POUR LA PREMIÈRE FOIS cette année, Alain Rouanet a fait tailler mécaniquement 8 ha de son vignoble. Ce cabernet-sauvignon est taillé à 5 cm au-dessus du cordon. Il y a un ou deux yeux francs sur chaque courson. Reste à enlever, par la taille manuelle, les coursons orientés vers le bas et les sarments laissés par la machine au niveau des piquets. © PHOTOS F. EHRARD
Début février, chez Alain Rouanet. Une nouvelle machine de taille rase de précision (TRP) finit de tailler deux parcelles. « C'est notre dernière cartouche pour réduire les coûts », affirme ce vigneron de 55 ans, installé à Pépieux, dans l'Aude.
Dans cette famille de pionniers, innover va de soi. Le père a commencé à irriguer dès 1968. Alain, arrivé sur l'exploitation avec son CAP de mécanique agricole en poche, s'intéresse au matériel. En 1972, il construit une rogneuse. Dès 1980, avec son père, il achète une machine à vendanger et, en 1986, une prétailleuse. Aujourd'hui, il se prépare à investir 19 400 euros HT dans la TRP 20 Vision de Pellenc.
« En janvier 2007, j'ai assisté à une démonstration de taille rase de précision dans le Gard. Dans la foulée, je suis allé en Camargue chez Patrick Henry, un pionnier de cette technique. Son expérience m'a convaincu, affirme le viticulteur. J'ai commencé à conduire mes jeunes vignes en cordon unilatéral. Ainsi cette année, j'ai pu faire tailler mécaniquement 8 ha en prestation de service. Dans deux ans, 7 ha de plus pourront passer à la TRP. Et j'ai encore 15 ha de jeunes vignes à transformer en cordon. »
« J'ai attendu d'avoir 45 ans pour construire ma maison »
En 1993, quand son père partage l'exploitation entre ses trois fils, Alain hérite de 15 ha. Auparavant, il avait déjà acheté des vignes. Ensuite, « j'ai continué à m'agrandir en rachetant des parcelles proches des miennes. Ce qui a facilité la mécanisation. »
Aujourd'hui, sur 70 ha de vignes, la parcelle la plus petite s'étend sur 3 ha et la plus grande sur 20 ha. Alain apporte ses raisins à la coopérative de Pépieux. Il joue la carte des cépages. « Sur nos terres séchantes, l'arrivée de l'irrigation a ouvert un large choix. J'ai misé sur les blancs, qui représentent aujourd'hui 50 % de ma surface. Mon revenu s'est rapidement amélioré, ce qui m'a permis de développer l'exploitation. »
Il paye aussi de sa personne, investissant beaucoup de temps et d'énergie dans ses vignes. Bien équipé en matériel de terrassement, c'est lui qui réalise tous les aménagements fonciers. Depuis trente ans, il replante pratiquement chaque hiver. « J'ai attendu d'avoir 45 ans pour construire ma maison », relève-t-il.
Aujourd'hui, Alain travaille avec son fils Frédéric. Pour l'instant, celui-ci a un statut de salarié. Comme son père avant lui, il achète déjà des vignes pour se constituer un noyau de départ. Un deuxième permanent et des saisonniers complètent l'équipe. « Trouver du personnel saisonnier pour tailler n'est pas facile. Avec la TRP, mon objectif est de ne plus en avoir besoin », souligne Alain. Avec cette machine, le temps de taille tombe à deux heures et demie à trois heures par ha, suivi de huit à dix heures par ha définitions à la main. En s'appuyant sur des données de la chambre d'agriculture de l'Aude, Alain table sur une réduction de deux tiers du temps de taille. Il espère aussi en diminuer le coût annuel de moitié.
« C'est le principal poste sur lequel je peux encore gagner », affirme-t-il. En adoptant la lutte raisonnée, il a déjà réduit le nombre de traitements. Du côté des travaux en vert, il a réduit l'ébourgeonnage manuel et supprimé le dédoublage. Sur une partie du vignoble, il est revenu à l'épamprage chimique.
Du côté de l'irrigation, 25 ha de nouvelles plantations sont déjà équipées en goutte-à-goutte pour diminuer la consommation d'eau. Alain compte aussi affiner le pilotage des apports pour gagner en efficacité. Pas question pour autant d'augmenter trop les rendements. La coopérative pratique un paiement différencié en fonction des cépages et des profils de vins. « Je choisis pour chaque parcelle la catégorie dans laquelle je veux me placer. Pour les viogniers, je cherche à produire autour de 60 hl/ha et pour les sauvignons 70 hl/ha, alors que pour les autres cépages je vise 80 hl/ha, pour rester dans la limite de l'IGP Pays d'Oc tout en faisant de bons volumes. Notre coopérative se débrouille plutôt bien dans un contexte difficile, mais les vins ne sont quand même pas à leur juste prix », estime Alain.
Pour l'instant, il s'en sort en travaillant à fond toute l'année. « En 2009, j'ai encore acheté 3 ha pour compléter un bloc. En 2011, je devrais avoir fini de replanter. Avec le temps que nous allons gagner avec la TRP, j'espère pouvoir lever le pied en hiver. »
Changer de mode de taille le motive et l'inquiète en même temps. « C'est une prise de risque, mais nous n'avons pas le choix. Pour réduire nos coûts et rester vignerons, nous devons nous sortir le mot routine de la tête et le remplacer par celui de changement. »
Et si c'était à refaire ? « J'aurais les mêmes priorités »
« Je donnerais à nouveau la priorité à la restructuration du foncier. Au début, j'ai acheté des vignes à droite et à gauche, puis je me suis rendu compte que je perdais du temps en déplacement pour aller de l'une à l'autre. J'ai commencé à mettre de l'argent de côté et quand il y a eu des opportunités d'achat de parcelles touchant les miennes, j'ai pu les saisir en acceptant de payer un peu plus cher. Je referais aussi la même formation en mécanique. Elle m'a bien servi ! J'ai pu faire des économies sur l'entretien du matériel et bricoler à peu de frais des équipements qui me font gagner du temps. Par exemple, je me suis fabriqué une dérouleuse pour les tuyaux de goutte-à-goutte et les fils de palissage. »