« Le travail physique à l'extérieur en rebute beaucoup, remarque Patricia Ruffy (en short), viticultrice à Ingolsheim, en Alsace, qui a recherché trois saisonniers pour le palissage. C'est la deuxième année que j'ai recours au service Pôle emploi. Les petites annonces ne donnaient pas de résultats. » © M. FAGGIANO
«Nous cherchons un tractoriste expérimenté depuis un an, déclare Françoise Chapel, à la tête avec son mari du domaine du Bourrian, à Gassin dans le Var (40 ha). Les quelques candidats que nous avons reçus n'ont pas donné suite. Nous avons bien plus de demandes pour des postes administratifs qu'à la vigne. »
Même désarroi pour les exploitants de ce domaine de 36 ha en Gironde, en quête depuis le début de l'année, d'un tractoriste confirmé : « Des personnes se sont présentées, mais leur manque de qualification nous posait des problèmes, notamment pour les traitements phytos. D'autres ont fait un essai et sont reparties sans explications. »
Au-delà de la question de la formation et de l'expérience, beaucoup de viticulteurs évoquent le faible intérêt des candidats pour les métiers de la vigne, même pour des emplois saisonniers. « Le travail physique à l'extérieur en rebute beaucoup », remarque Patricia Ruffy, viticultrice à Ingolsheim, en Alsace.
Un large recours à Pôle emploi
« Il est difficile de trouver des personnes motivées et vaillantes. Au bout de deux heures d'effeuillage, certains quittent leur poste, car ils ont trop mal au dos. Je précise pourtant dans mon annonce que ce travail est physiquement difficile », commente un responsable de domaine dans les Pyrénées-Atlantiques.
« Beaucoup de saisonniers sont fatigués à peine signé leur contrat de travail. Ils travaillent un jour et ils ne reviennent pas, alors que l'on est correct avec eux. Je suis déjà très inquiète pour les vendanges », confie une viticultrice en Côte-d'Or.
Contrairement à ses confrères, Benoît Martin, du domaine le Clos Martin, à Polisy dans l'Aube, voit la situation s'arranger. « Depuis trois-quatre ans, j'ai moins de difficultés pour recruter. Les demandeurs d'emploi sont davantage poussés par Pôle emploi à retrouver du travail, explique ce viticulteur. Je viens d'embaucher une équipe de saisonniers pour le palissage. J'en suis plutôt content. Ce sont des jeunes sans emploi, certains d'origine étrangère. Je leur demande d'être minutieux et courageux. Pour ne pas avoir de problèmes, il faut instaurer une bonne ambiance, ne pas se comporter en patron trop autoritaire. »
La plupart des vignerons recruteurs passent par Pôle emploi. « C'est la deuxième année que j'ai recours à ce service. Les petites annonces ne donnaient pas de résultats », souligne Patricia Ruffy.
Certains se montrent critiques sur l'efficacité de l'organisme. « Notre annonce a été vue trois cents fois sur internet et nous n'avons toujours pas trouvé le bon candidat. Et la personne chargée de notre recrutement à Pôle emploi est injoignable », déplorent les responsables d'un domaine de Gironde qui cherchent un tractoriste depuis cinq mois. D'autres employeurs se disent en revanche satisfaits de Pôle emploi : « Les agents font un travail impeccable. Ils me trient les CV et m'appellent ensuite pour savoir si j'ai des difficultés ou non », sourit ce responsable de domaine dans les Pyrénées-Atlantiques, qui a toujours recours à l'organisme public pour recruter des saisonniers.
Des salaires qui ne ressemblent à rien
Plusieurs vignerons expliquent leurs difficultés de recrutement par le montant des indemnités chômage. « Je propose un salaire de 1 550 à 1 600 euros bruts pour un poste de tractoriste confirmé. Un candidat était intéressé, mais il m'a dit qu'il touchait 1 700 euros en restant chez lui », soupire Françoise Chapel. « Je paye mes saisonniers au Smic et certains refusent, car ils indiquent qu'il est plus avantageux pour eux de recevoir leur allocation », constate Patricia Ruffy.
Pour ce viticulteur président d'une cave coopérative, « les salaires de la convention collective sont insuffisants. Si on veut conserver un salarié, il faut le payer correctement ». Une position partagée par un responsable de Pôle emploi, selon qui les viticulteurs en difficulté de recrutement « pourraient faire un effort sur la fiche de paie ». Mais cet effort n'est bien souvent pas possible…
Une forte hausse du nombre de postes à pourvoir
« De tout le secteur privé, la viticulture et l'arboriculture concentrent les plus grands besoins en main-d'œuvre cette année, indique une enquête Pôle emploi réalisée avec le Credoc. 80 616 postes sont à pourvoir, dont 97 % pour des travaux saisonniers. Un chiffre impressionnant, résultant d'une forte hausse des intentions de recrutement entre 2010 et 2011 : 10 300 postes en plus. Contrairement aux écueils que rencontrent beaucoup de vignerons, Pôle emploi juge que ces offres présentent de faibles difficultés d'embauche. » Il estime que 26 % seulement des postes sont difficiles à pourvoir dans le secteur de la viticulture et de l'arboriculture. C'est beaucoup moins que dans l'aide à domicile (61 % de postes difficiles à pourvoir) ou en restauration (58 % pour les postes de cuisiniers).
A Epernay, Marc Humbert, directeur de l'agence Pôle emploi, n'évoque pas de difficultés de recrutement en viticulture. « Le secteur n'est pas en pénurie de main-d'œuvre. Mais pour les postes de tractoristes, il existe souvent un problème de qualification des candidats et de méconnaissance du métier. Le manque de logement sur l'exploitation peut aussi poser un problème à certains candidats, pour les vendanges ou d'autres travaux saisonniers. » Marc Humbert estime à 35 % la part de marché de Pôle emploi en viticulture : « Beaucoup de vignerons recherchent des saisonniers par le bouche à oreille entre exploitations. »
Le groupement d'employeurs : une solution ?
« Nous sommes huit exploitations à employer trois salariés, formés à la taille, à la mise en bouteille, aux soutirages, à la réception des raisins aux vendanges etc. Ils travaillent ainsi toute l'année et à plein-temps, indique Jean Chaillou, viticulteur céréalier dans le Vendômois, membre du groupement d'employeurs Bacchus créé en 2004. C'est bien plus simple que d'embaucher et de former chaque année des saisonniers que nous ne sommes pas sûrs de retrouver la campagne suivante. » Le principe du groupement d'employeur : plusieurs exploitations agricoles se partagent un ou plusieurs salariés.
Les salariés vont travailler chez leurs différents employeurs au gré de leurs besoins et bénéficient d'un emploi stable. Une formule « gagnant-gagnant » qui pourrait contribuer à diminuer les difficultés de recrutement.
Il est cependant difficile d'aménager les emplois du temps lorsque différentes exploitations ont les mêmes besoins aux mêmes moments.
« La plupart des exploitations membres du groupement d'employeurs sont à la fois viticoles et céréalières, poursuit Jean Chaillou. Nous avons tenté d'aménager des complémentarités entre la vigne et les céréales. Les périodes de travail sont différentes, mais cette expérience a été mise de côté, car nous ne trouvions pas forcément les candidats pour ce type de poste. Nos salariés travaillent donc uniquement à la vigne. »