« L'an dernier, nos clients britanniques nous ont demandé de baisser nos prix pour compenser la hausse de l'euro par rapport à la livre sterling, lance Thierry Mothe, vigneron en AOC Chablis. Nous exportons 75 % de notre production dont une grande partie en Grande-Bretagne. Nous avons diminué nos prix de 5 %, alors que nos clients réclamaient 10 à 15 %. Nos ventes ont reculé en volume et en valeur. La cherté de l'euro a eu un effet négatif sur nos expéditions, même si elle n'est pas le seul facteur. »
Son cas n'est pas isolé. D'après une étude conduite par les Vignerons indépendants de France (Vif), présentée à la presse le 14 avril, l'euro fort a plombé les exportations de vins français vers deux de ses marchés essentiels : le Royaume-Uni et les Etats-Unis.
Pour rester compétitifs, les Italiens et les Espagnols ont baissé leurs prix
« Le taux de change de l'euro vis-à-vis de la livre sterling et du dollar a renchéri les vins français de 30 % outre-Manche et de 40 % aux Etats-Unis au cours du second trimestre 2007 », annonce Julien Dourgnon, directeur.
Avec son équipe, il a dressé l'évolution de nos exportations vers ces deux pays depuis 1993. Il a fait de même avec les exportations italiennes, espagnoles, chiliennes et australiennes. « Aux Etats-Unis, les exportations françaises ont fanché de 1,2 million d'hl à 915 000 hl, entre 2007 et 2008, poursuit le directeur des Vif. Elles ont pâti du renchérissement de l'euro conjugué à la politique de hausse des tarifs pratiquée par les opérateurs nationaux. »
Situation comparable en Grande-Bretagne. Les importations françaises, qui étaient en recul depuis plusieurs années, descendues sous la barre des 2,5 millions d'hl entre 2007 et 2008. Dans le même temps, les autres pays exportateurs de la zone euro, l'Espagne et l'Italie, « résistent mieux, souligne Julien Dourgon. Leurs metteurs en marché ont pris en compte l'évolution des taux de change dans la fixation de leurs tarifs. »
Toujours entre 2007 et 2008, le prix moyen des vins espagnols à l'importation aux Etats-Unis a baissé de 34 % et celui des vins italiens a reculé de 25 %. Sur la même période, les vins français ont augmenté de 30 %. Résultat : le volume et la valeur totale des exportations de nos voisins ont continué de progresser, tandis que nous avons reculé sur les deux tableaux. Par ailleurs, les opérateurs chiliens et australiens ont également consenti des efforts tarifaires qui ont porté leurs fruits.
L'étude des Vif montre que la valeur de l'euro n'a pas le même impact sur tous les vins. Au Royaume-Uni, les exportations de champagne ont grimpé entre 2000 et 2007, en dépit de la hausse des tarifs champenois et d'une lente progression de l'euro. Mais dès l'année 2008, la tendance s'inverse. L'euro s'envole et les exportations de champagne reculent nettement. Le point de rupture est atteint. « Au début de 2009, l'euro atteint son niveau le plus haut par rapport à la livre, enchaîne Julien Dourgnon. Il a fait gonfler le prix de la bouteille à un niveau inacceptable pour le consommateur britannique. » Un phénomène identique s'est produit aux Etats-Unis : jusqu'en 2007, les exportations de champagne ne souffraient pas de la hausse de l'euro. Après, la monnaie européenne est devenu trop chère et les expéditions ont reculé pour descendre en dessous des volumes enregistrés au début des années 2000.
Fin 2007, les exportations de bordeaux s'effondrent
Au contraire, les vins de table rouges subissent directement les aléas des cours des monnaies. La hausse des taux de change creuse de manière ininterrompue la baisse des exportations de ces vins depuis le début des années 2000 tant aux Etats-Unis qu'en Grande-Bretagne. « La sensibilité des acheteurs au prix de ces vins est forte, remarque Julien Dourgnon. Qui plus est, ils sont plus facilement substituables par une autre catégorie ou origine. »
Autre cas de figure, le bordeaux au Royaume-Uni. A la fin de 2007, la hausse de l'euro se traduit par un effondrement quasi immédiat des exportations. Les Vif chiffrent la baisse à près de 40 % en volume et à 125 millions d'euros en valeur entre 2007 et 2008. Comme dans le cas des vins de table, l'envolée de l'euro a conforté une tendance à la baisse visible depuis plusieurs années. Mais, le décrochage s'est opéré plus brutalement. La forte hausse du prix des bordeaux entre 2007 et 2008 a accentué le désintérêt des importateurs pour ces vins.
Avec cette étude, les Vif veulent sensibiliser leurs adhérents aux conséquences des taux de change sur leur activité en dehors de la zone euro. « Ils ont conscience du problème, estime Christophe Chevré, directeur du pôle développement des entreprises. Mais, ils n'apprécient pas à sa juste valeur l'influence du cours de l'euro sur le prix de leurs vins exportés. Il peut se passer un à deux ans avant que leurs importateurs les informent de la situation. »
Les Vif réclament, en outre, l'ouverture d'un « débat national sur la bonne valeur de l'euro » avec les pouvoirs publics. Pour se faire entendre, ils ont intérêt à revoir leur copie. En effet, dans l'étude diffusée le 14 avril la plupart des graphes sont mal intitulés, ce qui entraîne beaucoup de confusion.
Autre hic, le cours de la monnaie européenne se déprécie actuellement face au dollar et à la livre sous l'effet de la crise grecque. « Aux Etats-Unis, nous percevons un frémissement de la demande depuis peu, confie Thierry Mothe, le vigneron de Chablis. Mais, nous avons peu d'espoir de relever nos prix de vente. » Le pire est peut-être derrière nous.