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Santorin Patrie de l'assyrtiko

SOFIA SPIROU ET LAZARUS GATSELOS - La vigne - n°299 - juillet 2017 - page 72

C'est sur les sols asséchés de l'île volcanique de Santorin, en Grèce, que l'assyrtiko donne le meilleur de lui-même : un vin blanc minéral, citronné et frais.
À SANTORIN, les vignes sont  plantées entre 2 200 et 3 200 pieds/ha  pour leur assurer suffisamment  d'eau. ©  CEPHAS/PHOTONONSTOP

À SANTORIN, les vignes sont plantées entre 2 200 et 3 200 pieds/ha pour leur assurer suffisamment d'eau. © CEPHAS/PHOTONONSTOP

LES VIGNES EN « PANIERS » BAS est une méthode unique pour lutter contre l'aridité et les vents. © SIGALAS WINERY

LES VIGNES EN « PANIERS » BAS est une méthode unique pour lutter contre l'aridité et les vents. © SIGALAS WINERY

LA CONDUITE EN PANIER des vignes empêche le travail des machines. Tout se fait à la main. © CEPHAS/PHOTONONSTOP

LA CONDUITE EN PANIER des vignes empêche le travail des machines. Tout se fait à la main. © CEPHAS/PHOTONONSTOP

YIANNIS PARASKEVOPOULOS, copropriétaire de GAIA Winery. © H. TROLL/ GAÏA'S WINERY

YIANNIS PARASKEVOPOULOS, copropriétaire de GAIA Winery. © H. TROLL/ GAÏA'S WINERY

LES TERRASSES soutenues par des murs en pierre sèche protègent les sols de l'érosion provoquée par les pluies violentes.

LES TERRASSES soutenues par des murs en pierre sèche protègent les sols de l'érosion provoquée par les pluies violentes.

PARIS SIGALAS, mathématicien devenu vigneron en 1991. © SIGALAS WINERY

PARIS SIGALAS, mathématicien devenu vigneron en 1991. © SIGALAS WINERY

Après être longtemps resté cantonné à l'île, ce cépage connaît désormais un succès international. Il serait tentant d'attribuer ce changement de fortune à la seule perspicacité de Yannis Boutaris. Avant que ce producteur et négociant se mêle de le vinifier, c'était un vin rustique et lourd. À partir des années 1980, il en fait un vin cosmopolite. Pour parvenir à ses fins, il a demandé aux viticulteurs de récolter les raisins en août plutôt qu'en septembre, comme c'était l'usage. En échange de quoi, il leur a offert un prix plus attractif. C'est ainsi qu'il a révélé le caractère minéral, citronné et frais de ce cépage.

Mais ce visionnaire n'aurait rien pu faire si les agriculteurs locaux n'avaient pas persévéré dans la culture de la vigne, malgré des conditions extrêmes. Très pauvres, les sols de Santorin manquent de matière organique. Au printemps, l'île est balayée par de forts vents du sud-ouest. En été, le vent du nord prend le relais et achève de l'assécher. Il ne pleut que 250 à 300 mm/an, classant l'île comme un désert.

Dans ce lieu aride, la viticulture a persisté grâce à l'entêtement des habitants. Pour empêcher l'érosion, ils ont délimité une multitude de petites terrasses soutenues par des murs en pierre sèche. Pour se protéger des vents, ils conduisent les vignes en « paniers » bas, une méthode unique, appliquée partout à Santorin. Car, sur cette île, la violence des pluies n'est rien comparée à la force des vents. « Lorsque nous perdons seulement 10 à 20 % de la production à cause du vent, nous nous considérons comme chanceux », affirme Paris Sigalas, un mathématicien devenu vigneron en 1991. Souvent, en avril-mai, le vent du sud-ouest, nommé « garbis », souffle si fort qu'il casse des pousses et son haleine est si chaude qu'il brûle des apex et des ébauches de grappes.

Les viticulteurs ont trouvé la parade avec leur conduite au raz du sol. Chaque année, ils ne conservent que quatre pousses par cep qu'ils enroulent en une sorte de couronne, ou nid, reposant à même la terre. Ils transforment ainsi chaque souche en un cocon protecteur pour les grappes qui poussent à l'intérieur.

En raison de cette conduite particulière, les vignobles sont inaccessibles aux machines. Tous les travaux se font nécessairement à la main. Bien que les viticulteurs partagent leur temps avec une activité touristique, ils cultivent la vigne avec diligence. « Ils travaillent le sol en créant de petits canaux pour collecter les précipitations et les acheminer vers les ceps. À l'approche des vendanges, quand le soleil menace de brûler les grappes, ils les recouvrent de feuilles mortes qu'ils ramassent ça et là », relate Yiannis Paraskevopoulos, copropriétaire de Gaïa, un autre producteur de référence d'assyrtiko de Santorin.

