« Il y a six ans, je pensais ne pas avoir de successeur. J'aurais pu commencer à saisir des opportunités pour vendre, mais je n'étais pas pressé d'envisager la retraite. Quand la comptable me rappelait que je devais me préparer, je ne l'entendais pas, raconte Rémy Fort, viticulteur à Roquetaillade, dans l'Aude, et président de la cave coopérative Anne de Joyeuse. Aujourd'hui, mon fils Étienne vient de s'installer, et Mathilde, ma fille, l'envisage à son tour. La situation a complètement changé. J'investis à nouveau alors que j'avais levé le pied.» Jusqu'à présent, il cultivait 45 ha de vignes louées au GFA familial qui les possède. Les baux ont été refaits en 2011 pour laisser sa place à Étienne. Ce dernier a ainsi bénéficié de 10 ha. Rémy en a gardé 35.
À six récoltes de la retraite
« Je lui ai transféré des parcelles de merlot et de cabernet installées en zone de coteau. Elles donnent de petits rendements et j'avais du mal à les valoriser. Il veut les cultiver en bio. Il devrait donc pouvoir améliorer leur rentabilité. Et cela ne déséquilibrera pas trop l'exploitation, que je dois faire tourner jusqu'à la retraite », précise-t-il.
À 55 ans, il lui reste encore six récoltes avant de cesser son activité. Avec ses responsabilités à la coopérative, ses journées sont déjà bien remplies. Mais il a envie de se lancer dans de nouveaux projets. « C'est plus motivant de partir en créant quelque chose. Je loue déjà un gîte. Avec ma compagne, qui travaille dans ce secteur, je vais développer une activité d'œnotourisme », explique-t-il. Pour ce faire, en 2011, il a racheté le bâtiment situé au milieu de ses vignes. « Je vais y loger et aménager les annexes pour ouvrir des chambres d'hôtes », détaille-t-il.
Pour accueillir ses successeurs, Rémy a procédé à d'autres changements. Son exploitation était en nom propre. Sur les conseils du CER France de l'Aude, il l'a dissoute et créé une EARL il y a trois mois. La procédure lui a coûté 1 400 euros. Tous les biens de l'exploitation en nom propre ont été apportés à l'actif de l'EARL après avoir été évalués. Cet apport étant total, il n'y a pas eu de plus-value à régler (article 151 du code des impôts). Le matériel ou encore les primes de plantation vont faire l'objet d'un nouvel amortissement. Cela va réduire le bénéfice, et donc l'imposition, qui avait progressé ces dernières années. « Je vais retrouver une capacité d'investissement pour mener à bien mon projet d'œnotourisme », relève le viticulteur.
Faciliter la transmission
La création de l'EARL facilitera la transmission. Lorsque Rémy cessera son activité, il lui suffira de céder au moins 51 % des parts à ses enfants, qui en deviendront les gérants. « Si j'avais gardé l'exploitation en nom propre, j'aurais dû réintégrer tout ce qui n'était pas amorti en bénéfice exceptionnel sur le dernier exercice, souligne-t-il. Là, je n'aurai pas ce problème, car la société poursuivra son activité. »
Dans un deuxième temps, il prévoit de leur transmettre des parts du GFA familial propriétaire des vignes.
Avant d'envisager de s'installer, ses deux enfants ont multiplié les expériences loin du domaine familial. « Il ne faut pas chercher à les pousser dans une direction. Il faut attendre qu'ils se décident d'eux-mêmes », insiste Rémy, qui a su être patient.
Après avoir commencé des études à l'université, Mathilde a réalisé que son désir était de travailler en lien avec la nature. Elle a alors bifurqué vers la viticulture et l'œnologie. Aujourd'hui, elle complète sa formation par un volet commercial et enchaîne les stages dans des domaines réputés. De son côté, Étienne a opté pour un bac pro viticole par alternance et s'est choisi un maître de stage dans le Jurançon. Il est ensuite revenu travailler sur l'exploitation durant un an, comme salarié. L'hiver dernier, il est parti faire un stage de trois mois en Afrique du Sud. C'est en rentrant qu'il a mis en route son dossier d'installation.
Son père pratiquait déjà l'agriculture raisonnée. Étienne a décidé d'aller plus loin et de passer en agriculture biologique en intégrant la section bio de la coopérative. Depuis septembre 2011, il est exploitant à titre individuel. « Nous aurions pu nous associer, le temps que j'arrive à la retraite. Mais pour se lancer dans le bio, Étienne devait créer son exploitation. C'est bien, il pourra mener son projet à sa façon », relève Rémy.
Quand Étienne et Mathilde ont manifesté leur intérêt pour la viticulture il y a six ans, Rémy a recommencé à investir pour améliorer l'encépagement. « J'ai planté 8 ha de chardonnay, de sauvignon et de malbec, des cépages qui bénéficient de bons cours », souligne-t-il. Aujourd'hui, ce n'est plus lui qui plante, mais son fils. Rémy donne son avis sur le choix des cépages, mais tient à le laisser libre du choix final. « Ce n'est pas forcément en travaillant comme moi qu'il réussira, estime-t-il. Le monde évolue constamment, chaque génération doit inventer ses solutions. »
Entre Rémy et ses enfants, les échanges sont parfois vifs. Étienne et Mathilde n'hésitent pas à lui reprocher son productivisme, pourtant relatif avec des rendements de 60 à 80 hl/ha. « En améliorant la qualité et la valorisation, il est possible de produire moins, c'est sûr. Mais pour remplir des bouteilles, je leur rappelle qu'il faut quand même récolter des raisins », s'amuse Rémy, qui compte bien rester à leurs côtés pour leur transmettre son expérience.
La plus grosse difficulté Accepter de lâcher son métier
« Je n'arrive pas à me dire que je n'aurai plus de projets une fois à la retraite. Après avoir eu une vie très active, il est difficile de s'imaginer sans responsabilités. C'est en les exerçant que je me suis formé, que j'ai progressé, relève Rémy Fort. Je ne rêve pas du tout de ne rien faire, même si j'apprécie les loisirs. J'ai envie de continuer à agir, à découvrir, à apprendre. C'est indispensable pour ne pas vieillir trop vite. Mais je serai content de ne plus avoir à gérer l'exploitation, je ne veux pas jouer les prolongations. En revanche, je compte bien rester présent au travers de l'activité œnotouristique. Et je serai heureux de continuer à tailler et de garder le contact avec les vignes. Mon père, lui, ne s'est arrêté qu'à ses 94 ans. »