La dernière décennie en Corse montre l'impact de l'économie sur des choix de vie : « Au début des années 2000, les marchés du vin étaient peu rémunérateurs, se souvient Éric Poli, président du syndicat de l'IGP Île de Beauté. Ce n'était pas toujours un cadeau de transmettre un domaine viticole : le travail y était dur, la rentabilité rarement au rendez-vous. Les vignerons en place sont donc restés aux commandes. Depuis deux ou trois ans, les affaires vont mieux et nous voyons les jeunes revenir sur les exploitations. »
« Il manque une classe d'âge de vignerons »
Les chiffres du recensement 2010 sont éloquents : la viticulture est le secteur agricole corse le plus âgé. Selon les statistiques, plus des deux tiers des vignerons sur l'île auraient plus de 65 ans. C'est bien plus que la moyenne nationale qui situe l'âge moyen des viticulteurs spécialisés à 52 ans… La Corse est le vignoble où le taux des moins de 40 ans est le plus faible : 14 % (contre une moyenne nationale à 20 %). Autre constat lié au précédent : entre 2000 et 2010, le vignoble corse a perdu 7 % de sa surface (environ 529 ha). Alain Bagard, chef du service régional de FranceAgriMer, dresse le profil de l'arracheur : « Un viticulteur en coopérative, plutôt âgé, sans successeur, souvent endetté et plutôt situé sur la côte orientale. »
Pour cette population, l'arrachage primé a été une vraie aubaine. Un observateur ajoute : « La mesure a été d'autant plus intéressante qu'en arrachant, le propriétaire garde sa terre libre. En période de spéculation foncière, cela donne l'occasion de revendre au bon moment… »
Lors des campagnes 2008-2009 et 2009-2010, il s'est ainsi arraché, avec primes, près de 578 ha. Pour la dernière campagne d'arrachage primée, il n'y a pas eu de demande. Certains veulent y voir la preuve d'un équilibre retrouvé.
Pour les coopératives touchées par ces arrachages, la perte de volume a été difficile à gérer. Alain Mazoyer, directeur des Vignerons corsicans, raconte : « Nous avons perdu 200 ha. Surtout des vins de pays. Aujourd'hui, il nous manque une classe d'âge de vignerons. Nous essayons d'assurer l'intérim en attendant la relève. »
Face à la reprise des marchés et au constat que la viticulture corse manque désormais de vin, l'île a obtenu de nouveaux droits de plantation. Environ 100 ha ont été ainsi accordés lors de la dernière campagne et le double devrait l'être l'année prochaine.
Côté restructuration, France AgriMer note une intensification des demandes en 2011. Laurent Bourde, du Civam, complète : « Les Corses plantent de plus en plus de cépages corses. » Preuve que la viticulture a repris confiance en elle.
Le Point de vue de
Charles Morazzani, vigneron à Folelli (Haute-Corse). 17,5 ha en 2000, 17 ha en 2010
« J'ai lancé ma cuvée prestige »
«J'ai 66 ans et, comme beaucoup de mes collègues, je me bats depuis des années pour la défense de nos cépages typiques corses. Cette décennie a vu nos efforts récompensés. Nos vins sont aujourd'hui reconnus par le consommateur comme des produits à forte personnalité et de qualité. Cette montée en puissance de la notoriété des vins corses m'a donné l'idée de lancer une cuvée prestige en 2001. Elle est issue de vignes à faible rendement : 70 % de niellucciu et le reste en syrah. La cuvaison, d'une trentaine de jours, est plus longue que pour mes cuvées classiques. Baptisé Monte Cristo, ce haut de gamme est vendu à la cave 7 euros TTC la bouteille, soit 2 euros de plus que les bouteilles classiques. Selon les années, j'en produis entre 10 000 et 15 000 cols par an.
Cette cuvée est souvent récompensée dans les concours et elle a été bien notée par la presse spécialisée. 90 % de mes vins sont commercialisés sur l'île. Les 10 % restants sont vendus via quatre salons auxquels je participe chaque année sur le continent. Qu'ils viennent au caveau ou sur mon stand, mes clients me sont fidèles. Je note, en revanche, qu'ils commandent moins entre deux rencontres. Mais, quand on se voit, ils m'achètent d'avantage ! Comme mes tarifs sur les salons sont les mêmes que ceux des vins livrés, j'en conclus que c'est le contact humain qui fait la différence et devient indispensable… Autour de moi, j'ai vu le paysage viticole changer ces dernières années. Des coopérateurs, trop âgés et sans repreneurs, ont arraché. Les domaines indépendants me semblent moins touchés par cette désaffection. J'en connais plusieurs où les petits enfants, garçon comme fille, se sont installés. Sur mon exploitation, ce n'est pas le cas. Mes deux enfants ne sont pas intéressés par une reprise. »