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BREXIT Déjà l'addition

CHANTAL SARRAZIN - La vigne - n°288 - juillet 2016 - page 8

Dans la foulée du vote en faveur du Brexit, la livre sterling a chuté de près de 10 %. Tous les exportateurs français redoutent d'avoir à en payer le prix.
LES CONSÉQUENCES DU BREXIT se feront sentir très rapidement sur les ventes de vins au Royaume-Uni. © LONDON NEWS PICTURES/ZUMA-REA

LES CONSÉQUENCES DU BREXIT se feront sentir très rapidement sur les ventes de vins au Royaume-Uni. © LONDON NEWS PICTURES/ZUMA-REA

Le 25 juin, au lendemain du vote en faveur du Brexit, Jean-Marc Brocard a reçu un mail de son agent basé à Colchester, une ville située à 1 h 30 au nord-est de Londres. « Il nous a dit qu'il ne s'attentait pas à ce résultat, comme beaucoup de ses concurrents, détaille le vigneron chablisien qui réalise 20 % de son chiffre d'affaires avec la Grande-Bretagne. Il souligne que les conséquences du vote sur le long terme sont encore difficiles à déterminer. Et il ajoute qu'une livre faible ne va pas aider les exportations françaises. »

« La chute de la livre, c'est la principale inquiétude que nous partageons avec notre importateur », relate Alexandre Meunier, responsable export de Loire Propriétés, un groupe coopératif basé à Brissac-Quincé (Maine-et-Loire), pour qui le Royaume-Uni figure dans le top 3 des destinations à l'export. Dans le sillage du Leave, le 24 juin, la livre sterling a en effet plongé de 9 % face à l'euro et de 11 % face au dollar. Un écart qui était encore en vigueur une semaine plus tard.

Vigneron à Châteauneuf-du-Pape (Vaucluse), Michel Arnaud en a, d'ores et déjà, fait les frais. Son caviste londonien a décidé de stopper ses commandes bien que ses stocks soient à sec. Il y a deux ans, il était venu sur son domaine. Depuis, il lui commandait une dizaine de palettes par an, des côtes-du-Rhône dans les trois couleurs, vendus entre 12 et 15 £ dans sa boutique, et des châteauneuf-du-pape rouges et blancs, entre 30 et 35 £.

Avec son importateur, en revanche, « le business continue. Nos projets restent toujours d'actualité ».

Il n'empêche. Tous les exportateurs sont sur leurs gardes. « Nous craignons une baisse de nos flux commerciaux avec le Royaume-Uni », commente Thierry Boudinaud. Vigneron à Fournès (Gard), il a créé en 2004 Sherpa Wines, une société qui sélectionne et assemble des vins de Pays d'Oc de cépages pour un importateur britannique. Cette activité représente entre 600 000 et 800 000 cols, selon les années, vendus entre 7 et 8 £, le coeur du marché en grande distribution

« La dévaluation de la livre va renchérir nos vins de 10 %, soit un euro par bouteille pour les consommateurs anglais, enchaîne Thierry Boudinaud. Sans compter que les autorités britanniques risquent d'augmenter certaines taxes, la TVA sur les alcools par exemple, pour favoriser leur propre production. »

« Si l'on franchit des seuils de prix psychologiques, les Anglais vont acheter moins ou se tourner vers des produits meilleur marché que les vins français », analyse Youmna Asseily, vigneronne à Langoiran (Gironde), qui réalise 20 % de son activité d'exportation outre-Manche. Quant aux maisons champenoises, elles pourraient perdre une partie de leurs consommateurs les plus fidèles : les cadres de la City, dont on murmure qu'ils pourraient être délocalisés.

Car les distributeurs anglais, réputés durs en affaires, vont tout faire pour préserver le pouvoir d'achat de leurs propres clients. « Ils vont mettre leurs fournisseurs sous pression, estime un consultant français. Ils vont se tourner vers les origines les moins chères, l'Espagne en Europe et le Chili ou l'Argentine dans le Nouveau Monde. »

Pour ceux qui cherchent à investir le pays, le ciel s'obscurcit. « Le climat actuel ne va pas nous aider à conquérir les supermarchés anglais », regrette Emmanuel de Salve, responsable du marketing et de la communication, de la Maison Badet Clément, à Nuits-Saint-Georges (Côte-d'Or). Depuis deux ans, l'entreprise se déploie au Royaume-Uni. Elle a engagé un responsable sur place et a participé aux deux dernières éditions de la London Wine Fair. « Heureusement, nous venons de rentrer chez Matthew Clark, le leader de la distribution on-trade (la restauration, NDLR) dans le pays », se félicite le responsable.

