A SANTORIN, la vigne semble jaillir du sol du fait d'un mode de conduite « en corbeille » qui vise à protéger la végétation du vent desséchant du Sud. Cultivée sur 1 200 ha, elle produit des vins originaux qui s'invitent sur les marchés internationaux.
PARIS SIGALAS, l'homme par qui le palissage, ce mode de conduite révolutionnaire, est entré dans le vignoble trois fois millénaire de Santorin.
IOANNA VAMVAKOURI, œnologue du domaine Boutari a fait ses études à Montpellier et à Toulouse. « Nous essayons de préserver les arômes, malgré un niveau d'alcool élevé dû au vent et au soleil. » © PHOTOS E. MALNIC
LES SARMENTS conservés lors de la taille sont tressés en corbeille pour que le cep ne s'étale pas. En été, les viticulteurs placent les grappes à l'intérieur où subsiste de la fraîcheur.
LES SARMENTS conservés lors de la taille sont tressés en corbeille pour que le cep ne s'étale pas. En été, les viticulteurs placent les grappes à l'intérieur où subsiste de la fraîcheur.
Les Cyclades, c'est la mer azur, les maisons chaulées de blanc et les églises coiffées de coupoles bleues. Derrière cette image emblématique, il y a la vigne, dont la culture a démarré il y a plus de trois millénaires. Dans les années 1960, l'essor du tourisme de masse a eu raison des vignobles, les réduisant à une présence anecdotique. C'était sans compter avec une poignée de passionnés, qui, seuls ou adossés à de grands groupes, ont redonné au vignoble ses lettres de noblesse.
Au sud de la mer Egée, Santorin occupe une place tout à fait particulière. C'est le plus grand vignoble des Cyclades, un vignoble franc de pied composé de ceps ayant échappé au phylloxera, se reproduisant par marcottage, et dont certains atteignent 150 ans, voire 400 ans selon les viticulteurs locaux.
Et le mode de culture est très singulier. Les viticulteurs conduisent les vignes en corbeille, la coulura. Ils tressent les sarments en spirale au ras du sol et placent les grappes à l'intérieur de ce nid. Les baies sont ainsi protégées du meltem, ce vent du nord, fort et asséchant, qui se lève de manière imprévisible, souvent plusieurs jours de suite, en été. Quant au plant, il profite de l'humidité nocturne qui compense le manque d'eau.
Des blancs frais et minéraux
Sur les 1 200 hectares de vignes, neuf domaines cultivent les cépages indigènes, des blancs en quasi-totalité parmi lesquels l'assyrtiko (80 % de l'encépagement), l'athiri et l'aidani. Ces variétés donnent des vins associant fraîcheur, minéralité et beau degré alcoolique.
La production s'élève à quelque 40 000 hl annuels qui se répartissent entre appellations d'origine protégée Santorini, Nichteri et Vinsanto, et indication géographique protégée « les Cyclades ». On notera de miniproductions à partir de cépages rares et typés : le katsano (domaine Gavalas) et le mavrotragano (domaines Sigalas, Hatsidakis, Santowines).
Grâce à la manne européenne des années 1990 et à l'arrivée d'œnologues - en majorité des femmes - formés dans les meilleures écoles françaises, le vignoble s'est modernisé. Les propriétés se sont équipées de pressoirs pneumatiques, de contrôle des températures, de barriques de chêne français, etc. Seul le vinsanto est encore produit très artisanalement au domaine Gavalas.
Malgré ces efforts, la production reste limitée et très coûteuse. Les rendements plafonnent autour de 30 hl/ha et l'entretien des vignes en corbeille exige beaucoup de main-d'œuvre. D'où le pari lancé en 2002 par Paris Sigalas.
A la tête d'une exploitation de 18 ha au nord de l'île, il a décidé de palisser une partie de ses vignes. Les résultats sont bons avec le mavrotragano, un cépage rouge ; les vins sont plus souples. Mais le palissage réussit moins bien à l'assyrtiko. Quoiqu'il en soit, « cette technique s'avère beaucoup plus rentable que la coulura. Alors que va devenir le vignoble historique, témoin de notre civilisation ? » s'interroge Paris Sigalas.
Un paysage millénaire risque de disparaitre
Nikos Varvarigos, directeur de Santowines, la cave coopérative de Santorin (700 ha) est catégorique. « La taille haute détruit la forme traditionnelle des vignobles de Santorin et son paysage millénaire. De plus, il faut irriguer et traiter les vignes, alors que le vignoble traditionnel n'a pas besoin de pesticides. »
Une opinion que partage Ioanna Vamvakouri, œnologue du domaine Boutari (25 ha au centre de Santorin) : « Nous expérimentons la taille haute depuis 1989. Mais nous ne pouvons pas changer l'écosystème si nous ne sommes pas certains des conséquences. »
Taille haute contre taille basse, la confrontation est donc lancée. Mais pour l'heure, la priorité est au développement. Ce n'est pas le moindre paradoxe que de constater que le tourisme, dévoreur de terres viticoles, est aussi la manne vers laquelle se tournent les vignerons.
Ainsi à Santorin, une route des vins a été créée, qui passe par les neuf domaines ouverts à la visite tous les jours entre avril et octobre. Parallèlement, la cave coopérative a ouvert en 2002 un centre de promotion des vins avec salle et cours de dégustation, ainsi qu'un espace de ventes. Elle a investi un million d'euro dans ce complexe qui accueille chaque année 200 000 touristes.
Sur l'île de Tinos, un domaine créé pour exporter
A Naoussa, sur l'île de Paros, George Moraitis a rénové son domaine centenaire en 2001. Il a créé un petit musée du vin, un espace de dégustation et il a ouvert ses chais où vieillissent ses célèbres vins rouges vendus sous l'appellation Paros. Cette île ne compte que 700 ha et deux producteurs : le domaine Moraitis et la cave coopérative.
A Maou, au centre de l'île de Mykonos, c'est un véritable complexe touristico-œnologique qui devrait voir le jour cette année, sous le nom de Vignoble de Myconos. Un investissement de 3,5 millions d'euros entièrement financé par le groupe Lazaridis qui s'est associé à Nikos Asimomitis, l'initiateur du renouveau de la vigne dans l'île en 1994. Les producteurs locaux misent aussi sur l'exportation. Principaux marchés visés : l'Europe, les Etats-Unis et le Canada.
« Créé pour exporter ». C'est l'originalité du domaine Tiniaki sur l'île de Tinos, issu de l'association d'un ex-jardinier autochtone, Michaelis Tsanoulinos, et d'Alexandros Avantagelos, un Grec de Belgique, passionné de vin. Les moyens sont à la hauteur des ambitions du domaine qui s'est entouré des conseils de l'œnologue bourguignonne Nadine Gublin et d'Anastase Fakorellis, un collaborateur de Michel Rolland. Les 15 ha sont cultivés sur le modèle des grands crus bordelais, palissés et avec 10 000 pieds par hectare. Les premiers blancs sont sortis en 2009. Le rouge vieillit en barrique. Un domaine avec lequel il faudra désormais compter.