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Des vins sans IG gagnent du terrain en terre d'appellation

Colette Goinère, Patrick Touchais et Florence Jacquemoud - La vigne - n°232 - juin 2011 - page 12

Dans ces régions d'AOC ou d'IGP, des viticulteurs et des coopératives vendent des vins sans indication géographique parce que de nouveaux marchés s'ouvrent ou pour déstocker.
« A BORDEAUX, il y a une volonté de faire des vins sans IG, car le Sud n'arrive plus à produire après avoir beaucoup arraché. On a des demandes de merlots, faciles à boire, souples et ronds. Pour de tels vins, les prix peuvent aller jusqu'à 60 €/hl », indique Eric Echaudemaison, courtier au bureau Delias, à Bordeaux. © P. ROY

« A BORDEAUX, il y a une volonté de faire des vins sans IG, car le Sud n'arrive plus à produire après avoir beaucoup arraché. On a des demandes de merlots, faciles à boire, souples et ronds. Pour de tels vins, les prix peuvent aller jusqu'à 60 €/hl », indique Eric Echaudemaison, courtier au bureau Delias, à Bordeaux. © P. ROY

LE MARCHÉ EN VRAC S'ENVOLE

LE MARCHÉ EN VRAC S'ENVOLE

BORDEAUX : Courtiers et acheteurs poussent à la roue

Une révolution. Bordeaux accroché au tout AOC se tourne vers les vins sans IG. Un mouvement qui gagne du terrain. Selon FranceAgriMer, en Gironde, après quarante semaines de campagne 2010-2011, il s'est vendu 97 000 hl de rouges et rosés sans IG en vrac, contre 6 000 hl en 2009-2010. Sur les 97 000 hl, 20 000 hl sont avec mention de cépage et 77 000 hl sans mention de cépage.

Il faut dire qu'avec des cours du bordeaux rouge qui peinent à remonter et des chais qui sont pleins, les vins sans IG ont du bon. « C'est une opportunité de réduire l'offre en AOC et de réguler le marché. Nous poussons les viticulteurs à aller dans cette voie d'autant qu'il y a une demande du négoce », indique Xavier Coumau, président du syndicat des courtiers de Gironde.

Le 31 mars dernier, une réunion s'est tenue au CIVB. Ce matin-là, la production, Castel, Les Grands chais de France, des œnologues de labos privés et des courtiers se sont retrouvés pour mieux cerner les besoins en matière de vins sans IG : les profils gustatifs, les cépages… Une dégustation a permis de goûter des merlots et des cabernets-sauvignons, d'un bon niveau, avec du fruit et de la rondeur. Pour autant, l'affaire n'est pas simple. « Depuis des années, on a abreuvé les viticulteurs du tout AOC. S'engager dans la voie du vin sans IG, c'est une opportunité pour certains. Pour d'autres un retour en arrière », estime le courtier Eric Echaudemaison.

Une taille plus longue, un peu plus d'engrais : 200 hl/ha à l'arrivée !

Comme ses confrères, il court la campagne et fait de la pédagogie expliquant que ce « n'est pas régresser que de faire du vin sans IG ». Il sort sa calculette et démontre qu'il vaut mieux vendre à 60 €/hl un merlot récolté à 140 hl/ha qu'un bordeaux rouge payé 90 €/hl pour un rendement de 55 hl/ha.

Dans l'Entre-deux-Mers, un viticulteur qui préfère garder l'anonymat, fervent adepte de l'AOC, s'est lancé dans le vin sans IG dès la récolte 2010. Une stratégie qui lui a permis d'alléger ses stocks trop importants en bordeaux rouge. Sur son exploitation de 43 ha, il en a dédié deux aux vins sans IG. Pour obtenir de plus hauts rendements, il a laissé plus de bourgeons lors de la taille. Il a apporté plus d'engrais. Résultat : 200 hl/ha de merlot, payés soixante jours après l'enlèvement. Une trésorerie rapide.

Daniel Mercier, installé à Camiran, exploite 41 ha en Bordeaux. « J'en ai ras-le-bol de voir que les prix proposés par le négoce tournent autour de 800 à 900 € le tonneau (900 l) de bordeaux rouge. On souffre », confie-t-il. Daniel Mercier a beau cumuler les médailles, il se retrouve avec deux récoltes et demie d'avance. Alors aux dernières vendanges, il n'a pas hésité. « Sur quelques parcelles, je dépassais le rendement de l'AOC Bordeaux. J'étais à 68 hl/ha. Plutôt que de mettre ce surplus en distillerie, j'ai préféré écouler 200 hectos en vin sans IG sans mention de cépage que j'ai vendu en vrac à 55 €/hl. J'ai été payé rapidement. Et je n'ai pas acquitté la CVO. C'est une solution pour désengorger le marché en AOC », indique-t-il.

Des orientations suspendues aux caprices de la météo

De son coté, le CIVB, Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux, réfléchit à une mesure qu'il pourrait présenter le 18 juillet. Le viticulteur aurait deux options pour la prochaine récolte. Soit il déclare tout en AOC en sachant qu'il pourra vendre 50 hl/ha, les 5 hl restants étant mis en réserve et débloqués selon l'évolution du marché. Soit il déclare une petite partie (entre 5 et 9 %) de son exploitation en vins sans IG et dans ce cas, ses AOC ne seraient pas mis en réserve.

Reste une réalité : la météo. Si la sécheresse se poursuit, il y a de fortes chances d'avoir de petits rendements. De ce fait, l'intérêt pour les vins sans IG tombera à l'eau pour la récolte 2011.

VAL DE LOIRE : Faute de mieux

Il y a plusieurs mois, l'ODG muscadet a incité les producteurs qui n'avaient pas de débouchés assurés pour leurs AOC à vendre en vin sans IG plutôt que d'attendre le passage d'un courtier. Le message a été entendu.

Au cours de la campagne, des vignerons ont déclassé environ 40 000 hl de muscadet en vin sans IG sans mention de cépage. D'autres ont fait le choix de revendiquer, dès la récolte, des vins sans IG sur leurs parcelles en appellation. Difficile à chiffrer précisément, le volume se situerait autour de 50 000 hl.

Ces choix sont dictés par la crise que vit le muscadet depuis trois ans. Les récoltes 2009 et 2010 ont été trop généreuses, après un millésime 2008 déficitaire qui a provoqué une forte hausse des prix et la perte de nombreux marchés.

Selon FranceAgriMer, depuis le début de campagne, les ventes en vrac de vin blanc sans IG en Loire-Atlantique s'élèvent à 110 000 hl, soit la moitié du volume global des vins sans IG toute couleur confondue du Val de Loire. Et seize fois plus qu'en 2009-2010 !

« Ces vins ont été vendus autour de 30 €/hl. Les producteurs avaient besoin de se défaire de stocks et de trésorerie. Ils ont alimenté les marchés des premiers prix, traditionnellement approvisionnés par le Midi, l'Espagne ou l'Italie. C'est une opération ponctuelle qui s'arrêtera dès que le marché du muscadet sera rééquilibré », souligne un courtier nantais.

Autre phénomène, plus diffus, une partie de la production de vins de pays du Val de Loire a été transférée vers les vins sans IG. En vente directe, des vignerons ont fait le choix des vins de cépage sans IG, se dégageant des contraintes des vins de pays.

GERS : Le pari d'un opérateur

Dans le Gers, les vins sans IG de cépages font une percée, avec 57 000 hl de blancs et 4 400 hl de rouges de plus que lors de la campagne précédente. Cette progression est due à la nouvelle politique commerciale de CVG, Caves et vignobles du Gers (650 000 hl), un groupe coopératif qui comprend Les Vignerons du Gerland (Eauze et Panjas), Vivadour (Cazaubon et Vic-Fézensac) et CPR (Nogaro).

« Une partie de notre offre est destinée à des metteurs en marché qui vendent dans des pays où l'origine Gascogne ne signifie rien, explique Franck Clavier, directeur général de la coopérative Vivadour. En revanche, ces consommateurs savent ce qu'est un chardonnay, un sauvignon ou un colombard. Nous offrons ces produits. Mais nous n'avons pas l'intention de devenir des améliorateurs de vins défaillants. Nous assemblons des vins complets dans nos chais et c'est ce que nous défendons. »

Pour autant, les adhérents des caves ne devraient pas augmenter leurs rendements outre mesure, car ils perdraient les caractéristiques aromatiques des raisins. En tous cas, les caves ne les y incitent pas.

« Les sans IG sont la mort des bassins de production »

De son côté, Producteurs Plaimont, l'autre gros pôle coopératif du département, rejette l'idée de vendre des vins sans IG. « J'ai récemment refusé un très gros marché de vins sans IG à l'export, avec l'un de nos clients historiques, reconnaît Laurent Fortin, le directeur général. Comme nous n'en produisons pas, nous aurions été obligés d'en acheter à l'extérieur. Pour nous, les vins sans IG sont la mort des bassins de production, nous ne voulons pas revenir trente ans en arrière. »

Quant au syndicat des côtes-de-Gascogne, il « se félicite de la bonne résistance des vins IGP ». « Tous les producteurs restent fidèles à l'IGP et l'indiquent même en plus gros sur leurs étiquettes, confie Alain Desprats, directeur du syndicat. Et personne n'a abandonné à cause de la cotisation syndicale qui n'est que de 0,61 € par hectolitre. »

700 000 hl de vins sans IG de cépage

Pour pouvoir mettre à la consommation ou exporter des vins sans IG de cépage et/ou de millésime, il faut demander une habilitation à FranceAgriMer. L'an dernier, 1 033 opérateurs ont fait cette démarche.

Mais seulement 428 ont effectivement vendu des vins en question parmi lesquels 282 caves particulières, 88 négociants et 58 caves ou groupements coopératifs. Surprise, le premier cépage en volume est le muscat à petits grains. Cette variété alimente la marque Muscador, un effervescent de la Compagnie française des grands vins. Ensuite seulement, viennent le chardonnay, le sauvignon et le merlot. Au total, près de 700 000 hl de vins sans IG de cépage ont été mis à la consommation alors qu'il ne s'est échangé que 300 000 hl en vrac. Pour combler l'écart, les négociants ont acheté des vins de cépage IGP ou AOC, dont ils ont tu l'origine.

REPÈRE

Les vins sans indication géographique ont succédé aux vins de table depuis août 2009.

Principal intérêt de cette catégorie : les rendements sont libres et il n'y pas de procédure de contrôle ou d'agrément autre que celle imposée par l'acheteur.

Les choses se compliquent un peu lorsqu'on veut mentionner un cépage ou un millésime sur les étiquettes. Il faut alors demander une habilitation à FranceAgriMer qui effectue des contrôles documentaires sur 10 % des opérateurs par an.

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