Depuis la loi du 30 décembre 1988, le redressement et la liquidation judiciaire sont applicables aux agriculteurs. Indirectement, cela implique une entorse à l'article L. 411-35 du code rural qui pose le principe de l'interdiction de cession du bail rural. En effet, en cas de redressement ou de liquidation d'une entreprise agricole, le tribunal de grande instance est compétent pour décider de la cession du bail au plus offrant. Dans ce cas, le droit agricole s'efface devant le droit de l'entreprise. Mais cela n'est pas toujours le cas. Parfois, c'est l'inverse, comme le montre une jurisprudence récente où le juge a tenu compte des particularismes du droit agricole.
La mise en demeure reste sans réponse
Paul est titulaire d'un bail sur la propriété d'André. Ses affaires vont mal. Depuis deux ans, il règle ses fermages avec retard et même partiellement. André craint un redressement qui pourrait aboutir à la mise en place d'un plan de cession. Il sait que dans cette hypothèse, le contrat de bail qu'il a passé avec Paul risque d'être transmis à un repreneur. André n'a donc qu'un seul objectif : récupérer par tous les moyens sa propriété en faisant résilier le bail. En effet, il sait qu'il ne peut prétendre à une résiliation pour défaut du paiement des fermages échus, puisque c'est le principe même de la cessation des paiements…
Ce que craignait André arrive. Paul est mis en redressement et comme le permet la procédure, l'administrateur continue le bail au nom de son administré. André ne peut prétendre se faire régler : il doit simplement produire sa créance avec un vague espoir d'être payé à l'issue de la procédure.
Mécontent de son sort, il pense trouver une solution via l'article L. 622-13 du code du commerce. Ce texte, applicable aux agriculteurs comme aux commerçants, permet à André de mettre l'administrateur en demeure d'exécuter les contrats en cours ou d'y renoncer expressément. Selon ce texte, faute de réponse dans le mois de la mise en demeure, le contrat est résilié de plein droit. André retrouve espoir. Il envoie sa mise en demeure et comme il l'espérait, l'administrateur ne répond pas dans le délai. Pour André, le contrat de bail est résilié. Il saisit le juge des référés pour obtenir l'expulsion de son locataire. Le tribunal des référés et la cour d'appel font droit à sa demande.
A l'époque des faits, le droit ne prévoit qu'une exclusion au domaine d'application de l'article L. 622-13 : le contrat de travail. Le raisonnement des juges du fond est simple : le bail rural n'est pas un contrat de travail, c'est un contrat de location qui doit se voir appliquer l'article.
La Cour de cassation ne va pas voir les choses ainsi. Elle va faire œuvre novatrice en appliquant, à des faits datant de 2006, un principe reconnu dans une ordonnance du 18 décembre 2008. Elle déclare que le bail n'est pas un contrat comme un autre, sa résiliation ne peut être prononcée contre l'administrateur que s'il ne règle pas les loyers dus à partir du troisième mois du jugement ayant prononcé le redressement.
En clair, les juges suprêmes distinguent contrat en général et location d'immeuble destiné à l'activité de l'entreprise, ce qu'est bien un bail rural.
C'est exactement ce que va prévoir l'ordonnance du 18 décembre 2008 qui a modifié l'art L 622-14 du code de commerce. Les juges statuant sur une mise en demeure de 2006 ne pouvaient expressément faire état de l'ordonnance de décembre 2008, mais ils l'ont bien indirectement appliquée.