Si le vent est responsable de la faiblesse des rendements, il réduit également le risque de maladie en préservant l'état sanitaire des raisins. En général, deux traitements au soufre suffisent à protéger les vignes de l'oïdium, l'un fin avril, l'autre courant mai. Contre le mildiou, les viticulteurs emploient du cuivre seulement après une pluie tardive au printemps. Traditionnellement, ils ne prennent aucune mesure contre l'eudémis qui peut causer 4 à 5 % de perte de récolte. Mais des jeunes viticulteurs, une petite minorité, effectuent désormais des traitements au BT pour préserver leurs grappes.

L'un des attraits de l'assyrtiko est sa capacité à résister au stress hydrique tout en conservant une forte acidité. Dans un environnement désertique comme Santorin, c'est un avantage vital car il n'y a pas d'irrigation. Les plants sont livrés à la chaleur et à la sécheresse estivales. Seules les brumes nocturnes et quelques rares brises marines viennent les soulager. Pour les aider à supporter ce climat, les viticulteurs plantent seulement 2 200 à 3 200 pieds/ha. Ainsi, chaque cep bénéfice d'une surface au sol suffisante pour lui fournir quelques réserves hydriques.

La cueillette du raisin est particulièrement complexe, les vignobles hébergeant de nombreuses variétés. La récolte d'assyrtiko, elle, commence généralement début août par les vignobles bordant la mer. Les raisins présentent alors 7 g/l d'acidité totale et titrent de 12 à 13 degrés probables pour les blancs secs et de 14 à 14,5 pour ceux destinés à produire du nykteri, un vin à base d'assyrtiko, mais moins frais et plus concentré.

Autre raison de la renaissance de l'assyrtiko : les progrès réalisés dans les caves. Toutes sont équipées de cuves en Inox, de chambres froides et de pressoirs pneumatiques. « Cette mise à niveau a eu lieu dans les années 1990. À l'époque, il n'y avait que onze vinificateurs, tous déterminés à faire de meilleurs vins, assure Yiannis Paraskevopoulos. Aujourd'hui, nous entreposons les raisins à 4 °C après la récolte avant de les presser pour les rafraîchir et prévenir l'oxydation. Puis nous contrôlons la température pendant la fermentation. » Certains pratiquent la macération préfermentaire à froid. Résultat : tous les vins sont nets, francs et frais.

Désormais, des producteurs veulent démontrer que leur cépage est capable de vieillir. Il en a le potentiel avec son pH bas, ses faibles rendements et sa richesse en polyphénols, qui était autrefois un défaut et qui ne l'est plus depuis que les macérations et le pressurage sont maîtrisés. « Maintenant, ce potentiel tannique apparaît comme un avantage », assure Paris Sigalas.

Une minorité de vignerons, dont Sigalas, garde chaque année quelques bouteilles pour le vieillissement. Il s'agit d'une tendance récente et il est probable qu'elle fasse école, les vins vieillis se vendant plus chers. « Aujourd'hui, on ne trouve presque pas de vins de plus de deux ans dans le commerce. Mais nos expériences montrent que l'assyrtiko peut vieillir au moins sept ans. J'espère que nous convaincrons le public afin qu'il garde des bouteilles et qu'il découvre la complexité que prend notre cépage avec l'âge », conclut-il.

La volonté de se distinguer

Chez Gaïa, Yiannis Paraskevopoulos se veut à l'avant-garde. Sa cuvée Assyrtiko Wild Ferment (ferment sauvage) est issue de fermentations spontanées. « Il est logique d'utiliser les levures indigènes sur l'assyrtiko parce qu'avec son pH bas (2,85-3,1), elles peuvent toutes produire des résultats intéressants. Les diverses souches qui provoquent une fermentation spontanée apportent de la complexité et une large gamme d'expressions aromatiques au vin », explique-t-il. Ces fermentations durent environ trois semaines, au cours desquelles le vinificateur traverse des périodes de stress intense en raison de leur imprévisibilité. « Le risque d'arrêt est important et peut causer de grands dommages à la production », admet-t-il. L'autre originalité de Gaïa consiste à faire vieillir des vins sous les eaux azur de la mer Égée. « Nous immergeons 500 bouteilles de chaque récolte à 20 mètres de profondeur », raconte-t-il. Malgré les pertes qu'il a subies jusqu'à ce qu'il trouve la bonne méthode pour déposer les bouteilles en toute sécurité au fond de la mer, il est satisfait du résultat. Un vin qui a ainsi passé cinq ans sous l'eau l'a payé de ses efforts en présentant à la fois des caractères de jeunesse et une structure sophistiquée liée à son âge.

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