Elizabeth Law de Lauriston Boubers voit le jour le 1er octobre 1899 dans le petit village d'Orbigny, en Indre-et-Loire. Son nom dévoile des origines écossaises, mais sa famille appartient à l'aristocratie française.
Elle grandit en Touraine. En 1923, elle épouse Jacques Bollinger. Depuis 1918, ce dernier dirige la maison familiale de Champagne fondée en 1829, à Aÿ (Marne). « Pendant dix-huit ans, auprès de son mari, elle s'est initiée au Champagne, se familiarisant avec le vignoble, la cave et faisant connaissance avec toutes les familles du personnel de la maison », raconte Hervé Saint-Julien dans son livre sur l'entreprise.
Elle maintient le moral de ses troupes pendant la Seconde Guerre mondiale
En 1941, au décès de son époux, Elizabeth Bollinger a 42 ans et prend les rênes de la maison qui compte alors 105 hectares de vigne et commercialise environ 450 000 bouteilles. Elle « déploie une énergie extraordinaire pour maintenir le moral de ses troupes » pendant la guerre. Appelée « Mme Jacques » par le personnel et « Tante Lily » par la famille, elle préside pendant trente ans aux destinées de la maison qui, sous sa houlette, prend son véritable essor.
Après la guerre, elle commence à voyager à l'étranger, notamment au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, pour renouer avec ces marchés et promouvoir sa marque. Une femme énergique qui représente sa maison avec force allure : l'effet est magique et le restera toujours !
Mme Bollinger est aussi prévoyante. « Sans enfants, (...) elle repère dans les différentes branches de la famille les personnalités aptes à lui succéder », continue Hervé Saint-Julien. Après la guerre, elle s'entoure notamment de trois de ses neveux, dont Claude d'Hautefeuille, nommé directeur en 1950.
Femme dans un monde masculin qui ne fait pas de cadeau, Mme Bollinger reste « extrêmement prudente ». « Elle ne cède ni aux sirènes de la facilité, ni à celles de la modernité », souligne-t-on auprès de la maison. Elle continue donc de réaliser la première fermentation en fûts de chêne ou de conserver en magnum les vins de réserve pour les cuvées spéciales, des pratiques abandonnées en Champagne après les années 1950.
« Ce sont les méthodes traditionnelles qui comptent, même si elles paraissent démodées : la qualité de mes vins le prouve », affirmait-elle. La pratique perdure encore en partie de nos jours et a contribué au style et à la renommée de la maison.
Cette prudence et ce conservatisme ne l'empêchent pas de créer la cuvée « Récemment dégorgé » (RD), un champagne vieilli durant huit à vingt-cinq ans sur ses lies et mis en vente rapidement après le dégorgement, ce qui apporterait une certaine fraîcheur au vin. Le premier millésimé RD, 1952, est présenté à Londres en 1961. Le succès est au rendez-vous. Depuis, la formule a fait des émules.
Mme Bollinger a la réputation d'être une excellente dégustatrice. Elle reçoit elle-même ses meilleurs clients chez elle, les initiant délicieusement aux accords entre les mets et le champagne et magnifiant un art de vivre certain. Quand consomme-t-elle du champagne ? « Je le bois quand je suis heureuse et quand je suis triste. Je le bois parfois quand je suis seule. Quand je ne le suis pas, je le considère comme obligatoire. Dans les autres circonstances, je n'y touche jamais, sauf si j'ai soif », répondit-elle avec humour à un journaliste anglais, ne manquant jamais une occasion de promouvoir sa marque. Une remarque pétillante qui est restée dans les annales.
Pour ses 70 ans, la maison crée la luxueuse cuvée « Vieilles vignes françaises », issue de quelques ares de vignes préphylloxériques spécialement replantées. Le millésime 1969 sera le premier.
« Ses principes de gestion ont marqué »
Sous la direction de Lily, en trente ans, la maison Bollinger a acquis 30 hectares de vigne supplémentaire à Aÿ, Mutigny, Grauves et Bisseuil, et a doublé le nombre de bouteilles commercialisées. « Sans jamais déroger aux exigences de la qualité, elle a imposé des principes de gestion qui ont marqué, souligne-t-on auprès de l'entreprise. Par exemple, la maison n'accepte pas de vins sur lattes. Quand Bollinger signe un vin, il le fait. »
En 1971, son neveu Claude d'Hautefeuille lui succède à la tête de l'entreprise. Lily Bollinger s'éteint le 22 février 1977. Elle ne verra pas James Bond, le célèbre agent secret de sa très gracieuse Majesté, la reine d'Angleterre, se réconforter à partir de 1979 au champagne Bollinger. Depuis 1988, le prix Mme Bollinger récompense chaque année le meilleur dégustateur de l'institut de formation londonien Masters of wines.