Ces dernières années, le paysage du négoce nantais a bien changé. La région a vu l'arrivée des deux géants français du vin : Castel et Grands chais de France. Le premier a racheté Sautejeau-Beauquin et Friedrich en 2007, devenant ainsi le premier intervenant en muscadet et gros plant. Le second a acquis Vinival, Lacheteau et Roger Felicien Brou entre 2004 et 2007.
« Avant, nous avions un négoce familial local, traditionnel. Maintenant, nous avons deux leaders, dont les prises de décisions se font à l'extérieur du vignoble », constate Frédéric Macé, directeur du syndicat général des vignerons de Nantes. Certains s'en inquiètent. « On préfère travailler avec plusieurs interlocuteurs », indique un courtier. « Désormais, nous en avons peu, ajoute un autre. S'ils n'achètent pas, le marché reste éteint. »
Mais pour beaucoup, la venue de Castel et des Grands chais est une bonne chose. Selon Clair Moreau, président des vignerons indépendants de la région, ces groupes ont le poids nécessaire pour négocier avec la grande distribution. « 70 % de notre production passe par les étagères de la grande distribution et du hard discount. Face à leur puissance, il faut être solide », avoue-t-il. Sans compter qu'« avec leurs réseaux commerciaux, ils devraient pouvoir développer les marchés grands exports », espère un courtier.
Mais les nouveaux venus ont vécu des moments difficiles. Ils ont manqué de vin après le gel de 2008. Grands chais de France est encore très remonté à ce sujet. « Nous ne voulons plus investir dans le muscadet. Les volumes et les cours sont trop fluctuants », ne décolère pas Serge Fleischer, directeur de Lacheteau et Vinival.
Castel continue de miser sur la région
Castel reconnaît aussi qu'il n'a pas investi au bon moment. « Nous avons manqué de volumes et perdu pas mal de marchés en France en grande distribution, et à l'étranger, notamment en Grande-Bretagne », explique Franck Crouzet, directeur de la communication. Mais le groupe continue de miser sur la région. « Nous souhaitons faire du Muscadet et du Cabernet-d'Anjou, les deux AOC majeures du Val de Loire. Nous avons la capacité de développer des marques nationales, régionales et réservées pour ces deux produits, annonce Franck Crouzet. Nous voulons développer des partenariats pour avoir l'approvisionnement le plus régulier possible. »
Après le gel du printemps 2008, la récolte a été amputée de moitié, plafonnant à 299 000 hl. Vignerons et négociants ont essayé de voir ensemble comment ils pouvaient réagir. Ils ont monté un groupe de travail et ont fait appel au cabinet Equonoxe pour avoir un état des lieux économique après le gel.
Mais malheureusement, ces réunions n'ont pas empêché les cours de flamber, le muscadet générique s'échangeant à 205 €/hl, prix moyen de campagne 2008-2009. De plus, les vignerons ayant des marchés directs ont gardé leurs vins pour servir leurs clients. Alors qu'habituellement, le négoce vend 70 % des muscadets, il n'en a commercialisé que 51 % l'an dernier.
Face à la situation, les négociants ont privilégié le haut de gamme, à savoir les muscadets sur lies. Et ils n'ont pas forcément fait de propositions commerciales auprès de leurs acheteurs pour le muscadet générique. Ce dernier a donc disparu des rayons des grandes surfaces rapidement. De ce fait, certains vignerons n'ont pas trouvé preneur de vins qu'ils espéraient pourtant vendre cher. Ils se retrouvent avec des volumes sur les bras. Cette situation pèse sur la nouvelle campagne. « Sur le marché libre, certains déstabilisent tout. Ils vendent en dessous des prix planchers que nous assurons aux producteurs qui se sont engagés avec nous dans des contrats pluriannuels. Dans ces conditions, je ne souhaite plus développer de partenariats », tempête Serge Fleischer.
Aujourd'hui, pour tous, l'objectif est de reprendre les marchés perdus. « Le muscadet est le premier monocépage blanc au monde en terme de volume. On ne peut pas le remplacer du jour au lendemain par un autre vin », se rassure Frédéric Macé.
« Lors de la commission paritaire interprofessionnelle qui a eu lieu à la fin de cet été, nous nous sommes mis d'accord sur une politique de reconquête », indique Joël Forgeau, le président du syndicat des vignerons de Nantes. En mai-juin, l'interprofession va lancer un vaste plan de communication intitulé « Planète muscadet » en grande distribution, en CHR, auprès des brasseurs et des cavistes français.
« Nous allons refaire parler de nous. Nous allons montrer que nous sommes revenus sur le marché avec un millésime magnifique et que nous pouvons à nouveau fournir des muscadets d'entrée de gamme à 2,50 euros pr ix consommateur », précise Joël Forgeau.
« Raisonnablement, l'objectif est de commercialiser 500 000 hl en 2009-2010 », ajoute Denis Rolandeau, le président d'Entreprise des grands vins de Loire (EGVL). Dès l'été 2009, production et négoce étaient tombés d'accord sur le fait que cette reconquête passerait nécessairement par une baisse des prix du vrac. Les deux familles avaient alors estimé qu'un prix de 150 €/hl serait raisonnable pour le muscadet sur lies. Mais les prix pratiqués fin 2009 étaient nettement inférieurs. Une nouvelle pomme de discorde ?
Le Point de vue de
Yves Joubert, viticulteur sur 28 ha (dont 21 ha de muscadet), au Loroux-Bottereau (Loire-Atlantique)
« Une certaine inquiétude pour les transactions futures »
« Je travaille quasiment à 100 % avec le négoce depuis longtemps. Je vends l'équivalent de 10 ha de muscadet sous forme de moûts à des vendangeoirs. J'ai signé avec eux des contrats triennaux renouvelables par tacite reconduction. Je vends aussi du muscadet AC en vrac et du muscadet sur lies via des mises en bouteilles à la propriété. Dans les deux cas, il s'agit de vins que le négociant embouteille et vend sous sa propre marque. Pour ces marchés, je passe par deux courtiers.
Ils prennent des échantillons de mes vins et prospectent les négociants. Lorsque je décroche un contrat, je vends les vins au prix qui a cours au moment de la signature.
Les relations restent courtoises avec le négoce. Mais il existe quand même une certaine inquiétude pour les transactions futures à cause de la crise mondiale sur les marchés export.
Lors de la campagne 2008-2009, les négociants ont acheté le muscadet au prix fort. Ils ne souhaitent pas perdre d'argent.
Ils veulent donc aller au bout de leurs stocks avant de reprendre leurs achats.
Début décembre, le marché était donc plutôt calme. Mais je reste optimiste. La qualité du millésime 2009 devrait permettre aux négociants de revenir sur les marchés qu'ils n'avaient pas pu alimenter en 2008-2009 à cause de la petite récolte. »