Ils s'appellent Spirou, Quaza et Théo. Qu'ils soient trait du Nord, percherons ou bretons, les chevaux de trait reviennent dans les vignes bordelaises depuis cinq ans, après bientôt quarante ans d'absence. Ils étaient réunis le 13 mars au château Le Puy, à Saint-Cibard (Gironde), dans l'AOC Franc-Côtes de Bordeaux, à l'initiative de l'Association pour le retour de la traction animale, avec l'appui de Vini vitis bio.
« Nous cultivons 3 ha avec notre propre cheval », confie Pascal Amoreau, hôte de cette journée. Le château Le Puy exploite au total 30 ha en biodynamie et connaît une mortalité élevée de ceps due au pourridié. L'idée d'un retour progressif du cheval s'impose à la suite d'analyses de sol qui révèlent une stagnation de l'eau au niveau des racines et un tassement des sols. Mais les domaines travaillant avec leur propre cheval font figure d'exception. La plupart ont recours à un prestataire de services.
Une présence valorisante
Tout a vraiment commencé ici, en Gironde, avec Ramon Garcia. Sans vigne, il se lance en 2009 dans la prestation de travail avec des chevaux. De 2,5 ha la première année, l'activité de sa société Aequitaine couvre deux ans plus tard 32 ha de vignes, qu'elle cultive avec sept équipages. Les châteaux Allary Haut-Brion et Couhins, en AOC Pessac-Léognan, et le château Latour, dans le Médoc, figurent parmi ses clients. La présence d'un cheval dans les vignes valorise l'image d'une propriété, fût-elle déjà renommée.
La dynamique initiée par Ramon Garcia a fait des émules. C'est après l'avoir rencontré qu'Odile Verrieras et Sébastien Mizier créent Équitraction en 2010. Ils cultivent 7 ha, principalement pour le château Troplong Mondot, premier grand cru classé de Saint-Émilion. Aujourd'hui, seize prestataires de services sont présents en Aquitaine. Ils cultivent entre 150 et 200 ha de vignes, sur un total d'un peu moins de 500 ha travaillés avec des chevaux en France, selon Daniel Pasquet, directeur technique de Vini vitis bio. Une douzaine de prestataires travaillent également avec des chevaux en Bourgogne.
Il faut de 70 à 120 heures pour conduire 1 ha de vigne. Dix passages en moyenne sont nécessaires pour réaliser les quatre façons (chaussages/déchaussages) et griffer six fois avec une canadienne. La difficulté tient aux délais d'interventions parfois courts qu'impose la météo sur certains terroirs. « Il arrive alors qu'on se donne un coup de main entre prestataires », remarque Éric Rambour. Car le cheval de trait n'a pas le rendement des chevaux-vapeur.
Spirou, spécialiste du décavaillonnage, marche à 1 km/h. Théo griffe à 3,5 km/h. « Il vaut mieux disposer de deux chevaux pour pouvoir alterner », explique Susana Teixeira, qui travaille avec Éric Rambour. En décavaillonnant 8 heures par jour, le cheval et son meneur peuvent parcourir jusqu'à 25 km. « Il est préférable de limiter à deux fois 3 heures par jour le travail avec une charrue vigneronne et deux fois 1 h 30 par jour celui avec une canadienne, car l'animal montre peu sa fatigue et ne refuse jamais de travailler », observe Odile Verrieras.
Des factures à 60 euros de l'heure
Les prestataires facturent 60 euros HT l'heure de travail d'un laboureur avec son cheval. « Il faut cultiver 10 ha de vigne ou réaliser 1 000 heures de prestation par an pour en vivre », indique Ramon Garcia. En dehors de la saison, qui dure six à sept mois, la plupart d'entre eux exercent une activité complémentaire.
Pour le viticulteur, le coût de la conduite en prestation d'un hectare de vigne avec des chevaux représente 6 000 euros/ha. « Établi sur un rendement de 37 hl/ha, le surcoût s'élève à 60 centimes par bouteille par rapport au même travail avec un tracteur. Il n'est que de 25 centimes par bouteille pour le vigneron qui cultive avec son propre cheval », conclut-il.
Pégase : un porte-outil moderne, mais très cher
Vigneron en AOC Saint-Émilion sur 2,5 ha, Marc Fretier cultive ses vignes avec son cheval depuis 2009. Pour travailler efficacement et à l'aise, il achète le porte-outil multifonction Pégase sur lequel s'adaptent des dents, des disques ou une paire de décavaillonneuses Souslikoff. « Sur terrain plat, je passe 1 ha en 6 heures », assure-t-il. L'outil, fabriqué en Saône-et-Loire par Bernard Michon, coûte près de 10 000 euros ! Marc Fretier veut acquérir un pulvérisateur en jet porté adapté à la traction animale. Doté d'une cuve de 200 litres, il permettra de traiter deux rangs en face par face.