La vie d'Éric Debenath a bifurqué sur un coup de téléphone en février 2008. Il s'en souvient comme si c'était hier : « Un ami d'enfance m'a appelé pour me proposer de reprendre les dix hectares de son père partant à la retraite. Il avait déjà offert de m'embaucher dans la société de prestation de services viticoles qu'il dirige. J'avais refusé. Mais là, je n'ai pas tergiversé. La vigne a toujours été mon rêve. » À l'époque, Éric Debenath est technicien de maintenance dans une usine depuis dix ans. L'accès au foncier étant très verrouillé en Alsace, il lui paraissait impossible de devenir viticulteur. Son père avait bien acheté 50 ares à son nom en 2003, lui-même avait acquis et loué 80 ares de plus les années suivantes, mais cela lui permettait juste de faire de lui un double actif durablement.
Formation viticole
À l'époque, faute de mieux, il est prêt à se contenter de ce statut. Mais il veut travailler dans les règles de l'art. Pour cela, il débute une formation viticole pour adulte d'un an en septembre 2007. Il négocie avec son patron un congé formation. Un fonds lui assure la continuité de son salaire.
C'est pendant cet apprentissage que son ami l'appelle. « Je ne pensais pas que tout allait s'enchaîner si vite. J'ai effectué quatre stages, dont le dernier de six mois chez l'exploitant dont j'ai repris les vignes. Normalement, c'est interdit. Mais j'ai eu une dérogation. J'ai encore travaillé quatre mois à l'usine, le temps pour mon employeur de trouver un remplaçant, et je me suis installé en juillet 2009. J'ai saisi la chance de ma vie. »
En démarrant, Éric se sert de l'expérience acquise pendant la dizaine d'années où il a participé à tous les travaux des vignes paternelles. Mais il lui faut s'équiper. Il fixe son choix sur du matériel d'occasion de moins de cinq ans et achète deux tracteurs, un girobroyeur, une prétailleuse, une palisseuse, une rogneuse, deux pulvérisateurs et une effeuilleuse. Il finance cette dépense par un apport personnel de quelques dizaines de milliers d'euros et par des prêts JA à taux réduit sur dix et douze ans. Il confie la vendange mécanique et d'autres travaux à la société de prestations de services dirigée par son ami. Il pratique l'entraide avec des personnes rencontrées lors de sa formation pour le tirage des bois. Pour la taille, Éric est souvent seul. « Cela me plaît. La solitude a son bon côté. »
« Mes parents sont fiers de moi »
« Aucun travail extérieur ne m'ennuie. Mais je trouve dommage de devoir consacrer autant d'heures à la paperasse alors que ma priorité est d'aller sur le terrain », lance Éric.
Des viticulteurs l'avaient prévenu du risque qu'il prenait avant son installation. « C'est vrai qu'en tant que salarié, on ne se rend pas compte de la chance qu'on a d'avoir des revenus réguliers », reconnaît-il. Il s'en est aperçu en 2010, année de faible récolte. « Mon rendement a baissé de 25 %. J'ai dû réduire mes prélèvements privés. Mes comptes s'en ressentent encore », constate-t-il. À 33 ans, Éric ne regrette pas « d'avoir foncé ». « Je suis un viticulteur heureux et mes parents sont fiers de moi », se réjouit le néovigneron.
Il est propriétaire de 1,8 des 13 ha qu'il exploite à Soultzmatt, dans le Haut-Rhin. Il livre ses raisins à la coopérative Bestheim. « Mes apports sont très correctement rémunérés. Je vis de la vigne. Depuis le début, j'investis dans le matériel et le foncier. Je rentabilise mes machines. Je rembourse mes crédits. Je ne pensais pas que mon exploitation atteindrait sa vitesse de croisière en quelques années à peine. Je ne gagne pas mieux ma vie qu'avant, mais je suis mon propre chef. Je ne savais pas comment la profession allait m'accueillir. Mais cela s'est très bien passé. Je ne remercierai jamais assez tous ceux qui m'ont fait confiance pour me louer leurs vignes. Pour moi, c'est une forme de reconnaissance. »
Ses a priori
«Je me suis toujours demandé comment les viticulteurs arrivaient à s'occuper de toutes leurs parcelles car je trouvais qu'ils avaient beaucoup à faire. Je m'attendais donc à devoir abattre beaucoup de travail. Et c'est le cas. En revanche, je suis surpris par la facilité avec laquelle je peux échanger avec d'autres exploitants. Nous comparons nos coûts et notre marge à l'hectare. D'habitude, ces chiffres ne sont pas dévoilés. Mais une fois dans le milieu, il n'y a pas de tabou. »