Retour

imprimer l'article Imprimer

GÉRER

Maître Marie-Ange Sebellini, avocate au barreau de Nîmes (Gard) « Ne signez jamais un contrat sans l'avoir lu ! »

Propos recueillis par Frédérique Ehrhard - La vigne - n°243 - juin 2012 - page 78

Lorsqu'un professionnel signe un contrat, il ne bénéficie pas des protections prévues pour les particuliers. Récemment, des viticulteurs trompés par une société de télécommunication l'ont appris à leurs dépens. Voici les conseils d'une avocate spécialisée dans ces questions pour éviter les pièges des démarcheurs.
 © M. GASARIAN

© M. GASARIAN

LA VIGNE : Un viticulteur peut-il se rétracter après avoir signé un contrat avec un prestataire ?

Marie-Ange Sebellini : Non. Le code de la consommation, très protecteur, ne s'applique pas aux contrats passés entre deux entreprises. Lorsque vous vous engagez en tant que professionnel, le principe de la liberté contractuelle s'applique. Il n'y a donc pas de délai de rétractation de sept jours pour la vente à distance ou le démarchage à domicile, comme c'est le cas pour les particuliers. De même, il y a très peu de clauses interdites ou réglementées. Ainsi, pour la téléphonie, la durée du contrat n'est pas limitée à vingt-quatre mois. Si vous agissez en tant que professionnel, vous ne pouvez pas compter sur cette protection, même si vous incluez des mobiles à usage privé dans l'offre que vous souscrivez. Le contrat signé vous engage.

Y a-t-il tout de même des recours possibles ?

M-A. S. : Oui, mais le contrat signé ne peut être annulé en justice que si vous apportez la preuve qu'il y a eu manœuvre mensongère ou violence de la part du démarcheur pour vous amener à signer. Ce n'est pas toujours facile à établir ! Il faut avoir des éléments concrets. L'indignation du plaignant, si sincère soit-elle, ne suffit pas à convaincre le tribunal. C'est pourquoi il faut être très vigilant avant de signer un contrat.

Quelles précautions doit-on prendre vis-à-vis d'un démarcheur ?

M-A. S. : Refusez le démarchage à l'improviste ! Préférez les entreprises qui prennent rendez-vous. N'hésitez pas à leur demander avec quels clients professionnels elles travaillent déjà. Cela vous permettra de vous informer avant le rendez-vous. Vous pouvez aussi vérifier sur internet la réalité de l'existence de la société et sa solvabilité. C'est fondamental de savoir avec qui vous vous engagez.

Est-ce obligatoire de signer tout de suite ?

M-A. S. : Pas du tout ! Des démarcheurs laissent entendre que pour bénéficier d'une offre alléchante, il faut s'engager immédiatement. Mais vous pouvez très bien demander un projet de contrat, que vous prendrez le temps d'étudier en dehors de la présence du démarcheur. Pour emporter la vente, d'autres font des promesses mirobolantes. Ne vous fiez pas aux paroles, elles n'ont pas valeur d'engagement. Seul le contrat écrit fait foi. Prenez le temps de le lire et de le comprendre avant de le signer. Les clauses sont parfois rédigées d'une façon complexe. Si tout n'est pas clair, il est préférable de faire appel à un professionnel du droit pour vous les faire expliquer. Vérifiez bien la durée du contrat et la procédure de résiliation. Le renouvellement est souvent tacite. Si vous ne respectez pas le délai de préavis pour dénoncer sa reconduction, vous vous retrouvez engagé à nouveau.

Quels sont les comportements qui doivent nous alerter ?

M-A. S. : Attention à ce qui est présenté comme gratuit. Les cadeaux peuvent faire partie de la négociation commerciale. Mais l'entreprise est bien là pour gagner de l'argent en échange d'un service. Si vous sentez que le démarcheur cherche à précipiter votre décision ou s'il ne vous laisse pas prendre le contrat en main pour le lire, méfiez-vous aussi.

