Aline et Rémy Simon, en Alsace « Nous avions le choix : arracher ou produire hors AOC. » © M. FAGGIANO
Daniel Chaussy et sa sœur Christine, en Vallée du Rhône « Nous présentons la chaussynette comme un vin plaisir. » © J.-C. GRELIER/GFA
Bien des viticulteurs d'appellation ont lancé des vins de table pour élargir leur offre. Désormais, ce sont des vins de France. Leurs producteurs sont convaincus que ce changement, apporté par la réglementation, leur sera profitable.
A la tête du Mas de Bois Lauzon, près d'Orange (Vaucluse), Daniel Chaussy produit du chateauneuf-du-pape et des côtes-du-rhône. Depuis cinq ans, au gré de la demande, il déclasse une partie de son appellation régionale en vin de table, devenu vin sans indication géographique depuis le millésime 2009. Facétieux, il a baptisé cette cuvée la Chaussynette.
« Les clients en redemandent »
« Nous avons planté des parcelles en côtes-du-rhône, il y a sept ou huit ans. C'est avec ces vignes, qu'on prépare notre cuvée Chaussynette. C'est un assemblage de syrah, grenache, carignan et mourvèdre. Je la décline en rouge et en rosé. J'en vends environ 12 000 cols par an. Je la propose à 4,50 euros au caveau, soit moitié moins que le côtes-du-rhône. Le produit marche bien, car il a un rapport qualité prix excellent. Les clients en redemandent. Je présente la Chaussynette comme un vin plaisir, complémentaire de mes AOC. C'est la bouteille idéale à l'apéritif, tandis que mes vins d'appellation se servent surtout à table. »
Pour Daniel Chaussy, l'intérêt de la nouvelle réglementation réside dans la possibilité de mettre le millésime. « Ma Chaussynette est un vin d'assemblage. A priori, la mention du cépage ne m'intéresse pas. En revanche, le millésime va être un atout, surtout sur mes marchés d'Angleterre et du Danemark. »
Même démarche de segmentation pour Cyril Labeille, producteur d'AOC Bordeaux et Graves de Vayres (Gironde). « En 2005, nous avons produit des vins de table sur des parcelles d'AOC. Avec mon père, nous avions constaté qu'il y avait un marché auprès de plusieurs cavistes de la région. Nous avons démarré doucement avec 350 hl de rouge, proposés en bib », raconte le jeune homme.
L'initiative commerciale est d'autant plus pertinente que les rendements en vin de table sont deux fois supérieurs à ceux de l'AOC. « Comme le produit a bien marché, nous en avons vendu un peu plus en 2006. Nous sommes passés à 700 hl de rouge et 150 hl de rosé », poursuit-il.
En revanche, en 2007, 2008 et 2009, la succession de petites récoltes à Bordeaux pousse notre exploitant à privilégier la production d'appellation sur son exploitation. Alors, pour ne pas perdre ses marchés, Cyril Labeille, qui a monté une petite activité de négoce, s'approvisionne auprès de quelques viticulteurs de la région mais aussi, en Languedoc.
Cette année, il a acheté 2 000 hl du millésime 2009. Pour la première fois, il a pu mentionner le cépage sur ces vins. Une « très bonne chose » selon lui, car ce changement a renouvelé l'intérêt de ses clients. « Nous avons vendu le tout, en bib de 5, 10 et 20 litres, sous la marque Le Rucher, clin d'œil à mon nom de famille. Nous avons proposé une gamme complète avec un rouge 100 % merlot, un blanc 100 % sauvignon et un rosé. Les bibs de 10 litres sont vendus entre 20 et 22 euros l'unité », poursuit le jeune homme.
Satisfait de ses ventes, Cyril Labeille attend de voir comment s'annonce la prochaine récolte pour déterminer s'il va produire du vin de France sur son propre domaine ou s'il va continuer à en acheter. Une chose est sûre, il n'abandonnera pas sa marque. « Si je dois acheter du vin pour approvisionner mon Rucher, je jouerais peut-être sur la règle du 85-15 pour ne pas avoir à augmenter mes tarifs si les cours du sauvignon repartent à la hausse », précise-t-il.
