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Magazine - Etranger

Bulgarie Le coin des rêveurs

MATHILDE HULOT - La vigne - n°293 - janvier 2017 - page 66

À l'extrême nord-ouest de la Bulgarie, quelques producteurs animés par des rêves de grandeur font des vins dans des conditions difficiles et cherchent à attirer les touristes.
« JE RESSENS LE VIN, JE RÊVE LE VIN », proclame Val Markov, fondateur du château de Val, première cave particulière créée en Roumanie après la chute du communisme. ©  CHÂTEAU DE VAL

« JE RESSENS LE VIN, JE RÊVE LE VIN », proclame Val Markov, fondateur du château de Val, première cave particulière créée en Roumanie après la chute du communisme. © CHÂTEAU DE VAL

LE CHÂTEAU DE BURGOZONE, forteresse de béton dominant le Danube, est construit à l'emplacement d'une place-forte antique. M. HULOT

LE CHÂTEAU DE BURGOZONE, forteresse de béton dominant le Danube, est construit à l'emplacement d'une place-forte antique. M. HULOT

LE MAÎTRE DE CHAI du château Burgozone peut travailler ses vins dans d'excellentes conditions grâce à des équipements professionnels dernier cri.  M. HULOT

LE MAÎTRE DE CHAI du château Burgozone peut travailler ses vins dans d'excellentes conditions grâce à des équipements professionnels dernier cri. M. HULOT

LA FAMILLE MARINOV (BILIANA ENTRE SES PARENTS) a constitué son domaine dans cette partie de la Bulgarie qui borde le Danube.  M. HULOT

LA FAMILLE MARINOV (BILIANA ENTRE SES PARENTS) a constitué son domaine dans cette partie de la Bulgarie qui borde le Danube. M. HULOT

De l'autre côté du fleuve, c'est la Roumanie. M. HULOT

De l'autre côté du fleuve, c'est la Roumanie. M. HULOT

BOROVITZA est l'une des marques bulgares reconnues sur les marchés belge et britannique. M. HULOT

BOROVITZA est l'une des marques bulgares reconnues sur les marchés belge et britannique. M. HULOT

ADRIANA SREBRINOVA (ici avec sa fille et sa petite-fille), associée du fondateur récemment décédé, a repris cette propriété de 132 ha qui exporte 90 % de sa production. M. HULOT

ADRIANA SREBRINOVA (ici avec sa fille et sa petite-fille), associée du fondateur récemment décédé, a repris cette propriété de 132 ha qui exporte 90 % de sa production. M. HULOT

Un jeu de mots en Bulgare transforme - en changeant quelques lettres - « Bulgarie du Nord-Ouest » en « Bulgarie effondrée du Nord ». C'est bien vu : routes criblées de nids-de-poule, villages désertés, usines et infrastructures à l'abandon, le Nord a un aspect de bout du monde où la nature reprendrait ses droits.

Pourtant, des trésors existent dans cette région proche des frontières serbe et roumaine, longée par le Danube : la ville fortifiée de Vidin, les roches spectaculaires de Belogradchik et la grotte préhistorique de Magura, classée Patrimoine mondial de l'Unesco pour ses peintures rupestres.

Depuis la fin des années 1990, quelques aventuriers se sont montrés suffisamment fous pour y créer des domaines viticoles. La famille Marinov est du nombre. Elle a érigé le château Burgozone sur un coteau dominant le Danube. De l'édifice, on aperçoit la Roumanie sur l'autre rive du fleuve et l'île de l'Espéranto où se réunissaient ceux qui croyaient à l'avènement d'une langue universelle sous le gouvernement communiste. À cette époque, la Bulgarie était le cinquième producteur mondial de vin.

Les Marinov ont planté leur rêve à la place d'une forteresse qui défendait la région du temps des Romains. Pas une pierre ne subsiste de ce passé. À la place, un bâtiment massif exhibe ses murs de béton brut. On dirait un château fort en Lego. Campé en haut de la tour centrale, le drapeau bulgare flotte au vent. « Nous attendons un partenaire financier pour peindre les murs », explique Biliana Marinova. La trentenaire affiche un professionnalisme exemplaire dans ce projet qui évoque une folie de nouveau riche. Son bagage : dix ans passés dans la banque UBS, à Bruxelles, et un MBA de la Kedge Business School, à Bordeaux, « très utile pour créer des contacts et connaître du monde », précise-t-elle dans un français impeccable.

