Ils ont beau prendre le problème par tous les bouts, ils n'ont pas encore trouvé la solution. « Nous ignorons comment nous allons transmettre notre patrimoine à nos deux fils, Alexandre et Valentin, qui ont 24 et 21 ans », annoncent Valérie et Jean-Pierre Jourdan, propriétaires de la bastide Jourdan, une exploitation en EARL, à Bollène, dans le Vaucluse.
Valentin, le cadet, a pris sa décision : il veut reprendre l'exploitation. Il y travaille comme aide familial depuis juillet 2010. Un an plus tôt, il avait préparé son BTS viti-œno en alternance sur le domaine. Il seconde son père en cave, sa mère sur les salons et a en charge les vendanges mécaniques. « Je prévois de m'installer dans un an, le temps de boucler les aspects administratifs », explique-t-il.
Alexandre, l'aîné diplômé d'un Bepa viti-œno et d'un BTS de commerce, a créé une société de négoce de produits régionaux. Il lui arrive d'épauler sa mère sur les salons de vente aux particuliers et de participer aux vendanges. Mais à ce jour, il n'envisage pas de succéder à ses parents.
« Partage équitable »
L'arrivée de Valentin a mis le sujet de la transmission sur la table. « Il travaille avec nous et il projette de prendre notre suite, souligne Valérie Jourdan. Alexandre a pris une autre orientation professionnelle. Il serait donc logique de transmettre l'outil de travail à notre cadet, mais nous voulons un partage équitable entre nos deux enfants. »
Valérie a pris contact avec un juriste de la chambre d'agriculture pour l'aider à démêler la situation. « Il nous a suggéré de transmettre l'exploitation à Valentin qui dédommagerait ensuite son frère, précise-t-elle. Mais ce serait une somme très lourde à supporter pour Valentin. » Et il ne songe pas à s'endetter. « Nous n'avons pas estimé précisément la valeur de l'exploitation, reconnaissent les parents. Mais elle est importante. » Le domaine compte 15 hectares plantés en AOC Côtes-du-Rhône. S'y ajoutent le caveau de vente, la cave et trois gîtes ruraux construits en 2004.
Pour alléger le financement de la donation, ils ont envisagé de partager leurs biens entre leurs deux fils. « Nous pourrions transmettre l'habitation et le gîte à Alexandre », imagine Valérie Jourdan. Mais là, ils se heurtent à une difficulté : la configuration du domaine. « Il n'y a qu'une entrée commune à la maison, au gîte, aux terres, à la cave et au caveau, poursuit la maman. Aujourd'hui, nos enfants s'entendent bien. Mais s'ils se disputaient, ce partage deviendrait invivable ! »
Aussi, ils ont imaginé de construire un caveau et une maison d'habitation sur des terrains extérieurs, dont ils sont propriétaires. « Nous pourrions ainsi léguer la maison à Alexandre, envisagent-ils. Mais cela nous oblige à investir… » Bref, ils n'ont pas encore trouvé le partage idéal. Malgré tout, ils avancent. Les parents ont donné leurs terres à bail à long terme à l'EARL de façon à amoindrir le coût des droits de succession à venir.
Parallèlement, en 2009, ils ont acheté 2,5 ha de côtes-du-rhône villages au travers du GFA Domaine bastide Jourdan, créé pour l'occasion. Les parents en détiennent 40 % des parts chacun, leurs deux enfants 10 % chacun. Ce GFA a loué les terres à l'EARL via un bail à long terme. « Il pourra accueillir les achats futurs, voire le foncier actuel. Mais sur ce point, nous sommes encore en cours de réflexion », indiquent Valérie et Jean-Pierre. Lorsque Valentin aura finalisé l'installation, il deviendra actionnaire de l'EARL à hauteur de 10 %. « C'est le minimum légal, dit sa maman. Mais, il lui est difficile d'aller au-delà : il ne peut pas débourser davantage. » Aussi, elle envisage de s'en retirer pour lui donner ses parts sous forme d'avance sur héritage.
En 2010, elle a par ailleurs créé une société de négoce à son nom, la SAS les Caprices de Valérie Jourdan. Elle vend uniquement des crus des côtes-du-rhône. Elle souhaitait y associer son fils aîné mais, au dernier moment, ce dernier n'a pas voulu. La porte reste cependant ouverte.
« Nous avons toujours souhaité que nos fils nous succèdent, s'accordent Valérie et Jean-Pierre. Tout petits, nous les avons impliqués dans notre travail, à la vigne, en cave et sur les salons où nous les emmenions. »
Question de sensibilité
Les enfants ont suivi leurs parents, chacun selon sa sensibilité. Alexandre a la bosse du commerce. Valentin préfère le travail à la vigne et dans les chais. « Lorsqu'ils sont devenus plus grands, on s'est dit qu'on avait peut-être fait une erreur. Nous avons craint qu'ils se sentent obligés de prendre le relais. Alors, nous en avons reparlé avec eux de façon à ce qu'ils se sentent libres de leur choix. Mais nous leur avons dit que s'ils souhaitaient nous rejoindre, nous voulions qu'ils suivent une formation viticole. » Valérie a 46 ans, Jean-Pierre 48. Tous deux sont confiants. « La transmission exige une réflexion mûrie. Nous nous y prenons à l'avance. Nous espérons trouver la solution la moins coûteuse et la plus juste pour nos enfants. »
La plus grosse difficulté L'incertidude de l'orientation de l'aîné
Alexandre, le fils aîné de Jean-Pierre et Valérie Jourdan, ne souhaite pas reprendre l'exploitation familiale pour l'instant. Seul Valentin, leur fils cadet, s'est décidé à succéder à ses parents. « Notre aîné n'est pas clairement fixé sur son orientation professionnelle, remarque Jean-Pierre. Aujourd'hui, il dit ne pas souhaiter travailler avec nous, mais rien n'est sûr. Dans ce contexte, il est compliqué de définir clairement le partage du domaine entre nos deux enfants, bien que nous souhaitions l'anticiper pour trouver les solutions successorales les moins coûteuses. Cela nous oblige à envisager des pistes différentes car nous ne voulons désavantager ni l'un, ni l'autre. »