Chez Aline et Rémy Simon, producteurs de vins d'Alsace à Saint-Hypolite (Haut-Rhin), la cuvée Harmonie, produite sans indication géographique, est la seule à avoir droit aux bibs. « Les appellations de notre région ne peuvent pas utiliser ce conditionnement, rappelle Aline Simon. Grâce à notre vin de France, nous répondons à une demande. En plus de la bouteille, nous proposons deux formats : 3 et 5 litres. Les deux marchent bien. »
A l'origine d'Harmonie, figure une bien mauvaise surprise : le déclassement en 2002 d'une parcelle de 96 ares. « Quand les Douanes nous ont appris que cette surface n'avait plus le droit à l'appellation, nous avions le choix entre l'arrachage et la production en vin de table », se souvient l'exploitante.
Elle choisit la seconde option. La parcelle déclassée est plantée en pinot blanc, avec quelques rangs de pinot noir. « Nous avons décidé de faire un Harmonie en blanc, l'équivalent de 7 000 cols par an et un peu de rosé, environ 2 400 cols. Pour la bouteille, nous avons choisi une forme allongée chez un verrier italien », raconte Aline Simon. Le modèle retenu est un peu plus haut que la traditionnelle bouteille alsacienne. Harmonie est vendue 3,60 euros TTC pour le blanc et 4 euros pour le rosé. Le différentiel avec les vins d'Alsace d'entrée de gamme est faible puisque le domaine vend son sylvaner à 4,30 euros. « Entre AOC et vin sans IG, les rendements sont les mêmes, précise Aline Simon. Dans les deux cas, il faut maîtriser la production si on veut obtenir assez de concentration ».
Avec la nouvelle réglementation, elle peut indiquer « pinot » sur leurs deux cuvées Harmonie. « A l'intérieur, c'est le même vin qu'avant. Côté packaging, nous n'avons rien changé non plus. La seule nouveauté c'est l'apposition des deux nouvelles mentions : « pinot » et « vin de France ». C'est peu. Et pourtant cela change tout ! Dans l'esprit du client, comme dans celui de l'acheteur en grande distribution, le vin semble plus qualitatif », sourit-elle.
Pour Jean-Louis Thuaud, c'est surtout la mention vin de France qui change tout. « C'est une dénomination bien plus valorisante que vin de table, indique ce viticulteur de Saint-Hilaire-de-Clisson (Loire-Atlantique) qui produit de l'egiodola, un cépage rouge obtenu par l'Inra, réputé pour donner des vins très colorés. Cela va être profitable à mon egiodola. En revanche, j'ai décidé de conserver l'indication géographique Val de Loire pour les vins que j'exporte. Selon moi, l'identité régionale est un bon moyen de se différencier à l'étranger. De plus, la Loire est un fleuve connu. C'est un nom associé aux châteaux… Bref, c'est porteur à l'export. »
A écouter parler ces viticulteurs de leur cuvée en vin de France - à l'origine produite en vin de table - on s'aperçoit que leur objectif est identique : offrir un vin qui plait avec un bon rapport qualité-prix.
« C'est la seule chose qui compte », résume Daniel Chaussy. « C'est cela qui me plaît avec les vins sans indication géographique. Le seul agrément à passer : c'est le consommateur. C'est pourquoi je préfère produire mon rosé en vin de France plutôt qu'en côtes-du-rhône. Je n'ai pas envie de m'entendre dire que la couleur est trop ceci ou pas assez cela. Je sais ce qui plaît à ma clientèle. Je réponds à sa demande. C'est tout. »
Même constat chez Jean-Louis Thuaud : « Mes clients au caveau veulent un bon vin, pas trop cher. Après, qu'il s'appelle vin de France ou vin du Val de Loire… peu leur importe ! » Et de poursuivre : « La liberté de travail avec les vins de France est appréciable. J'envisage des assemblages qui n'existent pas en vin du Val de Loire, par exemple avec mon egiodola… »
Pas d'examen, pas de stress
Nos quatre producteurs se rejoignent sur un troisième point : tous apprécient la légèreté des contrôles. « En tant que producteur d'appellation, on n'est jamais à l'abri d'un audit des vignes », déclare Aline Simon. Or, qui dit examen, dit stress… « Nous n'avons pas autant de compte à rendre en vin de France. C'est appréciable. »
La souplesse permise en vin de France ouvre de nouvelles perspectives. « A Bordeaux, beaucoup de producteurs sont concernés par les changements de densité de plantation. Comme ils n'ont pas toujours les moyens de restructurer à cause du contexte économique, il est fort probable que certains jouent la carte vin de France pour des vignes qui ne seront pas dans les clous. »
C'est peut-être là le secret et l'enjeu commercial des vins de France : proposer de bons vins, pas chers, tout simples. Des vins qui ne soient pas des casse-tête pour ceux qui les font, ni pour ceux qui les boivent.