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DOSSIER - Les parades à la contrefaçon

Les parades à la contrefaçon

MICHÈLE TRÉVOUX - La vigne - n°239 - février 2012 - page 28

Favorisée par la mondialisation, la contrefaçon de vins et spiritueux se développe à une allure galopante. Les interprofessions et l'Inao ripostent tant par la voie juridique que par des mesures de prévention et de formation des opérateurs. De leur côté, les producteurs mettent en place des dispositifs garantissant l'authenticité et la traçabilité de leur production. Des mesures bien accueillies par les acheteurs.

« Crime du XXIe siècle », c'est ainsi que l'Organisation mondiale des douanes qualifie la contrefaçon, en pleine explosion partout dans le monde. Le secteur des vins et spiritueux n'est pas épargné. Premières victimes de ce fléau : les appellations et crus français les plus prestigieux.

« C'est l'hommage du vice à la vertu, analyse Roland Feredj, directeur du CIVB, l'interprofession des vins de Bordeaux. Plus vous êtes connus, plus vous êtes copiés. »

Difficile à quantifier

L'essor des ventes en Chine, premier pays contrefacteur au monde, a donné une forte impulsion à ce fléau. On y vend de faux cognacs ou bordeaux sous des étiquettes inventées de toutes pièces. On copie également des châteaux célèbres en imitant leurs étiquettes, voire en réutilisant leurs bouteilles vides.

Selon le rapport des douanes communautaires de juillet 2011, 129 000 articles de vins et spiritueux ont été saisis en 2010, ce qui représente 694 000 euros. 74 % de ces articles provenaient de Chine. « En Chine, 65 % des vins étiquetés Bordeaux sont contrefaits », indique l'Unifab (Union des fabricants pour la protection internationale de la propriété intellectuelle) dans son rapport sur les vins et spiritueux.

« Personne ne peut dire sérieusement quelle est la proportion de vins et spiritueux contrefaits », assure de son côté Roland Feredj. Activité illicite, donc souterraine, la contrefaçon ne peut être quantifiée. Qui plus est, ni les grands châteaux ou marques, ni les appellations n'ont intérêt à diffuser des chiffres qui pourraient alarmer les consommateurs.

Le phénomène a pris une telle ampleur que de plus en plus de domaines et châteaux, surtout à Bordeaux, optent pour des systèmes rendant leurs étiquettes infalsifiables. Selon notre enquête, ces précautions sont d'un coût raisonnable et souvent très bien accueillies par les clients.

Les interprofessions et l'Inao sont aussi sur le qui-vive pour interdire à quiconque d'utiliser le nom d'une appellation sans en avoir le droit. Champions en la matière, le CIVC en Champagne et le BNIC à Cognac ont pris une longueur d'avance. « La première action de défense de l'appellation Champagne date de 1843, rappelle Charles Goemaere, responsable des services protection de l'appellation. Notre stratégie consiste à réagir à toute utilisation non conforme de la mention Champagne. » Début janvier, 1 306 dossiers étaient en cours de traitement au CIVC, la plupart se réglant par un simple échange de courrier. « Nous réagissons systématiquement et nous faisons savoir que toute utilisation abusive de la mention Champagne sera sanctionnée. »

« Un budget qui n'est pas limité »

Le CIVC a également mis en place, comme le BNIC pour le cognac et le BNIA pour l'armagnac, un certificat d'authentification obligatoire pour tout lot de bouteilles exportées. Enfin, il réfléchit à l'application d'un dispositif de protection infalsifiable sur toutes les bouteilles de champagne.

De son côté, le BNIC dispense une formation à tous les douaniers de la planète afin qu'ils puissent détecter les faux cognacs.

Au CIVB, la lutte contre la contrefaçon « est le seul budget qui n'est pas limité », soutient Roland Feredj. L'interprofession des vins de Bordeaux veut renforcer la traçabilité des exportations de vin en vrac en imposant un agrément pour les embouteilleurs. Pour les vins en bouteille, elle vient de mettre en place l'application « Smart Bordeaux » permettant à tout consommateur de vérifier via son smartphone l'authenticité d'un château ou d'une marque. Le CIVB mise également sur la formation grâce à son école du vin présente dans vingt-deux pays.

La France doit faire des propositions

Le 5 janvier dernier, le ministère de l'Agriculture réunissait les interprofessions viticoles et les administrations concernées par la contrefaçon (douanes, Inao, DGCCRF…) pour réfléchir aux mesures à prendre. « Si nous n'agissons pas rapidement, la Chine pourrait nous imposer une procédure d'importation comme l'a fait le Brésil en 2009. La filière a tout intérêt à proposer une procédure harmonisée pour tous les pays plutôt que de se voir imposer des dispositifs spécifiques à chaque pays », estime Philippe Reynaud, de la direction générale des douanes.

« Nous pistons les dépôts de marque »

Véronique Fouks, chef du service juridique et international de l'Inao. © INAO

Véronique Fouks, chef du service juridique et international de l'Inao. © INAO

« Pour défendre les AOC et les IGP françaises, l'Inao effectue une surveillance mondiale des dépôts de marque. Ce suivi nous permet d'avoir connaissance de toutes les marques déposées qui reprennent des éléments d'indications géographiques françaises et d'alerter les autorités concernées. C'est ainsi que nous avons obtenu plusieurs décisions favorables de l'Office des marques chinois (CTMO) en 2011 à l'encontre de dépôts de marques usurpant des appellations viticoles françaises.

Le CTMO a refusé l'enregistrement des marques Buzet, Chablis et Comté Tolosan au motif qu'il s'agit d'AOC ou d'IGP françaises et que leur utilisation sur des produits viticoles différents induirait les consommateurs en erreur. Au total, nous avons 500 dossiers de contrefaçon et d'usurpation d'appellations en cours dans le monde entier, dont 80 % concernent les vins et spiritueux. En 2011, nous avons ouvert 130 nouveaux dossiers contre 80 en moyenne les années précédentes. »

Les trois formes du délit

La contrefaçon est une violation du droit de la propriété intellectuelle, le but étant de profiter de la notoriété d'autrui en faisant passer le produit contrefait pour original. Dans le secteur des vins et spiritueux, elle prend trois formes.

La copie. C'est l'utilisation de tout ou partie du nom d'une marque, d'un château, d'un domaine, d'une l'appellation d'origine contrôlée ou d'une indication géographique protégée sur des étiquettes de vins sans rapport avec les vins originaux. La copie peut également porter sur le design de l'étiquette ou sur la forme de la bouteille.

Le coupage. C'est l'ajout d'un vin ou de substances autres à un vin authentique, fraude qui peut se produire dans le cas des expéditions en vrac.

La réutilisation des bouteilles vides. Les grands châteaux sont victimes de ce fléau qui permet de vendre très cher des vins sans valeur. Certains cumulent les fraudes. Exemple : le « cognac » à base de feuilles de thé et d'alcool blanc, embouteillé dans une véritable bouteille de cognac.

L'essentiel de l'offre

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