« Ils sont bosseurs, sérieu, et ils veulent bien faire. » Jean-François Bertrand ne tarit pas d'éloges sur les ouvriers roumains. Il y a six ans, ce viticulteur, à la tête d'un domaine de 115 ha de vignes à Chevanceaux, en Charente-Maritime, a créé Vie Tech, une société prestataire de travaux viticoles. Vie Tech emploie cinq saisonniers français et dix saisonniers roumains. Ces derniers, embauchés en CDD, titulaires d'une carte de séjour, bénéficient du même salaire que les Français et d'une couverture sociale. Ils sont dans les vignes, quatre mois en hiver, deux mois en été. Entre-temps, ils repartent dans leur pays.
Taille, pliage, élevage, le travail ne manque pas. Vie Tech, affiche une quinzaine de clients dans le Cognac, soit 350 hectares dont il faut s'occuper. Adrian, Ion, Wasiel, Dorinel et les autres ne rechignent pas à la tâche. Mais selon Jean-François Bertrand, ils avaient été maltraités par les précédents employeurs. « Il a fallu les apprivoiser, dialoguer et leur faire comprendre qu'on ne les traitait pas avec un coup de pied dans le cul. Je me battrai pour continuer à les aider à trouver du travail. »
La conviction de Jean-François Bertrand ne doit rien au hasard. Au démarrage de son activité de prestataire, Vie Tech passe par les services d'un chef d'entreprise bien implanté en Roumanie qui embauchait des Roumains sur place avant de les détacher, c'est-à-dire de les envoyer travailler en France tout en restant salariés de la société roumaine.
« La prestation était intéressante : 15,50 euros de l'heure contre 17 euros en passant par une société d'intérim française. Mais la facturation était complexe et, très vite, je me suis rendu compte que ces gens-là étaient exploités et qu'ils n'avaient pas de couverture sociale. » Jean-François Bertrand préférera se rendre en Roumanie pour embaucher lui-même le personnel, selon la réglementation française.
Avoir des travailleurs fidèles et fiables
Si la greffe roumaine a bien pris, c'est qu'elle masque un vrai problème. « Les jeunes français ne sont pas attirés par les métiers de la vigne. C'est un travail dur. On est face à une pénurie de main-d'œuvre », affirme Nicolas Meylan, directeur d'exploitation de Château Lestruelle et Maison Blanche, à Saint-Yzans-de-Médoc (Gironde).
« Ce qui nous importe, ce n'est pas d'obtenir un prix imbattable, c'est d'avoir des travailleurs sérieux et fiables. Nous n'arrivons pas à fidéliser les Français. Dans une équipe, souvent l'un ou l'autre ne vient pas travailler, sans prévenir. Avec les Roumains, nous n'avons pas ce problème : on peut compter sur eux tous les jours », explique le directeur technique d'un château du Haut Médoc d'une centaine d'hectares, où la taille et l'épamprage sont sous-traitées depuis six ans.
Fabrice Privat ne dit pas autre chose. En 2008, il a créé Vignexpert services, prestataire de droit français utilisant de la main-d'œuvre étrangère, qui se déploie en Charente et en Gironde (une vingtaine de clients), et qui emploie une trentaine de Français et seize Roumains en CDI. L'entreprise devrait faire appel à une dizaine d'autres Roumains en CDD pour des contrats de six mois.
En attendant, les structures qui proposent des ouvriers roumains fleurissent. Daniel Hristea, représentant de la société roumaine Darby-Intergroup, assure travailler pour des vignobles de Narbonne (Aude) et de Cahors (Lot). Il facture les services de ses ouvriers 15 % moins cher que ceux d'une société française.
Alin Barbu, lui, a installé en novembre dernier, Alnest, un cabinet de recrutement à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), qui fait le lien avec des agences intérimaires roumaines prêtes à détacher du personnel en France. Arrivé en France en 1990, à l'âge de quinze ans, Alin Barbu répète qu'il veut « rapprocher » les communautés françaises et roumaines. « Les prestataires cherchent une main-d'œuvre qualifiée. Je sais où la trouver. » Depuis novembre dernier, il a placé cinquante de ses compatriotes.
Vérifiez que vos prestataires sont bien en règle
« J'encourage les viticulteurs qui emploient des prestataires de services à être très vigilants sur les documents qu'ils doivent apporter », conseille Marie-France Chauvet-Raynaud, responsable du service employeur de la FDSEA 33. Ainsi, lorsqu'un prestataire est domicilié en France, il doit vous fournir tous les six mois et ce jusqu'à la fin de l'exécution du contrat : une demande d'attestation de fourniture de déclaration sociale de la MSA, une attestation sur l'honneur du dépôt auprès de l'administration fiscale de l'ensemble des déclarations fiscales, un extrait de K bis s'il est inscrit au registre du commerce et une attestation sur l'honneur établie à la date de la signature du contrat indiquant qu'il a bien déclaré à la MSA les salariés qu'il emploie. Il doit donner une déclaration préalable à l'embauche. Les mêmes documents sont demandés au prestataire domicilié à l'étranger. Ils doivent être rédigés en français ou accompagnés d'une traduction en langue française. Si le prestataire est assujetti à la TVA dans son pays, un document doit mentionner le numéro d'identification attribué par les services fiscaux. S'il n'est pas assujetti à la TVA, il doit fournir son identité et les coordonnées de son représentant fiscal en France. Dans tous les cas, il doit prouver qu'il est affilié au régime de Sécurité sociale de son pays d'origine ou qu'il bénéficie d'une convention internationale de Sécurité sociale. Il convient également de demander la liste nominative des salariés étrangers qui ont une autorisation de travail en France, la date d'embauche, le type de travail exigé.
Des grands noms dans l'embarras
En Gironde, une affaire embarrasse la filière viticole. Au point que beaucoup de châteaux et domaines refusent de parler du fait qu'ils font travailler des Roumains. « On passe pour des fraudeurs ou des esclavagistes », explique le directeur technique d'une propriété. Le 12 novembre 2009, le tribunal correctionnel de Bordeaux condamnait deux chefs d'entreprises, Guy Labeyrie et Jacky Beaudouin, pour dissimulation de salariés et emplois d'étrangers sans titre de travail. Or, CVBG, Castel, les vignobles Magrez et de grands châteaux du Médoc avaient utilisé leurs services. Entre novembre 2006 et août 2007, ils avaient détaché en France 237 ouvriers recrutés en Roumanie pour les mettre à disposition d'exploitations bordelaises. Les condamnés ont fait appel du jugement de première instance. L'audience s'est déroulée le 18 janvier. Que leur reproche la justice ? French Wine Club (FWC), une des trois sociétés roumaines créées par Guy Labeyrie, embauchait sur place des ouvriers roumains qu'elle détachait en France au profit de deux entités françaises : Europe Workers et Vinexpert laquelle proposait la main-d'œuvre aux châteaux. Le détachement de salariés étrangers est rentable puisqu'il permet de payer les charges fiscales et sociales du pays d'origine. Mais pour l'avocat général, on est en présence de faux détachements. Les sociétés françaises Europe Workers et Vinexpert étaient les véritables employeurs des Roumains. « Le montage juridique a été organisé pour ne pas payer de charges sociales en France et pour les faire travailler à un coût inférieur à la main-d'œuvre française. » De son coté, l'avocat de la défense a pointé du doigt le fait qu'il n'y avait pas eu d'investigation menée dans les sociétés roumaines de Guy Labeyrie. En conséquence, rien ne démontre qu'elles n'exerçaient pas une activité pérenne et significative. Délibéré le 1er mars prochain.