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GÉRER - LA CHRONIQUE JURIDIQUE

Dispute sur un patronyme devenu marque de vin

Jacques Lachaud - La vigne - n°237 - décembre 2011 - page 76

Trois frères se sont déchirés autour de l'usage de leur nom de famille quelque temps après le décès de leur père. Après avoir déposé ce nom comme une marque, l'aîné espérait s'en réserver l'usage. Il n'est pas parvenu à ses fins.

La Champagne est le berceau de sociétés à la renommée internationale telles que Ruinart, Veuve Clicquot et autres grands noms… À côté de ces géants, une multitude de producteurs bien moins connus réussissent aussi bien. C'était le cas d'une famille, que nous appellerons Zebulle. L'entreprise est florissante. Mais le père, force motrice de ce succès, décède. Il laisse trois fils. Le partage est laborieux. Fernand, l'aîné, prend la suite du père. Raymond et Serge reçoivent des vignes et créent leurs propres sociétés : Champagne Serge Zebulle et Champagne Raymond Zebulle. Au début, ils paraissent s'entendre. Jusqu'au jour où un conflit éclate.

Fernand estime que l'utilisation du nom de famille par ses deux frères est déloyale. Il dépose auprès de l'Institut national de la propriété industrielle la marque verbale « Champagne Zebulle » et les marques semi-figuratives associées. Puis il attaque ses frères.

Précisons qu'une marque est dite verbale quand elle est composée d'un ou plusieurs termes qui peuvent s'écrire ou se prononcer. Cela peut-être un nom patronymique (par exemple Guy Degrenne) ou créé de toutes pièces (Yoplait) ou bien encore un slogan (Parce que vous le valez bien). Une marque est dite semifigurative quand elle associe un terme et un visuel. On parle alors de marque complexe. Fernand assigne ses deux frères en contrefaçon et en concurrence déloyale et parasitaire. Il veut leur interdire d'utiliser le nom Zebulle et les marques semifiguratives qui lui sont attachées. À l'appui de sa demande, il invoque l'article 713-5 du code de la propriété intellectuelle : « La reproduction ou l'imitation d'une marque jouissant d'une renommée pour des produits ou services non similaires à ceux désignés dans l'enregistrement [de ladite marque] engage la responsabilité civile de son auteur si elle est de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque ou si cette reproduction ou imitation constitue une exploitation injustifiée de cette dernière. »

Pour Fernand, le préjudice est certain puisque Raymond et Serge ont développé leur activité grâce au nom Zebulle. Serge et Raymond organisent leur défense autour de l'article 713-6 du code de la propriété intellectuelle. Ce texte déclare que : « L'enregistrement d'une marque ne fait pas obstacle à l'utilisation du même signe ou signe similaire comme dénomination sociale, nom commercial ou enseigne lorsque cette utilisation est soit antérieure à l'enregistrement [de la marque] soit le fait d'un tiers de bonne foi employant son nom patronymique. »

Pas de confusion entre les bouteilles

L'avocat des assignés va d'abord montrer que les sociétés Champagne Serge Zebulle et Champagne Raymond Zebulle ont été immatriculées au moins deux ans avant l'enregistrement de la marque Champagne Zebulle. Il va montrer ensuite que les deux assignés avaient pris soin d'ajouter leur prénom au nom de leur société pour éviter toute confusion avec celle de leur frère aîné, preuve de leur bonne foi. Il montre enfin qu'il n'y avait pas de risque de confusion entre les différentes bouteilles.

Les juges ont rejeté l'action de Fernand. Un pourvoi en cassation est tenté. La Cour l'a rejeté, considérant que Serge et Raymond avaient fait un usage légitime « de leur patronyme dans la dénomination de leur entreprise à laquelle ils s'identifient » et qu'ils étaient de « bonne foi ». Une question demeure : si le dépôt de la marque Champagne Zebulle avait été opéré du vivant du père, l'issue du contentieux aurait-il été le même ?

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