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DOSSIER - LES NÉOVIGNERONS : Audacieux et inventifs

Ils plaquent tout pour redonner un sens à leur vie

Marine Balue - La vigne - n°247 - novembre 2012 - page 78

Vocation contrariée, créativité bridée, souffrance au travail ou besoin de retour à la terre : telles sont les raisons qui poussent de plus en plus de gens à quitter leur emploi pour repartir vers une nouvelle vie. Psychologues et coachs nous expliquent la crise qu'ils doivent surmonter.

Ils ne sont plus des exceptions. De plus en plus d'hommes ou de femmes lâchent une brillante carrière ou une vie confortable pour s'installer à la campagne, vivre de leur art ou… devenir vignerons. Qu'est-ce qui les pousse à rompre ? Comme d'autres spécialistes, Isabelle Méténier s'attache à comprendre ce phénomène croissant. Psychologue et coach, elle a écrit un livre intitulé « Crise au travail et souffrance personnelle ».

« C'est rare de vouloir tout changer quand on est heureux dans son travail et dans sa vie, remarque-t-elle d'emblée. Il y a, en général, un mal-être, voire une souffrance derrière ce besoin. » Il arrive que les jeunes choisissent un métier qui répond à une pression familiale plutôt qu'un métier qui leur plaît. « Vis-à-vis de ses parents, c'est bien de faire une école de commerce ou de devenir comptable », illustre-t-elle. Résultat ? « Vers 35-40 ans, certains se rendent compte que leur travail ne correspond pas à leurs aspirations profondes, explique la psychologue. Ils veulent devenir libres de leurs choix. »

Cette tranche d'âge correspond aussi à un nouveau cycle de vie : « Tous les dix ans environ, les besoins changent, argumente Audrey Hanssen, coach professionnel. Avant 35-45 ans, on pense à sa réussite sociale. Ensuite, les projets sont plus axés sur le développement personnel. » Passé un cap, certains ont le sentiment d'évoluer dans un univers qui n'a plus de sens pour eux. « Je rencontre pas mal de gens qui exercent dans la finance ou le milieu bancaire, indique Yves Deloison, journaliste et créateur du site tout pour changer.com, dédié à ceux qui veulent changer de métier. Un jour, ils réalisent que les enjeux de leur travail les dépassent. Ils ne savent plus trop dans quel but ils agissent, La reconversion peut être un moyen de redonner du sens à leur vie. »

Besoin de créer

Dans des situations extrêmes, liées à une véritable souffrance au travail, certains vont jusqu'au burn-out, c'est-à-dire jusqu'à l'épuisement total. « Ces personnes s'oublient, même physiquement, et se laissent aller jusqu'à la rupture », relate Isabelle Méténier. Lorsqu'elles se ressaisissent, elles remettent tout à plat pour quitter leur situation.

Mais la rupture peut avoir des moteurs bien plus positifs. Le besoin de créer en est un. Celui de se projeter dans l'avenir, un autre. « C'est ainsi que quelques-uns font de leur passion leur métier, de leur d'activités annexes leur activité principale ou bien créent leur entreprise », souligne Audrey Hanssen.

La recherche d'une meilleure qualité de vie est une autre raison de lâcher un métier. « Certains ont envie de travailler autrement, davantage à leur domicile, plus près de leur famille, plus au calme ou plus au vert », explique Yves Deloison. D'autres veulent se réapproprier le fruit de leur travail, se mettre à leur compte ou retrouver de l'authenticité. Ces désirs animent ceux qui optent pour l'agriculture ou la viticulture. « La vigne et le vin sont des choses concrètes, où l'on maîtrise l'ensemble de la chaîne… », observe Isabelle Méténier.

Dans tous les cas, ces personnes traversent une crise existentielle. Elles passent par une période plus ou moins longue où leur mal-être s'amplifie et où mûrit l'envie de tout changer. Claire Bidart, sociologue, emploie l'image de la Cocotte-minute. « La situation se dégrade et la pression monte. Le seuil du supportable se rapproche », écrit-elle dans une revue spécialisée (1).

« Donner un autre sens à sa vie »

Puis un événement met fin à la crise. Claire Bidart le compare à une soupape. Cela peut être un accident, un décès, un divorce, une dispute avec un supérieur… Mais aussi un événement positif, comme une rencontre amoureuse, la naissance d'un enfant… ou encore une révélation : « Une envie qui date de l'enfance ou de l'adolescence peut ressurgir au hasard d'une rencontre, d'une mission, de la lecture d'un article et ouvrir de nouvelles perspectives », note Yves Deloison.

« Au final, la crise peut être positive, si l'on arrive à la surmonter et à donner un autre sens à sa vie », rassure Isabelle Méténier.

(1) « Crises, décisions et temporalités : autour des bifurcations biographiques », Cahiers internationaux de sociologie n° 120, 2006.

Un phénomène de société ?

Pour la sociologue Catherine Négroni (1), la reconversion professionnelle, en plus d'être un choix individuel, est une expérience sociale. Car la société actuelle met en avant le changement personnel et la « vocation de soi ». « Jusqu'aux années soixante-dix, le projet de vie était surtout construit [sur] la famille heureuse et l'accession à la propriété familiale.

Aujourd'hui, il est davantage question de réalisation de soi et de quête de l'identité personnelle », écrit-elle. La crise économique, l'insécurité de l'emploi ou encore l'engouement pour l'écologie et pour le retour aux sources peuvent aussi encourager les réorientations.

(1) « Reconversion professionnelle volontaire. Changer d'emploi, changer de vie.

Un regard sociologique sur les bifurcations », éditions Armand Collin, collection « Sociétales ».

Le Point de vue de

Valérie Godelu, vigneronne au domaine Les trois petiotes, à Tauriac (Gironde)

« S'épanouir dans son travail »

Valérie Godelu, vigneronne au domaine Les trois petiotes, à Tauriac (Gironde)

Valérie Godelu, vigneronne au domaine Les trois petiotes, à Tauriac (Gironde)

« Mon mari et moi vivions à Paris et travaillions dans la banque. Début 2000, je commençais à m'ennuyer dans mon travail, je ne pouvais pas exprimer ma créativité. Étant de grands amateurs de vin, nous avons suivi une formation viti-œno à Beaune (Côte-d'Or), par curiosité et pour nous échapper un peu de notre carrière. Le métier de vigneron m'est apparu comme très complet, alliant les aspects scientifiques, artisanaux, culturels…

Cela m'a attirée. Puis, j'ai été mutée à Bordeaux (Gironde) et j'en ai profité pour effectuer des stages dans des domaines viticoles. Cela a confirmé mon envie de m'installer. Ce que j'ai fait en 2008, soutenue par mon époux. L'arrivée de nos trois filles a pesé dans notre choix : nous voulions leur offrir une meilleure qualité de vie, leur donner l'image de parents qui s'épanouissent dans leur travail et être plus proche d'elles, car dans mon ancien métier, j'étais bien trop souvent sur la route. »

Cet article fait partie du dossier LES NÉOVIGNERONS : Audacieux et inventifs

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