Premier marché à l'export pour les vins de Bergerac : la Belgique. La région y vend presque un tiers des vins qu'elle exporte. Pourtant, l'interprofession (CIVRB) n'y mise que 10 % de son budget de communication consacré à l'export. C'est que les opérateurs ont le regard ailleurs, tourné vers la Chine, le quatrième acheteur en volume. L'interprofession lui fait les yeux doux.
« La Chine est un eldorado pour les vins français », estime Michel Delpon, président du CIVRB. Ce dernier ne ménage pas sa peine. En novembre, dans le cadre du salon des vins d'Aquitaine qui s'est tenu à Wuhan, à 800 km à l'est de Shangai, il a mené l'opération « Sweet Bergerac » avec le soutien de Xu Wei, un ambassadeur des vins de Bergerac, expert reconnu sur le marché chinois. Les trois séminaires de dégustation ont affiché complet. « Nous sommes le premier producteur en France de vins moelleux avec 80 000 hl. Nous nous sommes rendu compte qu'ils plaisent à une cible féminine et jeune », indique Michel Delpon.
Après le salon de Wuhan, le président du CIVRB afilé dans la région de Hunan, s'enfonçant encore plus à l'intérieur du pays. Direction la ville de Zhangjiajie, 1,6 million d'habitants, 4 millions de touristes par an attirés par son magnifique parc naturel. Reçu en grande pompe par les autorités, il a signé une lettre d'intention pour la création d'un jumelage entre Bergerac et Zhangjiajie, basé sur des échanges touristiques et culturels pour, in fine, booster les ventes de bergerac. Déjà, des restaurants de la ville réclament ce vin sur leurs tables. Le jumelage devrait être signé officiellement en 2013.
Karaokés et Glamping Tour
Autre projet : mêler l'amour, la chansonnette et le vin ! En août prochain, à l'occasion de la Saint-Valentin chinoise, vont se dérouler à Pékin, puis à Shanghai et Canton, des karaokés dégustation. Une idée de l'interprofession.
Ce n'est pas tout. Michel Delpon veut aussi jouer sur l'image de Cyrano de Bergerac. L'idée : profiter de la création d'un spectacle sur Cyrano pour mettre en avant les vins. Au Japon, l'idée s'est concrétisée : une comédie musicale autour de l'écrivain français se joue en janvier à Tokyo. Le CIVRB en profite pour monter des happy hours. Et une trentaine de restaurants et bars à vins proposent des dégustations.
« Nous cherchons des effets de levier pour nous différencier des autres vins. Nous jouons la créativité et le système D. C'est indispensable quand on est une petite appellation », indique Anne Lataste, responsable communication au CIVRB.
Au Pays-Bas, c'est un camping-car customisé qui s'est arrêté à Amsterdam pendant une semaine en juin dernier. La cible : la presse féminine et d'art de vivre. Le résultat : vingt-neuf journalistes touchés par ce Glamping (mélange de camping et de glamour) Tour et cinquante-trois articles parus.
L'interprofession accompagne également ses membres de façon plus traditionnelle, dans les salons par exemple. Ainsi, Patrick Barde sera au prochain ProWein, en Allemagne, en mars. Viticulteur à Saint-Méard-de-Gurçon (Dordogne), il exploite le château Le Raz (60 ha, 3 500 hl en AOC Bergerac et Montravel, écoulés à 65 % à l'export). Son premier marché est l'Allemagne, suivie par la Belgique, la Chine et les États-Unis.
« Certains salons sont incontournables. Mais le budget est lourd. À ProWein, un stand de 6 m coûte 3 000 euros. Il ne faut pas avoir peur de s'associer pour partager les frais. » Aussi s'est-il allié à Pascal Cuisset, du château des Eyssards, à Monestier (Dordogne). Ce viticulteur exploite 45 ha en AOC Bergerac et Saussignac. 75 % de sa production part à l'étranger. Les deux hommes se sont rencontrés en 1984, lors du stage d'installation jeune agriculteur. « Nous partageons la même philosophie des produits et des marchés », lâche Pascal Cuisset. La Chine ? Il ne veut pas y mettre les pieds : « Tout le monde y va, au risque d'oublier les marchés traditionnels. » Patrick Barde, qui écoule 60 000 bouteilles sur ce pays, ne cache pas sa méfiance : « En Chine, on nous fait tourner comme des girouettes. On a de belles promesses et parfois de drôles de surprises. On peut signer un contrat et, le lendemain, il n'est plus valable. »
Pas de complexe
Les deux hommes s'épaulent. « Nous faisons tous des bons vins, la concurrence est acerbe. C'est le réseau qui permet d'avancer. Je n'hésite pas à donner le nom de Patrick à un importateur. Nous nous renvoyons la balle », lâche Pascal Cuisset. En février, tous deux se rendront au Japon. « J'ai une culture latine, poursuit le viticulteur. Au Japon, je vais être dans la retenue. Je jouerai un peu le timide, mais je reste décomplexé. » Une attitude que partage aussi Patrick Barde : « Les viticulteurs bergeracois doivent être fiers de leurs productions. Certains ont ce complexe d'être dans l'ombre des bordeaux. Or, nous avons autant d'atouts. »
Le Point de vue de
Julien Priollaud, à la tête du châte au des Lys, à Bergerac (Dordogne). 9,5 ha, 45 000 bouteilles, dont 10 % écoulées à l'export.
« Le Québec est ouvert aux petites appellations »
« En octobre dernier, j'ai fait mon premier voyage au Québec (Canada), emmené par le CIVRB qui organisait une mission de trois jours à Montréal. J'ai rencontré une bonne vingtaine d'importateurs. Beaucoup ont envie d'élargir leur palette, de découvrir de nouveaux vins et de petites appellations très qualitatives. J'ai été agréablement surpris. Les importateurs étaient très ouverts, désireux de découvrir notre appellation Pécharmant, qui est méconnue. Nous sommes sur 386 ha, ce qui représente à peine 15 000 hl. Ils ont cherché à comprendre quel était le type de sol, les cépages, notre façon de conduire la vigne et de vinifier. J'ai expliqué le cahier des charges de notre AOC et ses règles strictes. Je leur ai présenté le millésime 2009 de la cuvée des Lys, un rouge travaillé sur le fruit, mais aussi la cuvée Cuivrée, un vin plus en finesse, et la cuvée Platine, riche de complexité et d'élégance. J'ai senti qu'ils avaient envie d'aller vers des produits spécifiques, et pas forcément de gros volumes. Ils recherchent des vins fins et puissants, qui s'associent à la fête et au partage. Je pense que mes vins leur ont plu.
Tout comme mes étiquettes. Certains de mes interlocuteurs ont apprécié que le nom du château soit écrit en braille sur l'étiquette. Mais je sais qu'il faut du temps pour se faire référencer par la Société des alcools du Québec qui travaille sur de gros volumes. Les importateurs doivent d'abord démontrer qu'il y a un marché pour nos vins. Trois d'entre eux m'ont déjà relancé. C'est un bon début. »