Selon un proverbe, un père ne peut transmettre que deux choses à son enfant : des racines… et des ailes. Paul de Marseul (Niels Arestrup), le personnage principal du film « Tu seras mon fils », est à l'opposé de cette sagesse. Propriétaire d'un prestigieux domaine viticole à Saint-Emilion baptisé le clos de l'Abbé, l'homme incarne la réussite professionnelle. Fier de lui, il n'a qu'un seul regret : son fils, Martin (Lorànt Deutsch). Pourtant, ce dernier travaille à ses côtés, mais Paul le méprise et les petites humiliations pleuvent…
La relation entre le père et son fils prend une tournure encore plus dramatique le jour où François Amelot (Patrick Chesnais), le régisseur du domaine, tombe gravement malade. Jusqu'alors, pour Paul, tout reposait sur ce bras droit de l'ombre : l'organisation du travail, la décision de la date de récolte, de la durée des cuvaisons, etc. Martin se dit prêt à prendre la relève. Mais pour son père, il n'est pas à la hauteur. « Il faut du nez, un palais... Toi, tu n'as que de l'oreille, reproche le père à son fils. Les vinifications, cela ne s'apprend pas à l'école. »
Par un stratagème, Paul va faire venir Philippe Amelot (Nicolas Bridet), le fils de son régisseur, parti vinifier aux quatre coins du monde. Autant Martin est en retrait, mal à l'aise, incertain... Autant Philippe est avenant, débrouillard et sûr de lui. Cerise sur le gâteau, il est aussi fin dégustateur. Bref, il est l'enfant que Paul aurait aimé avoir. Ce dernier lui confie la supervision des vendanges, écartant un peu trop vite son propre fils et aussi son régisseur, qui lui a pourtant consacré sa vie. Philippe s'acquitte tellement bien de sa mission que Paul veut lui transmettre sa propriété. Mais un meurtre anéantit ses plans.
Rares sont les films aussi ancrés dans un vignoble. Presque toute l'action a été tournée dans les vignes et dans le chai du clos Fourtet (voir encadré ci-contre). Ce réalisme s'impose à l'écran. On ressent les vendanges comme un moment crucial de la vie d'une propriété. On comprend l'importance du suivi de la maturation, du tri des raisins… Plusieurs scènes font l'éloge des grands vins et montrent le plaisir d'en boire. Les images sont très belles, surtout celles montrant le vignoble.
Critique unanime
Quant à l'histoire, c'est celle d'une relation impossible entre un père et son fils. Le premier n'aimant pas le second… Le sujet est dérangeant. On sort remué de ce drame. On est tour à tour choqué par la cruauté paternelle, touché par les blessures du fils, mais parfois aussi agacé par son manque de réaction, surtout quand les humiliations se répètent.
La rédaction de « La Vigne » a apprécié ce film, qui sonne très juste sur les plans viticole et œnologique. Les personnages sont riches et crédibles – Anne Marivin, la femme de Lorànt Deutsch à l'écran, est parfaite dans le rôle de la belle-fille qui sait résister à son beau-père tyrannique… Niels Arestrup est plus vrai que nature en propriétaire viticole oppressif. Pour reprendre la citation de Diderot : « Un père comme celui-là… Il vaut mieux ne pas en avoir… » Mais un débat s'est engagé au sein de l'équipe au sujet du jeu de Lorànt Deutsch, les uns le jugeant très crédible, les autres estimant qu'il en faisait trop dans le rôle du fils étouffé par son père.
De son côté, la critique est unanime pour saluer le jeu des acteurs et de Niels Arestrup en particulier (« somptueux » pour « La Croix », « parfaitement monstrueux » pour « Le Parisien »). Mais les avis sont partagés sur le scénario. Certains jugent le film trop « formaté » (« Les Cahiers du cinéma ») et déplorent les « clichés » (« Paris Match »), d'autres apprécient « une intrigue forte_» (« Le Journal du dimanche ») et « un cru qui a du corps et du cœur » (« 20 minutes »).
