« Le travail coûte 4 à 5 euros par heure plus cher en France que dans les pays du sud de l'Europe ou en Allemagne, a déclaré Xavier Beulin, lors d'une conférence de presse organisée le premier jour du Sitévi à Montpellier (Hérault). Cela nous met hors-jeu dans tous les secteurs qui ont de gros coûts salariaux comme les fruits et légumes ou la viticulture. »
Pour le premier syndicat agricole, « la baisse du coût du travail doit être sur le haut de la pile des dossiers à défendre devant les candidats à l'élection présidentielle ». Pour réduire ce coût, la FNSEA propose une hausse de la TVA. Les sommes ainsi collectées viendraient en diminution des charges sociales payées par les employeurs. C'est ce qu'on appelle la TVA sociale (voir encadré ci-dessous).
L'idée n'est pas nouvelle. Christiane Lambert, vice-présidente de la Fédération, se souvient d'avoir planché sur le sujet en 1995-1996. Cette responsable syndicale rappelle que « la France a fait le choix de financer son système de protection sociale via une taxation sur le travail ». Si cette solution avait sa cohérence durant les Trente Glorieuses, elle devient plus risquée dans un système mondialisé où le coût du travail détermine la compétitivité des entreprises.
Changement de mentalités ?
La FNSEA préconise une hausse de trois points de la TVA sur tous les biens et services. Christiane Lambert détaille : « Cela devrait rapporter 30 milliards d'euros. Une partie pourrait être redistribuée aux bas salaires pour compenser la hausse de la TVA. 30 euros par mois accordés aux salariés en dessous de 1,4 Smic représenteraient 3 milliards d'euros. Les 27 milliards restants viendraient financer la protection sociale. On pourrait alors alléger les charges patronales », à commencer par les allocations familiales et l'assurance-maladie.
Il y a quelques années, la simple évocation d'une augmentation de la TVA aurait fait hurler toute l'agriculture, viticulture en tête. Rappelons que le vin supporte déjà une TVA de 19,6 %. Pour cette raison, les responsables viticoles mettent souvent en avant que le secteur est contributeur net au budget de l'État et qu'on ne peut rien lui demander de plus.
Serait-elle passée inaperçue ou est-ce un signe du changement des mentalités ? Une chose est sûre, la déclaration de Xavier Beulin n'a pas entraîné de levée de bouclier chez les responsables viticoles. Pour le Bordelais Bernard Farges, président de la Confédération nationale des syndicats d'AOC (Cnaoc), « le coût du travail n'est pas notre problème numéro un. Mais la viticulture française a intérêt à ce que l'économie française soit compétitive. On voit bien qu'une des explications de la compétitivité de l'Allemagne vient du coût du travail, inférieur au nôtre. C'est un sujet qu'il faut étudier ».
« Compétitivité plombée »
Robert Verger, vigneron à Saint-Lager (Rhône), en Beaujolais, s'est déjà penché sur la question. Et pour cause : il est membre du bureau de la FNSEA. « Sur 14 ha de vignes, j'emploie deux permanents à mi-temps ainsi que vingt à vingt-cinq saisonniers pour les vendanges. Les salaires et les cotisations patronales représentent 20 % de mes charges. Les permanents constituent 40 % du poste main-d'œuvre. Une véritable TVA anti-délocalisation permettrait d'aller plus loin que la baisse d'un euro de l'heure promise par le gouvernement. Mes employés profiteraient du coup de pouce sur les bas salaires. S'il fallait augmenter la TVA sur les vins, ce ne serait pas un problème : je répercuterais la hausse sur mes prix au caveau et pour le vrac ou l'export ça ne changerait rien, car je récupère la TVA. »
De son côté, Denis verdier, président de la coopération viticole, confirme l'analyse de la FNSEA. « Quand on exporte, le coût du travail plombe notre compétitivité, reconnaît-il. Toutefois, taxer davantage la consommation me semble dangereux, car le vin est déjà très taxé et nous sommes en période de crise. Il faudrait une réforme globale de la fiscalité.»
Plusieurs expressions pour une même idée
Certains parlent de TVA sociale, d'autres de TVA emploi, voire de fiscalité anti-délocalisation, mais le concept reste le même. Il s'agit de transférer sur la TVA, impôt payé par le consommateur, tout ou partie des charges sociales qui pèsent sur les entreprises. Il existe trois taux de TVA en France et bientôt quatre. La TVA normale est à 19,6 %. Elle s'applique à la quasi-totalité des biens et services, dont les bouteilles de vin. La TVA réduite va passer de 5,5 % à 7 % pour la majorité des produits concernés, sauf les aliments. Il existe aussi une TVA super-réduite de 2,1 % sur les médicaments. L'idée serait d'augmenter un ou plusieurs de ces taux pour payer des dépenses sociales, par exemple la branche maladie ou famille de la Sécurité sociale. Autant de charges qui ne pèseraient plus sur les entreprises. Le coût du travail se trouverait réduit. Les entreprises pourraient vendre moins cher, investir, faire de plus gros bénéfices… ou augmenter les salaires.