Pour préserver leurs parts de marché, les Français le savent, ils devront consentir des efforts tarifaires. « Nous allons devoir trouver des solutions avec nos importateurs, indique Jean-Noël Girard, directeur commercial export des Champagne Devaux, dont 30 % de l'activité provient du marché anglais. Avant le Brexit, certains d'entre eux se sont couverts en euros pour ne pas avoir à subir les effets du taux de change. Ils nous ont dit pouvoir tenir jusqu'au mois de septembre. »

Et après ? « Si la monnaie anglaise reste à son niveau actuel, leurs coûts d'achat vont augmenter, précise Jean-Noël Girard. Ils pourront difficilement répercuter ces hausses auprès de leurs clients. Leurs marges vont s'affaisser. » Et leurs fournisseurs devront les soutenir en prenant à leur charge une partie du surcoût lié à la chute de la livre sterling.

À la cave des Costières de Pomerols, dans l'Hérault, Joël Julien, le directeur, ne se fait pas d'illusions. « On va devoir baisser nos prix sur le millésime 2016 pour préserver nos parts de marché », prévient-il. Il ne sait pas encore dans quelle proportion. La Grande-Bretagne représente 38 % du chiffre d'affaires à l'exportation de l'entreprise. « C'est de loin notre premier marché grâce au picpoul-de-pinet, dont 80 % de nos ventes en Grande-Bretagne passent par les supermarchés », enchaîne Joël Julien. Ces ventes frôlent le million de cols, contre 60 000 en 2008, année du démarrage. Amateurs de blancs, les Britanniques sont devenus fans de l'appellation. « Notre gamme se positionne sur le coeur du marché - de 5,5 à 8 £, selon les enseignes et les produits - un segment dynamique », indique Joël Julien. Pour compenser le manque à gagner à venir, il envisage de pousser ses ventes aux Pays-Bas et en Scandinavie où l'appellation aussi la cote.

Dans le mail qu'il a adressé à Jean-Marc Brocard, son agent se veut toutefois rassurant. « Pas de panique, écrit-il. Notre pays est habitué aux fluctuations monétaires, et les Anglais vont continuer à boire des vins français ! »

Un processus long et douloureux

Avec 51,9 % des voix, les Britanniques ont voté en faveur de la sortie de l'Union européenne. L'article 50 du Traité européen prévoit qu'un État membre peut demander sa sortie. Le gouvernement britannique devra en faire la demander auprès du Conseil européen. Une fois cette demande déposée, les parties auront deux ans pour se séparer. Le processus prendra donc du temps. D'autant que les partisans du Brexit ne s'étaient visiblement pas préparés à la victoire, et n'ont pas de réel plan d'action. En attendant, la Banque d'Angleterre devrait soutenir la livre sterling pour enrayer sa dévaluation par rapport aux autres monnaies.

1,2 milliard d'euros de vins français

La Grande-Bretagne est le second acheteur de vins français en volume et en valeur. En 2015, nos exportations vers ce pays se sont élevées à 18,4 millions de caisses de 9 litres (- 6%), pour un montant de 1,2 milliard d'euros (+5 %), selon la Fédération des exportateurs de vins et spiritueux français (FEVS). Le champagne est largement en tête des vins exportés.

JASON YAPP ET DAVID GLEAVE, DEUX IMPORTATEURS BASÉS À LONDRES « Tous les vins importés vont être affectés par le décrochage de notre monnaie »

JASON YAPP, DIRECTEUR ET FONDATEUR DE YAPP BROTHERS WINE MERCHANTS © JOHN MILLAR

JASON YAPP, DIRECTEUR ET FONDATEUR DE YAPP BROTHERS WINE MERCHANTS © JOHN MILLAR

DAVID GLEAVE, MASTER OF WINE, DIRECTEUR ET FONDATEUR DE LIBERTY WINES

DAVID GLEAVE, MASTER OF WINE, DIRECTEUR ET FONDATEUR DE LIBERTY WINES

« Le problème immédiat, pour les vins français, c'est la dévaluation de la livre sterling par rapport à l'euro, constatent Jason Yapp et David Gleave, deux importateurs basés à Londres. Toutefois, tous les vins importés vont être affectés par le décrochage de notre monnaie. »

Selon David Gleave, les vins australiens et néo-zélandais pourraient même souffrir davantage que les français car la livre a plus baissé par rapport aux monnaies de ces pays que vis-à-vis de l'euro.

« Heureusement, nous avons du stock, explique Jason Yapp. Cela va nous permettre de contenir l'inflation. »

De son côté, David Gleave a fait le plein d'euros juste avant le vote pour pouvoir acheter à des prix stables jusqu'en septembre. « Nous prendrons contact avec nos fournisseurs français dans un mois pour faire le point. Nous y verrons plus clair sur l'évolution de notre monnaie, annonce-t-il. Mais si rien ne bouge après septembre, nous devrons augmenter nos prix, sauf si nos partenaires nous aident. » Et d'ajouter : « La consommation de vin diminue en Grande-Bretagne, excepté celle des bouteilles à plus de 10 £. Sur ces vins, les hausses sont moins perceptibles que sur les entrées de gamme. Je conseille donc aux producteurs français de travailler dur pour élaborer des vins de plus en plus qualitatifs. »

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