« C'est vrai qu'il faut y consacrer du temps. D'ailleurs, j'en ai perdu la première semaine avec mes deux stagiaires, mais ils me l'ont bien rendu la seconde. » En décembre dernier, Thierry Renaud, viticulteur sur 4,5 hectares de vigne et céréalier à Baignes-Sainte-Radegonde, en Charente, a formé deux demandeurs d'emploi à la taille.
À 45 ans, Thierry Renaud est viticulteur depuis vingt-cinq ans et formateur depuis deux ans. Il travaille seul avec sa femme sur son exploitation. « Quand j'ai passé mon Bepa, j'étais content de trouver un patron de stage, explique-t-il. Maintenant, c'est moi qui rends la pareille. »
Les deux demandeurs d'emploi sont resté deux semaines chez lui, entrecoupées par un stage chez un autre viticulteur. La première semaine était consacrée à l'initiation ; la seconde, au perfectionnement. « Le premier jour, je leur donne des documents qui me sont fournis par le centre de formation. Nous prenons le temps de les lire ensemble. Je donne aussi les grandes lignes de ce qu'est la taille », rapporte Thierry Renaud. Après cette rapide introduction théorique, « nous allons dans les vignes », poursuit-il.
Formation gratuite des apprentis
C'est devant les ceps que commence la formation, avec la présence permanente de Thierry Renaud auprès de ses apprentis. « Chaque pied a ses caractéristiques et demande une taille adaptée, observe le Charentais. C'est ce que j'essaie de faire comprendre aux stagiaires. »
Comme d'autres viticulteurs, Thierry Renaud a été recruté par le CFPPA de l'Oisellerie, à Angoulême (Charente). Le Centre de formation professionnelle et de promotion agricole dispose d'un réseau de deux cents maîtres de stages et d'apprentissage qui ont signé une convention de stage. Animés par le souci de transmettre leur savoir, ils forment gratuitement les apprentis.
Le centre de formation encadre ses maîtres de stage. « Nous leur rendons visite, indique Marie-Françoise Morenvillez, la responsable pédagogique. Nous nous entendons sur les techniques, sur la manière de transmettre. » Elle prévoit aussi de mettre au point un cahier des charges avec les viticulteurs, de façon à conserver la tradition et les spécificités de la taille du vignoble de Cognac. Cette démarche de formation est née en 2008 d'une volonté conjointe de Pôle emploi, des syndicats viticoles, de la chambre d'agriculture de Charente et du conseil régional du Poitou-Charentes.
Elle répond au besoin des viticulteurs de trouver de nouveaux tailleurs – des chômeurs ou des saisonniers venus tirer les bois – et de perfectionner les salariés déjà en poste. De son côté, Pôle emploi y voit un moyen de trouver du travail aux chômeurs inscrits sur ses listes.
Le plus souvent, c'est au début de la saison de taille que tout se décide, un peu dans la précipitation. C'est à ce moment-là que les viticulteurs connaissent leurs besoins et qu'ils les transmettent à Pôle emploi. Ayant une idée du nombre de postes à pourvoir, ce dernier peut alors orienter les chômeurs. Laurence Trouvé-Langlais, responsable de la plateforme viticole au Pôle emploi de Cognac-Barbezieux regrette ce manque de préparation car « il est difficile de mettre en place une formation dans l'urgence ».
La taille, la clé d'entrée vers un emploi pérenne
Malgré cela, le système fonctionne. « Parmi les demandeurs d'emploi, nous repérons ceux qui ont été saisonniers non qualifiés pour leur proposer cette formation, indique Laurence Trouvé-Langlais. Nous leur expliquons qu'elle peut aussi déboucher sur un travail en CDI. La taille, c'est la clé d'entrée vers un emploi pérenne en viticulture. »
Mais il ne suffit pas de savoir tailler pour trouver un travail pérenne dans le secteur. Des stagiaires en ont fait l'expérience, se retrouvant à nouveau sans emploi après la saison de la taille.
En 2010, le CFPPA de l'Oisellerie a donc lancé la formation « Entretien de la vigne et conduite de tracteur », soit 600 heures destinées aux demandeurs d'emploi.
Reste à convaincre les intéressés. Là, les difficultés viennent aussi des viticulteurs eux-mêmes. Les tailleurs ne sont pas toujours rémunérés à la hauteur de leurs attentes. « La première année, comme ils ne sont pas productifs, les employeurs ont tendance à les payer au pied », constate Laurence Trouvé-Langlais. Des ouvriers n'atteignent pas le Smic. « Certains sont dégoûtés et ne reviennent pas », ajoute-t-elle.
Thierry Renaud connaît ces travers et d'autres, pires encore. Il cite l'exemple d'un viticulteur voisin qui a pris deux stagiaires, mais au lieu de les former à la taille de la vigne… il les a employés au tirage des bois. Gratuitement, puisqu'il s'agissait de stagiaires. Lui joue le jeu honnêtement. « Ce qui me plaît, dit-il, c'est de voir les gens progresser. C'est cela qui fait plaisir… »
Une plateforme à l'écoute des besoins des viticulteurs
« Avec 17 500 emplois directs, la viticulture est un gros employeur sur notre territoire, souligne Laurence Trouvé-Langlais, responsable de la plateforme viticole du Pôle emploi de Cognac-Barbezieux. D'un côté, la viticulture cherche de la main-d'œuvre. De l'autre, nous sommes chargés de placer les demandeurs d'emploi, et nous en avons beaucoup. Le but est de mettre les deux en adéquation. » Pour faciliter les choses, Pôle emploi a créé la plateforme viticole dès 1988. « Il faut convaincre les demandeurs d'emploi des avantages que présente le travail dans les vignes : autonomie, initiative et absence de monotonie, sachant que beaucoup d'entre eux ont souvent travaillé à la chaîne dans les grandes maisons de Cognac… » Quant aux employeurs, la plateforme viticole leur permet d'avoir des interlocuteurs compétents, qui comprennent leurs besoins. « Nous travaillons avec les viticulteurs pour voir quelles formations mettre en place. Notre but, c'est aussi de les aider dans leur recrutement », conclut Laurence Trouvé-Langlais.
Une association pour la formation
Active à partir de janvier prochain, l'Adefa (Association départementale pour la formation et l'emploi en agriculture) sera financée par un système de cotisations obligatoires.
« Avec elle, nous allons nous redonner des moyens », se réjouit Bernard Georgeon, viticulteur et entrepreneur de travaux agricoles à Segonzac (Charente) et responsable de la partie viticole de l'Adefa de Charente. Une formation à la taille des vignes devrait ainsi voir le jour. Lui ne trouvait pas de candidats à la taille dans la région de Cognac.
Alors il emploie chaque année une équipe de tailleurs venus d'une région viticole de Roumanie. « Je forme l'équipe en début de saison, pour unifier leurs pratiques et avoir une taille homogène sur les parcelles. »