Quand le clos Fourtet joue… le clos de l'Abbé
Le film a été tourné au clos Fourtet. « Nous sommes ravis de voir combien il est esthétique et met en valeur notre propriété », explique Mathieu Cuvelier (en photo), fils du propriétaire de ce premier grand cru classé de Saint-Emillion. Pendant un bon mois, de mi-août à mi-septembre 2010, l'équipe de tournage a pris possession des lieux.
« Les vendanges ayant débuté le 4 octobre, nous nous étions mis d'accord sur le fait qu'en cas de traitement à la vigne, il faudrait pouvoir travailler normalement. Au final, tout s'est bien passé », précise-t-il. Même si, dans le fi lm, la propriété s'appelle le clos de l'Abbé, le réalisateur a offert un sympathique « retour d'ascenseur » au clos Fourtet. Ce premier grand cru est choisi comme cadeau prestigieux dans une scène...
Le Point de vue de
Marc-Antoine d'Aymery, courtier en vin de Champagne (Marne)
« L'histoire aborde un vrai sujet »
« J'ai bien aimé cette histoire car elle aborde un vrai sujet : la transmission. Comment transmettre la passion du vin, de la vigne, du travail de la terre ? Comment transmettre une entreprise ? Ce sujet va d'ailleurs être de plus en plus d'actualité dans notre secteur, étant donné l'âge moyen des chefs d'exploitation. Ce qui est déroutant dans cette histoire, c'est que les circonstances ne sont pas celles que l'on a l'habitude de voir. En effet, souvent, le problème vient du manque d'envie des enfants de reprendre. Or, là, c'est l'inverse. Le fils a envie de s'investir, mais c'est le père qui ne veut pas. »
Le Point de vue de
Karine Abba, vigneronne à La Réole (Gironde)
« J'ai aimé, mais je m'interroge… »
« J'ai beaucoup apprécié ce film : les images sont superbes, le jeu des acteurs est excellent, le côté noir de l'histoire est prenant. Toutefois, je m'interroge sur l'image qu'il risque de donner de notre secteur Dans ce fi lm, Paul de Marseul s'achète des chaussures à plus de 2 000 euros la paire. Il a un régisseur, du personnel, etc. Sur mon exploitation, c'est moi qui m'occupe de tout. En tant que viticultrice, je me sens bien plus proche de la simplicité et du côté terrien du régisseur, interprété par Patrick Chesnais. C'est bien la preuve que derrière le mot viticulteur il y a des mondes très différents… »
Le Point de vue de
Jean-Michel Maurin, retraité à Pierrefonds (Oise)
« L'angle sociologique est bien vu »
« Je m'intéresse au monde du vin. Aussi, quand il y a un film sur ce sujet, je n'hésite pas. J'ai apprécié “Mondovino” ou “Sideways” par exemple. Ce fi lm aussi m'a bien plu. Il aborde bien l'angle sociologique en s'intéressant à la relation entre un régisseur et son propriétaire. C'est poignant de voir que le personnage joué par Patrick Chesnais, qui s'est autant investi sur le domaine, n'a pas le retour que l‘on pourrait lui souhaiter. Ce film montre aussi combien la vinification et l'élevage sont des étapes cruciales pour faire un bon produit. On voit bien que la viticulture n'est pas une production agricole toute simple… Ce savoir-faire relève de l'art. »
Le Point de vue de
Isabelle Lavallé, coiffeuse à Compiègne (Oise) et Véronique Chartier, fonctionnaire
« On en ressort bouleversé »
« Nous avons beaucoup apprécié ce film. La bande-annonce nous avait bien plu. Les critiques étaient plutôt bonnes… On ressort de la salle bouleversé. L'histoire est très émouvante, les images sont splendides et le jeu des acteurs est formidable. Pour avoir déjà fait les vendanges, l'ambiance est plutôt bien rendue. D'une façon plus générale, cela donne une bonne image de la viticulture. On sent bien que c'est un monde de passion. Et puis, mis à part Paul de Marseul, le propriétaire qui est vraiment odieux, les autres personnages sont tous attachants. »