Pour ou contre, à chacun ses arguments
Les défenseurs d'une hausse de la TVA pour alléger les charges sociales font valoir que les entreprises françaises y gagneraient en compétitivité. C'est leur argument principal. En effet, à l'export, les biens français seraient moins chers car ils supporteraient moins de charges sociales alors qu'ils ne seraient pas affectés par la hausse de la TVA française. Et sur le marché intérieur, les biens importés se verraient appliquer la TVA sociale française. Par ce biais, les produits étrangers consommés en France deviendraient contributeurs de notre système de protection sociale.
À l'opposé, les adversaires de la TVA sociale font valoir que la TVA est un impôt injuste car il touche la consommation, indépendamment du niveau de revenu. Pour un même bien, un ouvrier paie autant qu'un cadre alors que ce dernier jouit d'un bien meilleur pouvoir d'achat. De plus, en temps de crise, ces opposants pensent qu'il vaudrait mieux relancer la consommation plutôt que la taxer. Dernière crainte : avec ce système, les recettes de l'État pour financer la protection sociale deviennent dépendantes de la consommation. Si elle venait à faiblir, le déficit de l'État pourrait s'aggraver.
L'agriculture, poisson pilote d'un projet risqué ?
Lors des élections législatives de juin 2007, Jean-Louis Borloo, qui venait tout juste d'être nommé ministre de l'Économie, évoque l'idée d'instaurer la TVA sociale en France. C'est le tollé. La gauche reproche au gouvernement de vouloir augmenter les impôts alors que Nicolas Sarkozy a promis de les baisser. Ce dernier enterre le dossier. Mais le sujet coûte plusieurs sièges de députés à la droite. Depuis, elle est plus que méfiante. Mais elle doit tenir compte de la dégradation de la compétitivité de l'agriculture. En janvier 2010, le gouvernement a accordé l'exonération de charges patronales de Sécurité sociale sur les saisonniers payés moins de 2,5 fois le Smic. Dès l'année prochaine, l'agriculture devrait bénéficier, en plus, d'une réduction d'un euro par heure du coût du travail permanent. Cet allégement est financé par la hausse d'un impôt : la taxe soda, une bribe de TVA sociale. L'agriculture serait-elle le terrain d'expérimentation du gouvernement en la matière ?
Le Point de vue de
Patrick Festal, EARL Les Feneteaux, viticulteur à Margueron (Gironde), 26 ha de vignes en bordeaux
« Nous pourrions pérenniser des emplois »
« J'adhère totalement à la proposition qui consisterait à augmenter la TVA en contrepartie d'une baisse des charges sur le travail. Ce serait une bonne chose dans le contexte de concurrence actuel. Je pense qu'augmenter les prix par le biais de la TVA n'aurait pas d'incidence sur la consommation, laquelle ne baisserait pas. Si on augmente la TVA de 1 ou 2 % sur une bouteille de bordeaux à 5 euros, cela fait 8 centimes de hausse. Ce n'est pas cela qui change la donne. Cette mesure pourrait permettre de pérenniser les emplois ou d'embaucher des occasionnels. Dans mon cas, je travaille avec un salarié permanent. Et J'adhère à un groupement d'employeurs qui comprend quatorze membres. Nous avons embauché trois permanents. En outre, nous faisons appel chaque année à des saisonniers, en moyenne trois par an. L'adoption de la proposition de la FNSEA, nous permettrait de les embaucher et de les former. Car notre problème est bien là : le manque de bras compétents. Nous avons du mal à attirer les jeunes dans nos métiers. Un salarié permanent coûte 2 500 euros pour un salaire net de 1 400. Je préférerais augmenter son salaire et payer moins de charges. »
Le Point de vue de
Olivier Brault, château de Brissac, à Vauchrétien (Maine-et-Loire), 120 ha en coopérative
« L'enjeu, c'est de valoriser le travail »
« Je suis en SCEA avec mon cousin. Nous employons sept salariés à plein temps. Avec les équipes saisonnières pour les travaux en vert et les vendanges, nos effectifs grimpent à quatorze équivalents temps plein sur l'année. Nos salariés ont conservé le rythme des 39 heures. Nous payons donc quatre heures supplémentaires. La masse salariale représente 34 % de nos charges.
Depuis quelques années, avec les réductions Fillon et les aides sur les charges patronales des emplois saisonniers, le montant global des charges est plutôt en baisse. Pour autant, cela reste un poste important pour l'entreprise. Aujourd'hui, on ne doit écarter aucune piste pour valoriser le travail. La main-d'œuvre en viticulture est un sujet crucial. Il est important que le travail soit moins taxé – en tout cas moins que la finance – pour améliorer la compétitivité des entreprises et augmenter le pouvoir d'achat des salariés. Il faut valoriser le travail pour conserver et renouveler une main-d'œuvre qualifiée et motivée. Quant à la hausse de la TVA, elle permettrait de faire participer les importations au budget national. Mais n'oublions pas que le vin est déjà à 19,6 %, contrairement aux autres produits agricoles. »