À ce sujet vous avez défendu des cas très concrets…

M-A. S. : Oui. Je défends des clients qui ont eu affaire à la société SCT Télécom. La démarche est à chaque fois la même. Un commercial vient les voir et les incite à s'engager en tant que professionnel, précisément pour exclure les dispositions protectrices du droit de la consommation. L'offre est très attractive, les mobiles sont soi-disant offerts et les forfaits ajustables. Le démarcheur amène habilement les personnes à signer un contrat qui n'est pas complètement rempli, sans leur laisser le temps de le lire. Il ne leur en laisse pas de double. Une fois que les professionnels le reçoivent par courrier, ils découvrent la réalité de leur engagement. Les clauses sont écrites en caractères tellement petits qu'il faut une loupe pour les lire. Elles contiennent des dispositions qui ne correspondent pas du tout à ce qui a été annoncé verbalement par les démarcheurs. En fait, tout est payant, et les factures peuvent atteindre plusieurs milliers d'euros par mois. Quant aux frais de résiliation, ils sont prohibitifs.

Que faire en cas de problème ?

M-A. S. : Si vous estimez avoir été trompé, il est préférable de prendre conseil auprès d'un avocat avant d'entreprendre quoi que ce soit. Vous pouvez ensuite faire opposition aux prélèvements bancaires, moyennant paiement des frais prévus par votre banque. Mais tant que le contrat n'est pas annulé en justice, le prestataire peut vous réclamer les sommes dues. Même en cas d'annulation, il n'est pas toujours évident d'obtenir le remboursement des sommes versées. Dans ce genre d'affaires, les sociétés mises en cause font souvent l'objet d'une liquidation judiciaire. C'est ce qui est arrivé à une de mes clientes. Elle avait été démarchée par un agent immobilier qui n'a pas exécuté les prestations prévues. Elle a obtenu l'annulation du contrat mais n'a pas pu se faire rembourser par le liquidateur, faute de fonds disponibles.

Le Point de vue de

Jean-Marc Floutier, domaine du Grand chemin, à Savignargues (Gard)

« J'ai signé en étant bousculé »

Jean-Marc Floutier, domaine du Grand chemin, à Savignargues (Gard)

Jean-Marc Floutier, domaine du Grand chemin, à Savignargues (Gard)

« Il y a quelques mois, j'ai été contacté par la société SCT Télécom. Après avoir pris rendez-vous, deux démarcheurs sont venus au caveau me proposer leur offre. Leur argumentaire était alléchant, ma facture de téléphone devait être divisée par deux. Ce jour-là, j'étais bousculé, car des clients m'attendaient pour déguster. J'ai fi ni par signer le contrat qu'ils m'ont présenté sans prendre le temps de le lire, mais en mentionnant sous ma signature qu'il s'agissait d'un essai de six mois. Ils ne m'ont pas laissé de double, ce qui m'a alerté. Dix jours après, j'ai reçu de nouvelles cartes SIM pour les mobiles, alors que je ne m'étais engagé que pour une ligne fixe. J'ai renvoyé ces cartes en recommandé en indiquant que cela ne correspondait pas au contrat signé. La société a alors mis en service la ligne fixe et prélevé 50 euros qui n'étaient pas prévus. J'ai tout de suite fait opposition aux prélèvements à venir. SCT Télécom m'a alors réclamé des frais de rupture de contrat de 3 000 euros ! Je les ai menacés de porter plainte pour harcèlement et, depuis, je n'ai plus de nouvelles d'eux. D'habitude, je m'informe sur les entreprises avant de recevoir leur représentant. Mais là, le fait que cette société ne travaille qu'avec des professionnels m'avait mis en confiance. J'aurais dû leur demander des contacts de clients. C'est ce que j'avais fait pour une offre reçue par internet et cela m'avait permis d'éviter de me faire escroquer. »

Cet article fait partie du dossier

Consultez les autres articles du dossier :

PARCOURS

45 ans.

DEA en droit privé.

Prestation du serment d'avocat à Paris en 1994.

Inscription au barreau de Nîmes (Gard) en 1998.

En 2005, création d'une société civile professionnelle avec deux autres avocates.

Spécialisée dans le droit commercial et le droit de la consommation.

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :