 hl, quinze salariés) a entériné la fusion avec sa consœur de Montaigne et Gurson (80 coopérateurs, 27 000 hl, huit salariés). Baptisée Alliance Aquitaine, la nouvelle entité va rationaliser ses sites pour atteindre une taille critique. Un remodelage du paysage qui n'est pas nouveau.
Depuis quelques années, la coopération, qui pèse 35 % de la production, se restructure afin de réduire sa dépendance au négoce. En 2008, quatre coopératives de Bergerac ont racheté la Socav (trois millions de cols), négoce historique de Bergerac que détenait le girondin Œnoalliance. Puis, elles ont créé la holding Couleurs d'Aquitaine pour la vente en bouteilles.
De son coté, Bergerac Vins, créé en 2005 par quatre caves coopératives (Sigoulès, Montaigne et Gurson, Univitis et Port-Sainte- Foy), tente de jouer l'effet volume sur le marché du vrac. En 2008, elle a accueilli le Groupement des viticulteurs Dordogne Périgord qui a accepté d'engager 5 000 à 6 000 hl par an pour cinq ans. Aujourd'hui, Bergerac Vins affiche 60 000 hl (20 % du volume échangé en vrac en 2008-2009) et affirme vendre 10 % plus cher que le prix de campagne.
« Nous voulons peser face au négoce pour éviter qu'il ne nous presse comme un citron », explique Christian Coudon, président du directoire de Bergerac Vins, tout en regrettant de ne pouvoir convaincre plus de viticulteurs indépendants. Mais il n'est pas facile pour eux d'apporter leur vrac dans une structure tenue par la coopération. Sans compter qu'il faut s'engager sur plusieurs années. Alors, quand la récolte part sans problème, ils ne se précipitent pas pour adhérer.
Certains producteurs ont carrément tourné le dos au négoce. Ainsi, cinq viticulteurs bordelais et trois du Bergeracois, qui représentent 4 500 hl, se sont unis pour créer le négoce Latitude bio chargé de vendre leurs vins à la grande distribution, sous la marque « Couleurs bio », et aux cafés, hôtels et restaurants (CHR) sous la marque « Coté bio ».
« En 2009, nous avons écoulé 600 000 bouteilles en grande distribution. Nous prévoyons d'en vendre un million en 2010 », indique Alain Ferran, président de Latitude bio.
D'autres ont tenté l'aventure bien avant. Guy Cuisset, propriétaire de château Grinou, à Monestier en Dordogne, (30 ha, 1 600 hl) est également en bio. Il s‘est installé en 1978. D'emblée, il a voulu « se mettre à l'abri du négoce », indique-t-il. Il est parti vendre ses vins à l'export. Direction : le Japon, l'Angleterre, le Québec…
Seulement voilà, depuis deux ans, les marchés s'effritent. Cette année, « je vais être obligé de vendre en vrac si le marché ne se redresse pas », lâche Guy Cuisset. Tourner le dos au négoce n'est pas une mince affaire.
Le Point de vue de
Joël Lacotte, viticulteur sur 12 ha, à Singleyrac (Dordogne)
« Je viens de passer un contrat oral avec mon négociant »
« Depuis quatre ans, je travaille avec le négociant Julien de Savignac. Il a respecté les délais de paiement à la lettre. Comme les choses se sont bien passées, je viens de passer un contrat oral avec lui. Désormais, je lui réserve les trois quarts de ma récolte et je vends moi-même le quart restant. Un engagement sur trois ans à un prix de 900 euros le tonneau de 900 l.
Cela me donne de l'assise. Mais le prix pourrait être légèrement supérieur compte tenu de la qualité que je produis. Mon partenariat ne comprend pas de cahier des charges. Il n'y a pas de courtier. Le négociant vient à la propriété deux à trois fois par an pour déguster. Il déguste également à l'aveugle, chez lui. Mes vins sont régulièrement médaillés. Je fais ce qu'il faut pour des vendanges en vert lorsqu'il y a surcharge, un effeuillage mécanique suivi d'un effeuillage manuel. J'enlève aussi des bourgeons. Je me suis installé en 1990 et j'ai planté petit à petit, sur un beau coteau. Pendant dix ans, j'ai livré à la coopérative de Sigoulès. Je l'ai quittée en 2001, car j'étais en désaccord avec ses orientations. J'ai investi 200 000 euros dans mon chai. Les ruptures ne me font pas peur.
Ces derniers temps, avec la crise, les affaires sont devenues plus difficiles. Un producteur-négociant qui me prenait 200 hl depuis 2001 s'est mis à payer avec retard. Il y a trois mois, je l'ai lâché. Il ne me reste que Julien de Savignac avec qui je me sens en confiance. »