LA VIGNE : Vous venez de terminer une enquête auprès de 288 domaines bourguignons. Certains résultats vous ont-ils étonnés ?
Bruno Guichard : L'enquête m'a confirmé le décalage entre l'idée que l'on se fait des choses et les choses elles-mêmes. Certains domaines semblent florissants de l'extérieur, mais la réalité est toute autre. Quand on voit que moins de 10 % des exploitations équilibrent leurs comptes, financent leur développement et dégagent un revenu pour les exploitants, on peut se dire que la filière est en grande difficulté.
Comment les exploitations tiennent-elles ?
B. G. : De nombreux domaines ont un patrimoine – des bâtiments, des vignes - qui sont leur outil de travail. Le banquier prête à hauteur de ce patrimoine, mais c'est parfois une fuite en avant. Beaucoup de vignerons vivent à crédit plus qu'il ne le faudrait. Certains ne parviennent pas à payer les fermages familiaux et ont des ouvertures de crédit importantes. Mais en viticulture, il y a un grand laps de temps entre le moment où l'entreprise commence à souffrir et son dépôt de bilan. Cela induit parfois des bombes à retardement au niveau des successions. Je pense notamment aux comptes courants d'associés (CCA).
Pourquoi les comptes courants d'associés présentent-ils un danger ?
B. G. : Souvent, ils ne sont pas apurés. Au décès des parents, la succession est ouverte et il faut bien les rembourser. Or, avec l'allongement de la durée de vie, la génération qui est aux affaires approche souvent de la retraite lors du décès de ses parents. Ils doivent donc gérer les comptes courants de leurs parents et les leurs. C'est une situation explosive pour la génération qui arrive aux affaires.
Quels conseils donneriez-vous aux vignerons ?
B. G. : Il faut externaliser des tâches en se regroupant avec des collègues et mettre en place des sociétés de services maîtrisées par les exploitants. Pourquoi ne pas recruter à quatre ou cinq une secrétaire-comptable qui gère toutes les tâches administratives et la comptabilité ? Ou un commercial ? Il en est de même pour le matériel. C'est vrai que c'est compliqué et que cela demande de la transparence et un changement dans son organisation. Chaque crise fait apparaître de nouvelles structures. On a vu la naissance des coops, puis celle des GFA (Groupements fonciers agricoles), des SCEV. On va peut-être voir celle des sociétés de services et de moyens.
Pour le foncier, vous préconisez l'apport de capitaux extérieurs…
B. G. : Le modèle de l'exploitation traditionnelle où le vigneron est propriétaire de son chai, de ses vignes et de son matériel a vécu. Même ceux qui ont la chance d'hériter de leurs parents doivent un jour ou l'autre rembourser leurs frères et sœurs et cela devient très difficile, voire impossible. Mais est-ce si important d'être propriétaire de ses vignes ? Ce qui est important, c'est d'être propriétaire de l'usage et du droit de travailler avec un bail de carrière. Il faut mettre en place des sociétés d'apporteurs de capitaux qui donneront un bail à un ou plusieurs vignerons. Des investisseurs privés sont prêts à s'engager auprès des vignerons sur des périodes longues. C'est la conception même de l'entreprise viticole qu'il faut repenser. C'est la clé pour s'assurer un devenir. Il est vital de créer des formules qui permettent de séparer le patrimoine du vigneron, son outil de travail et l'exploitation du domaine. Les solutions existent. Chaque situation nécessite une approche individuelle.
Qui peut aider les vignerons à opérer le changement nécessaire ?
B. G. : C'est le rôle d'une organisation professionnelle de réfléchir, de coordonner et d'inciter les vignerons à s'adapter à d'autres schémas. On peut s'inspirer du syndicat général des vignerons de Champagne qui accompagne ses adhérents sur tous les aspects sociaux, juridiques, fiscaux et interprofessionnels. En Bourgogne, la CAVB va mettre en place des services de cet ordre à travers un service accompagnement.