Quand on a passé huit ans à la direction technique du Château Laffitte, puis qu'on a porté le château la Cardonne, un médoc, à la victoire de la Coupe des crus bourgeois, quelle drôle d'idée de venir s'exiler en Languedoc ! C'est pourtant le choix parfaitement réfléchi qu'ont fait Éric Fabre et son épouse Christine, tous deux issus de familles de vignerons du Médoc.
« Quand on a connu la quintessence avec un terroir comme celui de château Laffitte, il est difficile d'envisager faire mieux dans la région bordelaise », commence Éric Fabre. « Et puis nous avions envie d'un peu plus d'adrénaline », poursuit, tout sourire, son épouse. L'autre raison de ce choix fut le mourvèdre, un cépage découvert lors de vacances dans la région de Bandol (Var) et qui a subjugué le couple bordelais. « Nous avons cherché un terroir où nous pourrions planter ce cépage. »
En 2001, le couple part en quête d'un vignoble entre Perpignan, dans les Pyrénées-Orientales, et les côtes de Provence. En raison du prix du foncier, il recentrera vite ses recherches sur le Languedoc-Roussillon.
Coup de foudre
Puis c'est le coup de foudre pour une veille bastide dans le massif de la Clape, à Saint-Pierre-la-Mer (Aude). Le site offre une vue panoramique sur l'étang de Pissevache et la Méditerranée. Il deviendra le château d'Anglès. « Quand je l'ai visité, j'ai tout de suite su que c'était ici que je poserai mes valises », se souvient Éric Fabre. Six mois plus tard, le couple et leur associé bouclent l'opération avec l'appui de la Safer.
« Nous avions un vrai projet, avec une demande très précise : un vignoble en AOC avec la possibilité d'y planter du mourvèdre et deux maisons d'habitation, une pour nous et une pour notre associé. »
Lors de l'acquisition, le vignoble compte 32 ha, planté à 80 %… en blanc ! « La qualité des blancs produits sur ce terroir a été ma première grande surprise. Je ne m'attendais pas à ça. J'ai découvert le bourboulenc, qui est un peu l'alter ego du mourvèdre en blanc : un cépage tardif, avec une belle structure tannique et un vrai caractère. » Il reverra cependant la proportion de blanc à la baisse pour coller à la demande du marché.
Au cours des trois premières années, à force d'arrachages, de plantations et de surgreffage, la proportion entre rouges et blancs s'est inversée. Aujourd'hui, le domaine produit deux tiers de rouge et un tiers de blanc.
Côté vignoble comme côté cave, Éric et Christine Fabre découvrent avec bonheur les richesses de leur nouveau terroir. « Ici, on peut amener les raisins chaque année à maturité », s'enthousiasment-ils. « Je me régale des cépages à forte personnalité que nous avons. Avec cette palette variétale, nous avons beaucoup de celles pour jouer sur les assemblages et mettre en avant le terroir. C'est passionnant », ajoute Éric Fabre.
Le premier pépin de cette installation en Languedoc survient à peine dix-huit mois après l'achat. L'associé de la famille Fabre décide de se retirer du projet. Un coup dur qui fragilise l'exploitation.
« Nous avions heureusement prévu une porte de sortie au cas où notre association ne fonctionnerait pas. Juridiquement, la séparation a été possible. Financièrement, c'était plus compliqué », confie sobrement Éric Fabre.
L'autre désillusion survient lors de la mise en marché des premières bouteilles. « Contrairement à Bordeaux, le négoce local est peu impliqué dans la vente de vin de domaines en bouteille. Il a donc fallu commercialiser nous-mêmes nos vins et nous avons alors réalisé à quel point le Languedoc était méconnu », regrette le viticulteur.
180 000 bouteilles par an
Le lancement en 2006 de la marque Sud de France survient à point nommé. « C'est une marque très explicite dans les pays du grand export, car tous situent bien le sud de la France alors que beaucoup situent mal le Languedoc. Sud de France export fait un gros boulot de promotion de la région. Nous participons systématiquement aux événements qu'ils organisent dans différents pays. C'est la seule façon de faire parler de nos vins sans trop dépenser.
En 2005, Arnaud, un des fils du couple, rejoint l'exploitation familiale pour prendre en main l'activité commerciale qui devait initialement être assurée par l'associé. Et début 2013, c'est Vianney, leur autre fils, qui reprendra le flambeau suite au départ de son frère.
Aujourd'hui, le domaine produit 180 000 bouteilles par an, dont 85 % partent à l'export. La gamme s'établit sur deux niveaux de prix : 8 à 9 euros (prix public consommateur) pour la gamme classique, 14 à 15 euros pour les grands vins. Les ventes au caveau où les visiteurs sont reçus exclusivement par Éric, Christine ou leur fils représentent 10 % du chiffre d'affaires. Pour la première fois en dix ans, l'exercice clos au 30 juin 2012 est bénéficiaire. « Nous avons construit des bases solides. Notre portefeuille de clients est diversifié (aucun ne pèse plus de 10 %) et couvre les grands pays consommateurs. » Il aura fallu dix ans à la famille Fabre pour se construire une nouvelle vie en Languedoc. « On a transpiré. La réalité économique a été plus ardue que prévu. Mais pour le terroir et le cadre de vie, nous ne nous sommes pas trompés. C'est bien ici qu'il fallait s'installer. »
Sa plus grande surprise
« Quand j'ai fait le choix du Languedoc, je pensais que les vins de cette région étaient connus, même s'ils n'étaient pas reconnus. J'ai vite déchanté. J'ai fait appel à mon carnet d'adresse d'agents et de distributeurs, mais j'ai vite réalisé que ces professionnels habitués à vendre bordeaux, champagnes et autres bourgognes ne savaient pas valoriser des vins du Languedoc. Pour les vendre, il faut mettre beaucoup plus d'énergie et de force de conviction que pour des appellations françaises reconnues. J'ai dû complètement revoir ma politique commerciale et repartir de zéro avec des commerciaux convaincus de la qualité de nos vins et de leur potentiel de développement. Il nous a fallu dix ans pour construire notre marque et notre réseau commercial. »