C'est sans doute l'une des seules bonnes nouvelles pour l'économie espagnole : le vin ibérique séduit de plus en plus les consommateurs étrangers. L'an passé, les exportations ont continué à croître, battant tous les records et permettant à la viticulture de compenser un marché national en berne.
Selon l'Observatoire espagnol du marché vinicole (OEMV), ces exportations ont dépassé les 2,2 milliards d'euros, soit 17 % de plus qu'en 2010. En volume, on enregistre un bond de 26 % pour arriver à 22 millions d'hectolitres. Des niveaux encore jamais atteints. « L'Espagne a compris qu'il lui fallait parier sur l'étranger. Depuis quelques années, elle soigne la qualité pour conquérir de nouveaux marchés », assure Barbara Toral, consultante en vins à Logroño, dans la Rioja.
Deux gros clients, l'Allemagne et le Royaume-Uni
Ses deux premiers clients en valeur sont l'Allemagne et le Royaume-Uni. Tous deux ont augmenté leurs achats. En 2011, les exportations vers l'Allemagne ont atteint 344 millions d'euros, en hausse de 10,5 % en un an ; celles vers le Royaume-Uni se sont élevées à 312 millions d'euros, soit 13 % de mieux. De plus, les Espagnols conquièrent de nouveaux clients en Russie, au Brésil ou en Chine, où le marché du vin est en pleine expansion.
Mais nos voisins restent avant tout des fournisseurs de vins à bas prix. Les vins tranquilles sans DOP (dénomination d'origine protégée) représentent de loin l'essentiel des volumes exportés : 15,9 millions d'hl, soit presque les trois quarts du total. Ces volumes sont en hausse de 33 %. Pour l'essentiel, ils quittent l'Espagne en vrac. La France est le premier acheteur de ces produits à bas prix. C'est aussi le premier client de l'Espagne en volume (voir encadré).
Ce bond spectaculaire des vins tranquilles sans DOP s'est accompagné d'une érosion des prix, la moyenne passant de 49 à 47 centimes le litre. Au total, leur exportation a rapporté 753 millions d'euros.
Ces prix attractifs sont l'une des raisons du succès des vins espagnols à l'étranger. Pour les vins tranquilles d'appellation (DOP), la moyenne se situe à 2,54 €/l, là aussi en léger recul par rapport à 2010. Les acheteurs jugent ce niveau très abordable par rapport aux crus français, pour une qualité qui s'est grandement améliorée. En 2011, les exportations de DOP tranquilles ont augmenté de 17 % en volume, pour atteindre 3,8 millions d'hl. En valeur, elles se sont élevées à 969 millions d'euros. Les exportations de « cavas » et d'autres vins mousseux sont également en hausse, mais là encore grâce à une baisse des prix.
Pour Begoña Olavarria, chargée de communication à l'OEMV, la baisse des prix est certes « préoccupante », mais elle peut être compensée par un redéploiement vers « les marchés émergents qui doivent à long terme être nos principaux importateurs », explique-t-elle.
Jouer la carte folklorique
L'objectif premier est de conquérir la Chine. Sur ce plan, les choses semblent en bonne voie. L'an dernier, les Chinois ont dépassé les Japonais, important pour 71 millions d'euros de vins espagnols, soit une hausse de 84 %. Ils ont également payé les vins 25 % plus cher qu'en 2010.
Pour se développer sur ce marché juteux, l'Espagne n'hésite pas à faire appel aux symboles les plus connus de sa culture. Cet automne, seize entreprises andalouses, aidées par leur région, ont mis le cap sur Pékin et Shanghai pour faire connaître leurs vins et brandies. Là-bas, elles ont joué la carte folklorique en lançant une opération « vinos y tapas night », le tout sur un air de flamenco. Résultat, en 2011, les ventes de vins andalous dans l'empire du Milieu ont atteint 32 millions d'euros, soit six fois plus qu'en 2010 !
Dans la même veine, la fondation Castille et Manche Terre de vignoble a programmé l'an passé une campagne de promotion annonçant que ses vins sont ceux « de l'Espagne de Don Quichotte ». Berceau du héros de Miguel Cervantès, cette région entend développer ses ventes en Chine, mais aussi aux États-Unis et en Russie. Personne ne reste à l'écart de cette quête de nouveaux marchés. Ribera del Duero, une appellation qui commence à faire de l'ombre à Rioja, s'attaque aux États-Unis. En 2011, pour la troisième année consécutive, 163 producteurs ont participé à une vaste opération marketing, dénommée « Drink Ribera, drink Spain ». Avec un budget d'un million d'euros, ils entendent réaliser près de 350_opérations de « tasting » dans diverses régions des États-Unis.
« Cette opération a obtenu de bons résultats : 73 % des participants ont obtenu un importateur », assure un consultant de l'entreprise britannique Wine Intelligence, en charge du projet.
Développer les ventes nationales
Si l'exportation constitue la porte de salut pour la majorité des vignobles espagnols, certaines régions souhaitent développer leurs ventes nationales. C'est le cas de la Murcie, qui a organisé des campagnes de promotion sur ses propres terres.
« Près de 80 % de notre vin est destiné à l'exportation, il est plus apprécié au-dehors que chez nous », se lamente Asuncion Ramos, coordinatrice de la Foire aux vins de Murcie. Sur les 42 000 hectares de vignoble, près de 22 000 sont en DOP grâce à des viticulteurs qui ont soigné la qualité, aujourd'hui reconnue par de nombreux oenologues.
« Comme pour les films ou la grande cuisine espagnole, il a fallu d'abord que nos vins obtiennent une reconnaissance à l'international pour qu'ils soient ensuite appréciés à leur juste valeur chez nous », constate Barbara Toral, la consultante de Logroño.
La France, gros acheteur de vins à bas prix
Selon les chiffres de l'OEMV, l'Espagne a exporté 4,5 millions d'hl vers la France pour une valeur de 175 millions d'euros, soit un prix moyen de 39 centimes par litre. Ces chiffres traduisent un bond de 30 % par rapport à 2010. Le négoce français a acheté 3,9 millions d'hl de vins sans appellation en vrac au prix moyen de 29 centimes du litre, provenant essentiellement de Castille-La Manche. C'est ainsi que l'on a vu fleurir les vins d'Espagne, dans les rayons des supermarchés. Parmi les appellations, c'est la Rioja qui exporte le plus vers la France.