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VIN

Micro-oxygénation et copeaux font la paire

Marine Balue - La vigne - n°231 - mai 2001 - page 56

Mieux vaut élever un vin en cuve avec de la micro-oxygénation et des morceaux de bois que dans une barrique de deux vins, indique un jeune chercheur qui a fait des essais à Bordeaux. L'élevage coûtera bien moins cher et le vin sera mieux noté.
MICROBULLAGE. Un apport contrôlé d'oxygène avec le matériel de micro-oxygénation, au début de la fermentation alcoolique, a accentué l'expression du fruit dans les vins. © P. ROY

MICROBULLAGE. Un apport contrôlé d'oxygène avec le matériel de micro-oxygénation, au début de la fermentation alcoolique, a accentué l'expression du fruit dans les vins. © P. ROY

Comment mimer l'élevage d'un vin en barrique à moindre coût ? En couplant la micro-oxygénation et l'emploi de copeaux de bois en cuve, si l'on suit les résultats de la thèse qu'a soutenue Igor Chiciuc, à la faculté de Bordeaux fin 2010.

Le jeune chercheur a en effet comparé l'élevage d'un vin rouge, élaboré en 2007 dans un domaine de la région des Graves, en barrique de deux vins et en cuve inox. En cuve, il a apporté de l'oxygène par micro-oxygénation (2 mg/l/mois), pendant dix-neuf semaines. Dans la première cuve, il n'a pas ajouté de bois. Alors que dans les autres, il a introduit différents types de copeaux : chips de chêne français ou américain (2 g/l), ministaves (4 g/l) et nuggets (4 g/l).

Une préférence pour les gros morceaux de bois

Pour évaluer l'impact de ces techniques sur la qualité des vins, il les a fait déguster à un jury de professionnels, avant leur mise en bouteille et après dix mois de conservation en bouteilles environ. Les vins élevés en cuves micro-oxygénées et en présence de copeaux s'avèrent être les mieux notés. « Ces vins sont plus riches en arômes boisés que les autres, indique Igor Chiciuc, dans sa thèse. Les dégustateurs ont relevé une intensité aromatique au nez plus prononcée. » Ils ont aussi trouvé ces vins plus ronds en bouche. La cuve qu'ils préfèrent est celle avec des ministaves. Quand la barrique usagée et la cuve inox sans boisage sont les moins appréciées.

Outre son intérêt sur la qualité du vin, Igor Chiciuc a mis en avant l'avantage économique de la technique. Le chercheur a calculé que l'élevage en barrique revient à environ 81 €/hl de vin. En tenant compte du prix du matériel de micro-oxygénation, du gaz, des copeaux, de la capacité et du nombre de cuves utilisées, il a évalué le coût d'un élevage en cuve inox avec micro-oxygénation et copeaux entre 9 et 14 €/hl environ. Soit presque dix fois moins que la barrique usagée. Autant dire que cette solution est attractive.

Plus fruités, mais des tanins moins fins

L'effet de la micro-oxygénation sur les propriétés gustatives du vin commence même dès la fermentation. Pour montrer cela, Igor Chiciuc a réalisé une série d'essais différentes, dans un autre château bordelais, sur trois millésimes. Il a suivi une cuve vinifiée de manière traditionnelle, avec des remontages et des pigeages classiques, et une cuve gardée sous atmosphère inerte, avec un seul apport d'oxygène avant la fermentation. Ainsi, après le levurage, il a ajouté 15 mg/l d'oxygène à la cuve de vendange foulée, à l'aide de la céramique de micro-oxygénation. Contrairement à l'essai mené dans les Graves, ici, il n'a pas employé de copeaux. Les dégustations tout au long de la fermentation montrent que l'apport contrôlé d'oxygène conduit à des vins plus expressifs au nez et plus fruités. En revanche, ces vins apparaissent moins ronds que les témoins, aux tanins jugés plus fins.

A la fin de la fermentation, un groupe de douze dégustateurs a fait le même constat. Il classe par ordre de préférence le vin avec apport contrôlé d'oxygène, l'assemblage des deux cuves, puis le vin témoin.

Mais, après six mois d'élevage en barrique, les différences à la dégustation s'atténuent un peu. Et cette fois-ci, les dégustateurs préfèrent l'assemblage des deux cuves. Il semble que chacune des modalités amène ses qualités : expression aromatique ou finesse des tanins.

