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DOSSIER - LES NÉOVIGNERONS : Audacieux et inventifs

2. Ils se sont fondus dans le décor « Je m'épanouis dans ce métier très créatif »

Frédérique Ehrhard - La vigne - n°247 - novembre 2012 - page 52

Philippe Pibarot construit son exploitation depuis douze ans. Il a trouvé ses marques dans son nouveau métier et s'est engagé au sein des Vignerons indépendants du Gard.
PHILIPPE PIBAROT privilégie les levures indigènes, très présentes dans ses vignes, en cohérence avec sa conversion en bio. © F. EHRHARD

PHILIPPE PIBAROT privilégie les levures indigènes, très présentes dans ses vignes, en cohérence avec sa conversion en bio. © F. EHRHARD

«J'en suis à ma douzième vendange, et il me semble que je viens juste de démarrer. Chaque millésime est une nouvelle histoire. Je ne l'avais pas mesuré avant de me lancer. Mais c'est plutôt bien. Je n'ai pas le temps de m'installer dans une routine ! » relève avec humour Philippe Pibarot, vigneron à Mus, dans le Gard. Originaire de ce village, il a d'abord été musicien avant de devenir représentant en matériel électrique. « Je gagnais bien ma vie, mais en 1999, quand mon principal client s'est restructuré, le côté relationnel que j'appréciais s'est dégradé », indique-t-il. Pour s'adapter à la nouvelle organisation, il aurait dû déménager dans une autre région. « À 35 ans, il était encore temps de changer de voie. J'ai décidé de devenir vigneron », explique Philippe.

Ce métier, qu'il connaissait par des amis, l'attirait depuis longtemps. « J'ai commencé à chercher des vignes, tout en me formant. En 2000, j'ai obtenu un brevet professionnel en viticulture que j'ai ensuite complété par un certificat de spécialisation de technicien de cave », détaille-t-il.

2002 et 2003, deux années noires

À cette époque, les vins se vendent plutôt bien et il y a peu de vignes à acheter. En 2001, grâce au bouche-à-oreille, Philippe finit par trouver 6 ha de vignes à Mus. « Les cépages, cabernet sauvignon, aramon et sauvignon, ne correspondaient pas à mon projet de produire des vins d'appellation. Mais je devais m'installer rapidement si je voulais bénéficier des aides pour les jeunes agriculteurs. »

Pour démarrer, Philippe s'équipe au minimum, avec du matériel d'occasion. Il installe sa cave dans un hangar qu'il possède à côté de sa maison. Avec un climat très favorable, il obtient de bons résultats la première année. Mais les suivantes sont bien différentes. En 2002, ses vignes sont inondées. En 2003, c'est la canicule et il doit vinifier des raisins en surmaturité. « J'ai très vite découvert les aléas de la nature ! », commente-t-il.

En 2002, une occasion l'amène à réinvestir sans attendre. La Safer rétrocède 27 ha de garrigue à défricher sur la commune de Langlade, à 12 km de là. « Ce terroir très frais, situé dans l'appellation Coteaux du Languedoc, m'a plu. J'allais pouvoir produire le style de vins que j'aimais. J'ai foncé et acheté dix hectares », raconte Philippe. Pour planter, il obtient 4 ha de droits en tant que jeune agriculteur et en récupère deux sur Mus. Aujourd'hui, il cultive 6 ha en appellation et quatre en IGP.

« Je laisse le terroir s'exprimer naturellement »

À la vigne comme à la cave, Philippe a affirmé peu à peu sa touche personnelle. « Je n'ai pas hérité d'un savoir faire familial. J'ai appris en menant mes expériences, en é changeant avec des voisins. Au fond, c'est peut-être une chance, je me suis senti libre de faire à ma façon », avance-t-il.

Le clos Domitia, sa cuvée en appellation, voit le jour en 2007. Elle a tout de suite séduit. « Je cherche à laisser le terroir et les qualités du raisin s'exprimer le plus naturellement possible. Je privilégie les levures indigènes, très présentes dans mes vignes au milieu de la garrigue », précise-t-il.

Sur le plan commercial, les premiers pas sont difficiles. « Dans la région, les cavistes et les restaurateurs, très sollicités, n'ouvrent pas volontiers leur porte. Il m'a fallu aller chercher des clients ailleurs. J'ai prospecté au hasard et poursuivi là où le contact passait bien. » Aujourd'hui, avec l'aide de sa femme, il vend tous ses vins en bouteilles et en bibs, principalement sur la région parisienne et à l'export en Suisse et en Belgique.

Financièrement, la situation reste tendue. Entre les arrachages et les replantations, la production du domaine ne dépasse pas 200 hl/an. D'ici deux ans, elle devrait atteindre 450 hl. En attendant, pour couvrir ses coûts, Philippe a réévalué ses tarifs. « J'ai démarré avec des vins en IGP que je proposais à 6 euros le col aux particuliers. En appellation, je me suis repositionné à 10 euros le col, en tenant également compte du fait que j'étais en train de passer en bio. »

Ce modèle économique, avec peu d'hectares, des petits rendements et des prix de vente élevés, reste peu fréquent dans sa zone. « Certains m'observent pour voir si je vais m'en sortir. Mais globalement, j'ai été bien accepté », souligne Philippe.

Pas le moindre regret

Au sein des Vignerons indépendants du Gard, il rencontre d'autres adhérents qui ont adopté ce modèle. « Cela m'a donné envie de m'engager. Lorsqu'Agnès Payan, notre présidente, a pris des responsabilités au niveau régional et national, j'ai pris le relais. » Il lui succède en 2009. À ce poste, il découvre les rouages de la filière. Il mesure aussi les limites de l'action collective. « Ce n'est pas facile de construire ! »

Sur son exploitation, Philippe a encore des chantiers à mener. Il prévoit de construire un chai à Langlade, en pleine garrigue. Avec l'aide de son père, il a commencé à remonter les murettes en pierre sèche et les capitelles, ces cabanes, également construites en pierre sèche, qui servaient d'abri aux vignerons autrefois.

« C'est une belle zone, je veux la mettre en valeur. En même temps qu'un vin, un client achète un lieu, un paysage. » Auparavant, Philippe gagnait mieux sa vie tout en travaillant moins. Mais il n'a pas le moindre regret. « Malgré les difficultés, je n'ai jamais douté. J'ai retrouvé une vie de famille, alors qu'avant, j'étais souvent absent de la maison. Et je m'épanouis dans ce métier qui s'est révélé très créatif. »

Et si c'était à refaire ?

«J'ai planté à un rythme très soutenu. J'ai investi beaucoup d'argent en peu de temps et épuisé mes réserves avant de commencer à avoir un retour. J'ai également dû consacrer beaucoup d'heures de travail aux plantiers. Je n'avais pas les moyens d'embaucher. Heureusement, mon père retraité a pu me donner un coup de main. Mais en fait, je n'avais pas vraiment le choix. Les droits que j'avais obtenus en tant que jeune agriculteur devaient être utilisés dans les deux ans, j'ai dû foncer au lieu d'y aller progressivement. »

Cet article fait partie du dossier LES NÉOVIGNERONS : Audacieux et inventifs

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DATES CLÉS

2001 : installation sur 65 ha de vignes.

2002 : achat de 10 ha de garrigue à défricher.

2007 : première cuvée en appellation.

2011 : fin des plantations.

L'essentiel de l'offre

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