Un chai dernier cri

Un groupe de professionnels du tourisme est venu pour étudier le potentiel de la propriété. Car, malgré la difficulté d'accès, le lieu pourrait accueillir des groupes de visiteurs dans des chambres situées au-dessus de la cuverie. « Nous avons même un spa », précise la mère de Biliana, dont les yeux brillent à l'évocation de ce projet oenotouristique.

La cuverie est équipée de matériel dernier cri, offrant à l'oenologue la liberté d'élaborer rouges et blancs dans d'excellentes conditions. Le vignoble n'a pas été simple à constituer. Il a fallu deux avocats et des années de bataille pour rassembler les parcelles appartenant à 350 propriétaires différents après le démantèlement de l'empire soviétique. Les vignes sont jeunes et ne paraissent pas au mieux de leur forme. Le vent et l'humidité menacent les récoltes. À l'entrée de la propriété, des parcelles ont déjà perdu des rangs entiers. « Nous allons les arracher et faire un parking », commente Biliana.

La famille a planté des cépages français (pinot noir, cabernet-sauvignon, cabernet franc, merlot, syrah, marselan, egiodola, viognier et chardonnay) grâce aux conseils avisés des pépinières Guillaume qui fournissent de nombreux vignerons bulgares. Elle a aussi retenu deux variétés locales - gamza et tamianka - « parfaites pour notre climat », précise Biliana. Celle-ci a choisi des bouteilles bourguignonnes qu'elle estime mieux correspondre au style de son vin qu'elle qualifie en trois F : finesse, fruité et fraîcheur.

Plus au nord se trouve le village de Granets, dont une maison sur deux est abandonnée. À la sortie de la bourgade, un porche cache une villa aux murs de couleur pêche, affublée d'un grand escalier blanc bordé de colonnes. Un drapeau américain couvre la façade. Val Markov, queue-de-cheval et teint basané, ressemble à un Indien échappé d'un western. « J'adore les cow-boys et les Indiens », lance-t-il en nous faisant entrer dans son mini-chai. « Et le rock'n'roll », ajoute-t-il.

Val a fui clandestinement sa Bulgarie natale à 22 ans pour le rêve américain. Mais à la chute du communisme, en 1990, c'est l'appel du pays. Il rentre et décide de faire du vin au Château de Val. Avec 30 ha, il estime être la « première cave particulière depuis la chute du communisme ».

Une région au fort potentiel

« Je ressens le vin, je rêve le vin », explique-t-il. En blanc, il plante du riesling, du chardonnay et du sauvignon. En rouge, il assemble les cépages merlot, cabernet franc, petit verdot, syrah et gamza pour constituer la cuvée principale, le Claret. Les grandes années, il élabore même un Grand Claret. Son millésime 2011 est toujours en fûts. Il l'y laissera encore longtemps et jure de le vendre « très cher » quand il l'aura embouteillé.

Il lui arrive de vendre ses raisins à Borovitza. C'est là aussi qu'il embouteille ses vins. Borovitza, cave créée en 2005, ne compte pas moins d'une cinquantaine d'étiquettes. C'est l'une des marques bulgares reconnues sur les marchés belge et britannique. Son gamza y est un best-seller.

Le créateur, Oguyan Tzvetanov, est décédé début 2016, laissant son associée, Adriana Srebrinova, face à un défi de taille : continuer d'élaborer et de commercialiser les « inventions de cet oenologue de génie ». Avec 12 ha en propriété et 120 ha loués, le domaine produit 50 000 bouteilles et vend le reste en vrac. Il exporte 90 % de sa production. Gamay, pinot noir, roussane, marsanne, cépages bordelais et rkatziteli donnent des vins variés et très bien élaborés, témoins du potentiel de cette partie de la Bulgarie.

Difficile, à travers ces parcours originaux, de parler de typicité de la plaine du Danube. Mais ici, les vins ont en commun une fraîcheur qui les rend très agréables à boire.

Des rendements très faibles

Cinquième producteur mondial et deuxième exportateur derrière la France : c'était la position de la Bulgarie sous l'ère communiste. Depuis le tournant politique de 1989, ce pays viticole dont l'origine remonte aux Thraces connaît une autre réalité. Les 250 000 hectares d'alors sont tombés à 60 000 aujourd'hui, soit quatre fois moins. L'état des vignes et la météo capricieuse ne permettent pas de gros rendements. Le Nord est sujet au froid, aux pluies et aux maladies. Selon la Commission européenne, la Bulgarie récolte en moyenne de 1,2 million d'hectolitres (Mhl) par an, soit un rendement de 19 hl/ha. En 2014, après de sévères intempéries, le pays n'a récolté que 830 000 hl. Aujourd'hui, une récolte bulgare ne dépasse jamais 1,8 Mhl.

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