Le Château d'Agassac, à Ludon-Médoc, en Gironde, vinifie en moyenne 2 500 hl par an. Depuis 2014, il s'offre les services de l'oenologue-consultant Stéphane Derenoncourt. Très vite, celui-ci a proposé à Pierre Boyer, maître de chai et de culture, qui, jusqu'alors n'effectuait que des remontages et quelques délestages, de tester le pigeage. Désormais, tel un Bourguignon, le maître de chai pige aussi ses meilleures cuvées pour obtenir plus de couleur, de rondeur et de fruité.
Le chai d'Agassac est pourvu de deux batteries de cuves en Inox de 150 hl, hautes de 2,20 m et larges de 3 m, dotées de cheminées de 50 cm de diamètre. « Cette étroitesse a constitué un vrai obstacle dans la mise en place du pigeage, relate Pierre Boyer. Nous ne connaissions aucun appareil assez fin pour pénétrer dans nos cuves. Et piger manuellement aurait relevé du parcours du combattant. Ayant trop peu de visibilité sur le chapeau de marc, il aurait fallu travailler selon des angles très difficiles. » Par chance, Pierre Boyer est originaire du Lot. En feuilletant le quotidien local, La Dépêche, il tombe sur un article qui présente le pigeur Coutale. C'est la solution !
Un pigeur passe partout
Confronté au même problème que le Château d'Agassac, Philippe Bernède, vigneron au Clos La Coutale, à Vire-sur-Lot, dans le Lot, a inventé un pigeur particulièrement mince. L'outil est constitué de deux bras en Inox d'1,20 m de long, qui peuvent monter ou descendre le long de son axe principal, comme ceux d'un tire-bouchon Charles de Gaulle. Lorsqu'ils sont complètement abaissés, le pigeur fait moins de 50 cm de diamètre. Il peut ainsi pénétrer dans les cheminées les plus étroites.
Pierre Boyer a emprunté un exemplaire de cette machine à la veille des vendanges 2014. « Nous ne voulions pas l'acheter sans l'essayer car nous avions peur que le matériel abîme nos cheminées », confie le maître de chai.
La première année, les cavistes ont pigé 50 % des cuves, en priorité celles destinées à l'élaboration du premier vin. Pendant les fermentations, Pierre Boyer et Jean-Luc Zell, le régisseur du domaine, ont dégusté chaque cuve, tous les jours à 11 heures. Quand ils ont jugé l'extraction optimale, ils ont arrêté le pigeage. Au total, ils ont pigé les cuves six à huit fois, en plus de les remonter. Avant, elles étaient délestées deux ou trois fois. « Avec le pigeage nous avons obtenu des vins moins austères », constate le maître de chai. Convaincue, l'équipe a acheté un pigeur pour 9 500 euros.
30 minutes pour une cuve
De l'installation du matériel jusqu'à son rinçage à l'eau, le pigeage d'une cuve demande une trentaine de minutes. Pierre Boyer remplit presque entièrement ses cuves. Avant de piger, il commence donc par tirer un peu de jus afin d'obtenir un creux d'au moins 1,10 m, nécessaire à l'installation du pigeur. Ensuite, il retire la sonde de température. Puis, aidé d'un ouvrier, il fixe la couronne du pigeur sur la cheminée de la cuve et clipse le pigeur sur la couronne.
Une fois que l'outil est posé, il faut déplacer les mains, d'environ 20 cm2, fixées au bout de chaque bras, et qui vont enfoncer le marc. Pour cela, on fait tourner le pigeur autour de son axe. On règle alors l'écartement des bras à l'aide de la manivelle prévue à cet effet. On peut ainsi atteindre tout le chapeau, sur un diamètre maximal de 2,80 m. « Ce qui est parfait pour nos cuves de 3 m », indique le maître de chai.
Dès que les bras sont en place, on appuie sur le bouton qui commande leur enfoncement. Puis on active un autre bouton pour les remonter. Ensuite, on les repositionne un peu plus loin et on recommence. Le pigeur fonctionne à l'air comprimé. Une pression de 6 bars est nécessaire pour enclencher le vérin pneumatique d'enfoncement du marc. En revanche, ce dernier ne demande pas d'électricité.
Une extraction plus douce
Pierre Boyer n'a que deux millésimes de recul, mais il remarque déjà une vraie différence depuis qu'il a délaissé les délestages en faveur du pigeage. L'extraction de la couleur et des tanins est douce et donne des vins plus ronds et plus gras. Cette année, Pierre Boyer a également pigé son deuxième vin, traitant ainsi 70 % de sa vendange.
Pour lui, le grand confort serait d'acquérir un deuxième pigeur. « Nous possédons deux batteries de cuves, séparées par des passerelles et des escaliers. L'idéal serait d'avoir un pigeur pour chacune. » Car si le matériel n'est pas très lourd, autour de 45 kg, sa hauteur fait que deux personnes sont nécessaires pour le transporter. Ce sera peut-être chose faite en 2016.
Un vigneron bricoleur
Philippe Bernède n'en est pas à son coup d'essai. Il y a quelques années, il a inventé le tire-bouchon Coutale, un limonadier « haut de gamme » devenu une référence dans le monde de la sommellerie. Après cela, il s'est attaqué au pigeage. Vigneron sur 60 ha en AOP Cahors, il souhaitait piger ses cuves fermées, pourvues de cheminées de 60 cm de diamètre. Il a esquissé plusieurs croquis et testé son premier prototype en 2013. Après quelques améliorations (installation d'une grille de sécurité, retouches sur le compteur d'écartement...), son modèle est aujourd'hui abouti. Sur demande, il l'adapte à toutes sortes de contenants, à des cheminées de différents diamètres et même à des foudres en bois. Le vigneron commercialise lui-même son matériel, excepté vers Libourne où il a conclu un partenariat avec le distributeur Vitimat. Il travaille désormais à la création d'une pince à attacher la vigne.
Un abaque pour tout piger
Pierre Boyer s'est créé un abaque pour être sûr d'enfoncer la totalité du chapeau. Ce tableau lui indique la marche à suivre, du début à la fin du pigeage. Le principe est simple : en modifiant l'écartement des bras, on agrandit ou réduit le diamètre du cercle au long duquel on enfonce le marc. Cet écartement se règle en faisant tourner la manivelle située sur le sommet du pigeur. Un compteur compte le nombre de tours. « S'il indique 2,3, cela signifie que les bras vont enfoncer le marc sur un diamètre de 90 cm. S'il indique 7, on travaille sur 140 cm », explique Pierre Boyer. Enfin, le maître de chai a gradué la moitié de la couronne qu'il installe entre la cheminée et le pigeur, de 0 à 7,5. Il peut ainsi repérer la position des bras par rapport à l'axe central du pigeur autour duquel ils tournent. « Grâce à l'abaque, je sais que pour un écartement de 2,3, il faut faire descendre le pigeur dans le chapeau au niveau des graduations 1, puis 2,5, puis 4, et enfin 5,5. J'aurai ainsi correctement pigé tout le centre du chapeau. » Cet outil très simple permet à n'importe quel ouvrier de piger sans se tromper.