GRÂCE À SES TABLEAUX, Philippe Lejeune, vigneron dans le Lot, garde un œil sur ses ventes à tout moment depuis son ordinateur portable ou son smartphone. L'écran d'accueil de son application démarre par l'indication de son chiffre d'affaires réalisé depuis le début de l'année comparé à celui de l'année précédente à la même époque. Puis il accède à des tableaux plus détaillés. Ventes, marges, dépenses… Rien ne lui échappe. © L. LECARPENTIER/REA
« Il y a quelques mois, j'ai failli perdre un importateur. Heureusement, j'ai été alerté à la lecture d'un de mes tableaux de bord », raconte Philippe Lejeune, vigneron au château de Chambert, à Floressas, dans le Lot. Ce tableau liste les clients « perdus », c'est-à-dire qui n'ont pas été facturés récemment alors qu'ils achètent régulièrement. « C'était le cas de cet importateur. Je l'ai appelé. Il croyait que la référence qu'il achetait d'habitude n'existait plus, ne la trouvant plus sur notre catalogue. » En réalité, l'étiquette et le nom du vin en question avaient changé. Ce client avait été prévenu de cette modification par mail. Mais le message lui avait échappé, perdu au milieu d'une messagerie encombrée. « Il était déjà à la recherche d'un autre fournisseur. Nous l'avons rattrapé à temps ! » relève le vigneron.
Sur 65 ha, le domaine produit 250 000 cols commercialisés en France auprès de particuliers et de restaurateurs et à l'export auprès d'importateurs. Les prix aux particuliers s'étalent entre 7 et 24 euros le col pour l'AOC Cahors, et entre 7 et 15 euros pour les rosés et les blancs en IGP Comté Tolosan. Pour suivre son activité commerciale sans avoir à éplucher tous les chiffres, Philippe Lejeune a établi des tableaux de bord synthétiques qu'il reçoit directement chaque soir sur son smartphone (voir encadré ci-contre).
Une fonction d'alerte
Du lundi au jeudi, il regarde les ventes du jour, ainsi que celles du mois et de l'année en cours, comparées aux ventes réalisées aux mêmes périodes de l'année précédente. Un code couleur lui permet de repérer rapidement les chiffres qui reculent et ceux qui progressent : les premiers sont en rouge, les seconds en vert.
Le vendredi, Philippe Lejeune fait un point plus complet. Il regarde l'état des stocks par millésime. « S'il y en a un qui part moins vite, je mobilise les commerciaux de l'équipe pour qu'ils le mettent plus en avant. » Il suit aussi le tableau des clients qui n'ont pas commandé récemment. « Entretenir un client coûte moins cher que d'en trouver un nouveau. Je veux éviter autant que possible d'en perdre », souligne-t-il.
Ce tableau l'aide à déterminer les clients à appeler en priorité. « Nous ne pouvons pas tous les contacter régulièrement, il y en a trop. » En les relançant, il peut savoir s'ils ont changé de stratégie d'achat ou s'il faut simplement travailler avec de nouveaux interlocuteurs après une réorganisation de l'entreprise. Il peut aussi détecter des problèmes. « Si un client nous apprend que nous n'avons pas répondu à ses attentes, cela nous indique où nous améliorer. »
Un autre tableau, appelé « radar », regroupe une vingtaine de clients ciblés pour l'année en cours. « J'y inscris mes principaux acheteurs ainsi que les nouveaux dont le potentiel de développement est prometteur. Et je vérifie que les ventes progressent bien », précise le vigneron.
En fin de trimestre, Philippe Lejeune réalise un point détaillé par pays, par circuit de vente et par produit. « Je regarde les volumes, le chiffre d'affaires et le prix moyen au col pour chaque vin. Je le compare au coût de production. Ainsi, je ne perds pas la marge de vue. »
Ces informations l'aident à orienter ses vendeurs. « Si ce sont les vins avec de bonnes marges qui se développent, j'incite mes vendeurs à se concentrer sur ces cuvées. Si, par contre, c'est un produit à faible marge qui progresse, je vais voir ce qui se passe. » Il se sert aussi de ces tableaux pour repérer les tendances. « Je regarde quelles sont les cuvées qui se vendent le mieux dans chaque pays. Le top trois n'est pas le même en France ou en Belgique », constate-t-il.
Les chiffres seuls ne suffisent pas à tout analyser pour autant, il faut les recouper avec des informations de terrain. « Avant Vinisud 2012, j'avais observé qu'une grosse commande avait été passée par un importateur anglais. En rencontrant un de ses commerciaux sur le salon, je l'ai questionné, ce que je n'aurais peut-être pas fait sans cette information. J'ai alors appris qu'il avait augmenté sa clientèle de restaurants. La hausse devrait donc être durable plutôt que ponctuelle. C'est d'autant plus encourageant ! »
Des informations partagées
Philippe Lejeune utilise aussi ces tableaux comme un outil de motivation. « J'envoie régulièrement des chiffres sur leur activité à quelques agents, grossistes et importateurs clés », relève-t-il. Ils peuvent ainsi faire le point sur leurs ventes. Lorsqu'elles reculent, cela les amène à se poser des questions. Lorsqu'elles progressent, cela les encourage. Les salariés du domaine reçoivent également des informations tous les jours. « Lorsque la grosse commande pour les États-Unis sur laquelle nous nous sommes mobilisés la veille apparaît le lendemain matin dans les montants facturés, c'est une fierté pour toute l'équipe. Nous pouvons la partager autour d'un café en démarrant la journée ! »
Un suivi mensuel des dépenses
Une fois par mois, Philippe fait le point sur les postes de dépense, en s'appuyant sur un rapport lui aussi édité automatiquement. « J'essaye de repérer les surcoûts en me posant des questions dès que je vois un chiffre élevé. » Sur les dépenses téléphoniques par exemple, il a constaté avoir souscrit une option pour dix lignes alors qu'il n'en utilisait que cinq. « Je peux aussi repérer les erreurs dues par exemple à un achat fait dans l'urgence ou à une mauvaise évaluation des délais. » Il n'y a pas de raison, par exemple, d'acheter des bouteilles au fournisseur le plus proche alors qu'avec une livraison en trois jours, on peut économiser 15 % tout en étant dans les temps pour expédier la commande.
Envoyés automatiquement sur son smartphone
Informaticien de formation, Philippe Lejeune a créé un logiciel qui lui envoie chaque soir un rapport sur les ventes. « Lorsque l'exercice de la journée est clos, ce logiciel extrait les éléments nécessaires à l'actualisation des tableaux de bord. Puis il me les envoie à 19 heures, par mail, dans un fichier HTML. Tout cela automatiquement, sans que j'y consacre du temps », détaille-t-il. Lorsqu'il est pressé, Philippe peut consulter les données directement sur son smartphone, en utilisant l'écran tactile pour zoomer et se déplacer dans les tableaux. Sinon, il les consulte sur son ordinateur, où la lecture est plus confortable. Mais il doit s'installer dans un lieu où il peut se connecter à internet, alors qu'avec le smartphone, les données lui parviennent où qu'il soit. « Quand je suis en déplacement, je n'ai parfois que dix minutes à consacrer à la lecture des tableaux avant un repas d'affaire. C'est vraiment très pratique. »