A travers cet essai, Igor Chiciuc souligne à nouveau l'intérêt de la micro-oxygénation. Il précise que pour qu'un transfert d'oxygène soit efficace, il faut tenir compte du CO2, car « les concentrations en O2 et CO2 dissous sont étroitement liées, surtout au maximum de fermentation ». Il est donc préférable de connaître la teneur en CO2, avant d'apporter de l'oxygène à un moût.

Etudes des paramètres affectant le transfert d'oxygène dans les vins, Igor Chiciuc, université Bordeaux 1, décembre 2010.

Le Point de vue de

David Chateau, responsable d'exploitation, château Le Sartre, à Léognan (Gironde)

« Nous utilisons la technique ponctuellement »

David Chateau, responsable d'exploitation, château Le Sartre, à Léognan (Gironde)

David Chateau, responsable d'exploitation, château Le Sartre, à Léognan (Gironde)

« Nous voulions étudier une solution alternative à l'élevage en barrique usagée. Notre parc à barriques est vieillissant et les veilles barriques ont tendance à assécher nos vins. En 2007, nous avons donc comparé l'élevage d'un pessac-léognan rouge en barrique de deux vins à un élevage en cuve inox avec micro-oxygénation, associée ou non à un boisage sous forme de morceaux de chêne. Nous avons remarqué que la barrique usagée est à éviter. Nous essayons donc de renouveler un peu plus notre parc. Mais, c'est difficile économiquement de remplacer toutes les barriques. Nous avons constaté que la micro-oxygénation couplée à certains copeaux apporte aux vins de la rondeur, du fruité et un léger boisé, qui se rapproche bien d'un élevage en barrique. Depuis ces essais, nous élevons donc presque tous les ans une cuvée en cuve inox, avec un faible apport d'oxygène et une faible dose de médias boisants assez gros (ministaves). L'objectif n'est vraiment pas d'aromatiser le vin ou de gommer un caractère végétal, mais d'élaborer un vin de bonne qualité, avec de la rondeur. Par exemple en 2010, nous avons élevé une centaine d'hectolitres de vin de presse (sur une production totale de 1 000 hl environ) avec cette technique. Nous avons intégré cette cuve à nos assemblages. Bien sûr, sur l'appellation Pessac-Léognan, la barrique neuve est ce qui reste de mieux : nous la privilégions pour la grande majorité de notre production. »

Le Point de vue de

Philippe Aubertin, responsable technique du Clos Saint Robert, à Pujols-sur-Ciron (Gironde)

« Plus de fruité »

Philippe Aubertin, responsable technique du Clos Saint Robert, à Pujols-sur-Ciron (Gironde)

Philippe Aubertin, responsable technique du Clos Saint Robert, à Pujols-sur-Ciron (Gironde)

« En 2006, 2007 et 2009, Igor Chiciuc a fait ses essais d'apport d'oxygène après levurage dans notre chai. J'avais sélectionné une parcelle du domaine pour son homogénéité et la possibilité d'avoir assez de raisins pour toutes les modalités. Nous avons comparé une cuve vinifiée avec des remontages et pigeages traditionnels et une cuve inertée, avec un apport important d'oxygène. Pendant la fermentation, à la dégustation, la cuve témoin possédait toujours plus de structure tannique, alors que celle avec apport d'oxygène maîtrisé était plus aromatique, plus fruitée. Il y a eu une nette préférence pour cette cuve jusqu'à la fin de la fermentation alcoolique. Les cinétiques de fermentation ont été similaires. Lors des six mois d'élevage réalisés la dernière année, la cuve témoin vinifiée traditionnellement est encore ressortie plus structurée, l'autre plus fruitée. Nous avons aussi suivi un assemblage des deux modalités, que la majorité des dégustateurs a préféré à la dégustation, chaque cuve apportant ses aspects positifs. Je suis très satisfait d'avoir participé aux essais. Nous en avons appris plus sur cette technique d'apport d'oxygène, qui pourrait être très intéressante dans notre cave. Si nous voulions l'employer pour nos vins, il faudrait pouvoir poursuivre les essais pour avoir plus d'informations et être vraiment au point. »

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