Le secret a été bien gardé. Pendant deux ans, au château la Fleur de Boüard, Hubert de Boüard, le propriétaire, Philippe Nunes, le directeur d'exploitation, et la société Lejeune, fabricant de cuves, ont concocté un chai révolutionnaire équipé de cuves tronconiques inversées suspendues au plafond. Résultat ? Du jamais vu: on dirait les cuves disposées à l'envers. Leur point le plus bas étant à 2,20m du sol, le visiteur circule sous les cuves. Rien ne repose au sol. L'image de stalactites vient à l'esprit.
« Nous avons réfléchi à un chai nous permettant d'atteindre un respect total du fruit, une extraction qui soit la plus souple et soyeuse possible afin d'obtenir un vin d'équilibre et d'harmonie », justifie Philippe Nunes.
Un secret bien gardé
Le château a mené les essais dans la plus grande confidentialité sur les millésimes 2010 et 2011. Il a travaillé avec une cuve tronconique habillée d'une cuve inox cylindrique afin de garder l'innovation secrète. Les stagiaires ont dû signer un contrat de confidentialité. Au fil des mois, la question de la tronconicité de la cuve a fait débat. Fallait-il l'accentuer ? Elle le sera de quelques degrés, pour avoir un parfait auto-pressurage du marc durant les délestages. La société Lejeune a finalement breveté son innovation.
Comme ces cuves tronconiques inversées s'évasent, elles offrent plus de surface d'échange entre les peaux et le jus. Le marc est en expansion. Lors des délestages, qui durent jusqu'à cinq heures, le marc s'écrase sous son propre poids, libérant le jus. L'extraction est douce, naturelle. D'autant qu'il n'y a ni pompe à vendange ni pompe à vin. À l'arrivée au chai, les raisins – ramassés à la main – sont éraflés puis triés par tri optique. Ils tombent dans des cuvons de 500 litres montés à l'étage à l'aide d'un palan électrique. De là, les ouvriers les amènent au-dessus des cuves pour les vider de leurs raisins.
Plus surprenant, tous les remontages et délestages sont réalisés selon le même principe. Les vins sont écoulés dans des cuvons de 40 hl, sur roulettes, qui circulent dans le chai et qu'un ascenseur placé au milieu des cuves élève du rez-de-chaussée à l'étage. Pour remplir ces cuvons, les ouvriers les placent sous les cuves puis grimpent sur une plateforme élévatrice mobile pour aller ouvrir les vannes placées à 2,50 m du sol. « Avec la gravité, il y a moins d'oxydation. Le vin est plus soyeux », indique Philippe Nunes. La construction du chai (1 100 m2« Nous avons réfléchi à un chai nous permettant d'atteindre un respect total du fruit, une extraction qui soit la plus souple et soyeuse possible afin d'obtenir un vin d'équilibre et d'harmonie d'emprise au sol) a démarré en octobre 2011. Il est doté de 28cuves tronconiques accrochées au plafond, chacune pouvant écouler entre 40 et 45 hl de vin. Il y a aussi deux cuves d'assemblage de 200 hl chacune, trois gardevins de 30 hl chacun et un garde-vin de 60 hl. Cette série de cuves a coûté 800 000 euros sur un investissement total de 4,9 millions d'euros pour cette propriété de 25 ha en AOC Lalande-de-Pomerol qui a produit 100 000 bouteilles en 2011.
Tout sera prêt pour la vendange 2012. « En fait, nous revenons à ce que faisaient les anciens, quand ils n'avaient ni pompe ni électricité, avec la technologie en plus », conclut Philippe Nunes. La Fleur de Boüard compte explorer d'autres pistes nouvelles, encore secrètes pour le moment.
Les cuves
CLASSIQUE Les cuves sont équipées d'une porte pour le décuvage, d'une vanne de vidange totale (à gauche) et d'une vanne de tirage au clair. Le bas des cuves se situe à 2,20 m du sol. Les robinets dégustateurs se trouvent à 3 m du sol. Il faut grimper sur une plate-forme élévatrice pour accéder aux vannes.
SYMÉTRIE Même l'esthétique des arrivées de liquide de refroidissement est soignée. Les cuves sont équipées d'une double paroi sur toute leur hauteur à l'intérieur de laquelle coule de l'eau glycolée. Ce système permet un excellent contrôle des températures.
DISPOSITIF DE SECOURS Le tuyau qui débouche en haut de la cuve (dans le coin en bas à gauche de la photo) sert aux remontages et aux délestages en cas de panne d'ascenseur. On peut observer, au centre de la photo, la sonde de température qui plonge profondément dans le moût en fermentation, un détail classique. De même, la grille persienne (ou drain inox) empêche les peaux de raisin de boucher la vanne de soutirage. Là encore, il s'agit d'un élément courant. Les cuves sont en inox recuit qui n'accroche pas le tartre, d'où une facilité d'entretien.
La cuverie
BÉTON D'apparence banale, ce plancher supporte tout le poids des cuves tronconiques inversées. Chaque cuve est pourvue de quatre amarres en inox scellées dans le béton de la dalle. Deux amarres auraient suffi mais, par souci de sécurité, le château les a doublées. Au fond, les deux cuvons de 40 hl sur roulettes permettent de remonter les vins. En médaillon, on peut voir la cheminée d'une cuve, un cylindre d'un mètre de diamètre surmontée d'une bonde aseptique Bellot. Il reste encore à poser un anneau en inox pour fermer l'espace entre la cheminée et la dalle.
HYGIÈNE Le chai est parfaitement équipé pour le nettoyage, une opération facilitée par le fait que les cuves ne reposent pas sur des pieds et qu'il n'y a aucun obstacle au sol. De larges bandeaux vitrés laissent entrer pleinement la lumière du jour.
ÉLEVAGE Les vins sont écoulés directement des cuves dans les barriques, là encore uniquement par gravité. Pour le reste, l'élevage est classique. Il dure de douze à trente-trois mois selon la cuvée. Le château utilise des barriques en chênes de la forêt de Tronçais. La cuvée la plus prestigieuse du domaine est élevée uniquement en fûts neufs.