Fini le temps où la thermovinification était un simple remède contre les raisins pourris ou pas mûrs. La technique n'est plus synonyme de vinification industrielle ou de production de gros volumes de vins « standardisés ». Jusqu'ici peu mise en avant par les prescripteurs, elle semble se décomplexer.
En effet, dans les caves, on ne se limite plus à un chauffage rapide, suivi de fermentations en phase liquide. On choisit de faire macérer plus ou moins longtemps la vendange chauffée, on clarifie soigneusement les jus… Les variantes de la thermovinification, que sont la macération préfermentaire à chaud, la flash et la thermodétente, sont devenues un moyen d'élaborer des vins de qualité, aux profils divers. Des vins parfois expressifs de leurs terroirs ou même aptes à être conservés quelques années. En tout cas, des vins qui trouvent leurs marchés.
Les jeunes sont séduits
« La thermo suscite un réel intérêt sur les Bordeaux, confirme Xavier Coumau, courtier dans le Bordelais. Car dans les appellations génériques, la demande en vins plus fruités est importante, notamment sur les marchés internationaux. »
Xavier Coumau note d'ailleurs que depuis deux ou trois ans, ces profils de vins ressortent médaillés au Concours général agricole. Pour lui, ce sont des vins modernes.
« Les bordeaux contenants de la thermo sont sur la fraîcheur et le fruit. Ils plaisent beaucoup aux jeunes, appuie Jean-Marie Maurer, maître de chai à la cave coopérative de Rauzan (Gironde). Ce sont des vins que l'on peut boire frais, ce qui convient bien à la consommation en soirée. » Il explique que si la cave a recours à cet outil, c'est d'abord parce que les vins se vendent et qu'ils donnent accès à de nouveaux marchés lorsqu'ils sont bien faits.
Dans la vallée du Rhône, le constat est similaire. Pour Christophe Pasta, courtier à Courthézon (Vaucluse), ces vins fruités, souples et ronds correspondent bien aux attentes des consommateurs. « Ces derniers recherchent davantage des vins agréables et faciles à boire, que de grands vins de garde, trop complexes », observe-t-il. Depuis quelques années, la demande en vins issus de thermovinification lui semble donc croissante.
Xavier-Luc Linglin, directeur du domaine La Motte (Aude), propriété des Vignobles Bon-fils, va encore plus loin. Selon lui, plus de 80 % des consommateurs veulent des vins au fruit immédiat, ronds, avec peu de tannins. C'est pourquoi, pour ses vins de pays, le domaine a investi dans la thermo, qui marche déjà très bien sur la partie négoce.
Près de 20 % de caves équipées dans l'Hérault
En Languedoc-Roussillon, la demande en vins thermovinifiés a été forte il y a deux ou trois ans, d'après Jean-Pierre Py, courtier dans la région. « Ces vins étaient même payés plus cher que les autres », rapporte-t-il. Depuis un an et demi, il constate un tassement. Il n'y a plus d'augmentation des volumes vendus. Le courtier suppose que cela est dû à une baisse des rendements : la récolte étant moindre, il y a tout simplement moins de quantité à vinifier en thermo. Néanmoins, « nous n'avons aucun problème d'approvisionnement sur ce secteur », ajoute-t-il. Le courtier considère que ces vins marchent toujours bien, constituant environ 15 % des volumes de ventes de son cabinet.
C'est que dans le Midi, la thermo n'en est pas à ses premiers pas. A l'heure actuelle, près de 20 % des caves coopératives de l'Aude et de l'Hérault, ainsi qu'une douzaine sur les quatrevingt du Gard, seraient équipées d'une unité de thermo, estime Adrien Debaud, consultant à l'Institut coopératif du vin. « Quatre ou cinq ans en arrière, la thermo a connu un nouvel essor, constate-t-il. Les producteurs ont recours à une nouvelle forme de thermo. Ils ont mis l'accent sur la macération, la clarification des jus. » Ce qui a conduit à plus de stabilité de la couleur, plus de structure et de fruit dans les vins.
Le beaujolais nouveau thermo se vend mieux
Cédric Bigey, gérant de la société Vino France, dans la vallée du Rhône, a également été témoin du développement de la thermo dans le Sud. En 2006, il s'est lancé dans la prestation de service de flash-détente, surtout auprès de caves coopératives de la région. « Nous avons été victimes de notre succès », confie-t-il : convaincues par les résultats obtenus, beaucoup de caves ont choisi d'avoir leur propre installation de flash-détente. Elles ont notamment profité des aides à l'investissement. Comme dans le Languedoc, la dynamique est un peu retombée ces derniers temps, du fait de la crise ou des volumes réduits. Autre région où le chauffage de la vendange est bien implanté : le Beaujolais. Ici, la macération préfermentaire à chaud, ou MPC, s'est généralisée depuis une dizaine d'années. « Au départ, les négociants l'ont proposée en prestation de service, se souvient Cédric Subrin, courtier à Saint-Vérand (Rhône). Aujourd'hui, elle est devenue quasi omniprésente dans notre région. Toutes les caves qui sont dans la course sont équipées, se regroupent en Cuma ou font appel à un prestataire. »
Pour le courtier, si les vins 100 % thermo sont rares, les assemblages demandés par les acheteurs en contiennent de plus en plus, que ce soit dans les primeurs, les beaujolais ou les crus. Et sur la catégorie des beaujolais nouveaux, à en croire certains producteurs, le recours à la MPC est presque obligatoire pour satisfaire les négociants.
« Désormais, la macération à chaud n'est plus là pour rattraper des vins de mauvaise qualité, précise également Cédric Subrin. La filière étudie les conditions optimales pour obtenir des vins qui respectent le terroir, les potentialités du raisin et qui sont équilibrés. »
On ne souhaite pas forcément en parler
Toutes ces améliorations ont peut-être poussé d'autres régions à s'intéresser à la thermo. Récemment, quelques installations ont fleuri dans les caves coopératives du Sud-Ouest et de Bordeaux. Toutefois, les producteurs du Bordelais restent encore frileux pour communiquer sur le sujet. « La thermovinification marche bien, mais on ne souhaite pas forcément en parler », plaisante Jean-Marie Maurer, à la cave de Rauzan.
Dans le Val de Loire, la méthode commence à percer. Sans que la mode soit vraiment lancée, quelques vignerons réalisent des essais. A titre d'exemple, depuis 2007, la cave coopérative d'Oisly, en Touraine, fait thermovinifier ses gamays.
Ceux-ci étaient sujets à des arômes végétaux ou terreux. « Les mauvais goûts ont disparu, même les années difficiles, raconte Agnès Bardet, responsable de la cave. Le fruit ressort nettement, les vins sont prêts plus tôt et nous avons récupéré des marchés perdus. » Elle souhaite aussi tester la thermo sur du sauvignon blanc. Cette option a donné de bons résultats chez d'autres vignerons de la région, l'an dernier.
Même si la thermo est plutôt réservée aux coopératives à cause de son coût élevé, elle suscite de plus en plus l'intérêt des caves particulières. Preuve en est le développement de la prestation de service.
« Nous avons commencé en 2003 dans le Beaujolais avec une seule unité et nous sommes aujourd'hui présents dans toute la France, avec cinq unités mobiles », témoigne Gabriel Remuet, propriétaire de l'entreprise de prestation Thermo conseil.
Pour Jean-Luc Favarel, directeur scientifique de la société Péra qui propose du matériel de thermo et de flash-détente, il y a une grosse demande de la part des caves de taille plus modeste. C'est pourquoi le constructeur s'apprête à lancer un petit modèle de flash-détente dès la prochaine campagne. Après avoir massivement équipé les coopératives, chaudronniers et constructeurs s'attaquent au marché des caves particulières.
Des pratiques de plus en plus perfectionnées
Pour faire de la thermo une technique qualitative, les producteurs se focalisent sur :
le chauffage : la durée et la température influencent l'extraction de tannins et d'anthocyanes. Il faut les fixer en fonction du cépage et du type de vin souhaité. Le chauffage peut durer de trente minutes à douze heures, pour des vins plus concentrés. La température maximale va de 65 à 90°C, selon la couleur et les arômes recherchés ;
la macération : pour gagner en structure et donner un profil « fruit mûr », les producteurs réalisent des macérations à chaud plus ou moins longues, ou encore des macérations traditionnelles, après refroidissement de la vendange. Cela peut aider à augmenter le potentiel de garde ;
la clarification : les jus de vendange chauffée sont très chargés. S'ils ne sont pas mis au clair, on perd le fruité et la fraîcheur qu'apporte la thermo. L'emploi d'enzymes est donc quasi systématique. Filtration, centrifugation et flottation sont pratiquées au choix. Après clarification, des moûts autour de 400 NTU donneront plus de gras, ceux affichant moins de 100 NTU, des vins plus amyliques.
Une technologie qui coûte cher
La thermo nécessite un investissement conséquent.
D'après l'IFV Sud-Ouest, il faut compter entre 15 000 et 40 000 € pour des échangeurs de chaleur tubulaires destinés à chauffer la vendange. Le Gulfstream ou la thermodétente se chiffre autour de 70 000 €. Une installation de flash-détente est évaluée à 150 000 € minimum. L'IFV note qu'on peut s'équiper avec 4 000 à 15 000 € seulement, mais à ce compte-là, on ne peut s'offrir qu'un bain-marie pour réchauffer les moûts.
S'ajoute à cela le matériel de clarification, dont le prix varie entre 3 000 et 15 000 € pour de la flottation et s'élève jusqu'à 150 000 € pour de la centrifugation, toujours selon l'IFV. Le coût de fonctionnement n'est pas non plus négligeable. La thermo est très gourmande en énergie, puisqu'elle comporte une phase de chauffage à haute température, suivie d'un refroidissement rapide. La cave coopérative de Séguret estime par exemple à un litre de fioul par hectolitre de vin thermo les besoins seuls pour le chauffage.