D'emblée, leur site internet (domainedespierrettes.fr) annonce la couleur : Cyril Geffard et Vincent Guilbaud s'y dévoilent avec humour dans une animation directement inspirée de la série « Amicalement vôtre ». Ils se présentent comme des « créateurs vignerons », œuvrant avec « passion, authenticité et simplicité ».
Ici, pas de discours sur l'histoire du domaine mais un slogan : « Vignerons par passion, juste par passion ». Sous-entendu : et non depuis des générations…
Une liberté et une envie de reconnaissance
Vendéens d'origine, les deux associés ont repris le domaine des Pierrettes, à Rilly-sur-Loire (Loir-et-Cher), en 2004. À l'époque, ils sont tous les deux âgés d'une trentaine d'années. Ils ne sont pas issus du milieu viticole, mais viennent d'obtenir leur BTS viti-œno au centre de formation pour adultes de Vallet, en Loire-Atlantique. Ils n'ont à leur actif que quelques expériences en Pays nantais et dans le Bordelais.
Dans sa vie d'avant, Vincent Guilbaud travaillait dans une usine de poissons panés. Cyril Geffard, après dix ans en restauration, était caviste chez Nicolas. Mais il n'était pas libre de choisir les vins référencés dans sa boutique et il se sentait peu à peu frustré de ne pas produire ceux qu'il vendait. « Outre l'amour du vin, ce qui m'a attiré dans le métier de vigneron, c'est une certaine liberté et un rêve de reconnaissance, un désir d'être apprécié pour la qualité de ses vins », se souvient Cyril. Vincent, lui aussi très amateur de bons crus, est séduit par « la belle image d'Épinal du vin. Une image qui fait rêver ».
Ils se sont rencontrés au centre de formation. Leur BTS en poche, l'envie de s'installer s'impose. « La viticulture est un métier difficile. Les sacrifices sont plus faciles si on les fait pour son domaine et non pour les autres », remarque Cyril.
Ils sont sans argent, mais cela ne les arrête pas. Ils se mettent en quête d'un domaine à reprendre, d'abord en Vendée puis dans l'est de l'AOC Touraine où le coût du foncier est abordable. Début 2003, ils visitent le domaine des Pierrettes. L'exploitation est plus chère que d'autres, mais elle a un atout : elle est située non loin d'une route très fréquentée par les touristes, car elle relie les châteaux de Chaumont-sur-Loire (Loir-et-Cher) et d'Amboise (Indre-et-Loire).
La rencontre avec le propriétaire est décisive. « Monsieur Jousset partait à la retraite et avait trois repreneurs potentiels, dont un investisseur champenois. Mais il a trouvé en nous une réelle envie d'être vigneron, celle qu'il aurait aimée transmettre à son fils qui ne voulait pas reprendre l'exploitation », confie Cyril. Pour faciliter la transmission, monsieur Jousset embauche les deux jeunes hommes pour quelques mois.
Un accueil hostile
Vincent et Cyril rachètent le domaine début 2004, l'ancien propriétaire conservant quelque temps ses parts dans la SCEA. « À notre grande joie, nous avons facilement obtenu un accord de la banque pour notre emprunt. Puis nous avons décidé de développer la vente en bouteilles, l'exploitation de monsieur Jousset vendant à 70 % en vrac. Voir nos premières étiquettes avec nos noms dessus nous a procuré beaucoup de plaisir. »
Mais du côté de leurs confrères alentour, l'accueil est hostile. « Des vignerons voisins nous ont dit que nous serions mieux ailleurs et que ce n'était pas la peine de leur demander de l'aide », lâche Cyril. Un jour, un viticulteur a même enlevé les pancartes annonçant leurs portes ouvertes…
D'autres difficultés surviennent : problèmes de géosmine à la vendange en 2004, baisse des cours… Les deux vignerons se séparent d'un salarié et doivent se résoudre à arracher 6 des 24 hectares que compte le domaine.
Venus d'ailleurs et installés de surcroît à l'écart de la vallée du Cher, le cœur de l'appellation Touraine, les deux associés décident de faire de leur différence une force. « Nous avons travaillé notre image marketing. L'image de l'AOC Touraine est peu porteuse, nous avons donc choisi de vendre le domaine des Pierrettes avant tout », indiquent-ils.
Ils confient la conception de leur logo à un jeune créateur qui n'a pas de connaissances dans le vin. Ils commandent la création un site internet ludique et décalé. Ils installent deux fûts repeints en noir et blanc sur leur stand du salon des vins de Loire pour attirer l'attention des visiteurs. Et ils lancent des cuvées en vin de France baptisées « Gamin » et « Sauvageon ».
Toutes ces initiatives portent leurs fruits. En 2008, les deux associés arrêtent la vente en vrac. Depuis, ils commercialisent leurs vins en vente directe auprès de particuliers, en restauration et chez des cavistes. « Notre clientèle a grandi par le bouche-à-oreille. Nous avons fait progresser notre chiffre d'affaires de 8 à 10 % par an. »
Ils visent les distinctions
En 2010, le domaine obtient une médaille au mondial du sauvignon. Cyril et Vincent visent également la reconnaissance des grands guides. « Nous avons voulu produire du vin, alors autant être très bons. » Leur première distinction dans le guide de « La Revue du vin de France » arrive en 2009. « Cette année, nous avons deux vins cités. L'année prochaine, nous en aurons trois », clame Cyril.
Aujourd'hui, les deux vignerons, «fiers d'être différents », mesurent le chemin parcouru : « Nous produisons 80 000 cols par an. Nous avons encore beaucoup à rembourser mais nous parvenons à dégager des bénéfices et à réinvestir tout en payant des emprunts élevés et en étant en Touraine. » Désormais, ils voudraient produire des microcuvées et aménager un nouveau caveau, à leur image.
Leurs a priori
«Nous nous sommes vite rendu compte que vendre nos vins à nos familles respectives n'allait pas suffire à nous faire vivre. Nous sommes donc allés chercher le client, notamment en participant à des salons. La commercialisation, c'est un métier en soi. Autre illusion : nous pensions que les autres ne travaillaient pas toujours comme il fallait. Nous trouvions les rendements élevés chez des vignerons où nous réalisions nos stages de BTS. Or, nous le savons aujourd'hui, des rendements importants sont nécessaires pour la viabilité du domaine. Nous avons aussi découvert avec dépit toutes les contraintes administratives du métier. Remplir des papiers, ce n'est pas productif. Nous n'avons pas signé pour ça ! »