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Vendre - L'OBSERVATOIRE DES MARCHÉS

Le contrat de confiance façon Jeanjean

Michèle Trévoux - La vigne - n°253 - mai 2013 - page 66

Depuis 2003, la maison Jeanjean a noué d'étroits partenariats avec des caves. Le négociant héraultais s'engage à développer des marques qui restent la propriété des producteurs. Un véritable contrat de confiance.
« LES PRODUCTEURS SONT IMPLIQUÉS DANS LE DÉVELOPPEMENT COMMERCIAL, affirme Gilles Gally, directeur des achats vins chez Jeanjean et à l'origine de ces partenariats. Ils en connaissent la complexité et les aléas. » © P. PARROT

« LES PRODUCTEURS SONT IMPLIQUÉS DANS LE DÉVELOPPEMENT COMMERCIAL, affirme Gilles Gally, directeur des achats vins chez Jeanjean et à l'origine de ces partenariats. Ils en connaissent la complexité et les aléas. » © P. PARROT

Un négociant qui développe des marques appartenant à la production, le cas n'est pas commun. C'est pourtant ce que fait la maison Jeanjean, en Languedoc, depuis dix ans. L'Ormarine, Castelmaure, la Gravette : ces trois marques sont la propriété de coopératives, mais c'est le négociant basé à Saint-Félix-de-Lodez, dans l'Hérault, qui en assure le développement, investissant chaque année aux côtés des caves pour la promotion. Le négociant partage aussi la propriété de la marque les Embruns avec huit vignerons indépendants regroupés en coopérative de commercialisation.

« Pour la réussite de ces partenariats, il faut entretenir des liens de confiance et une même vision de l'avenir », avance Gilles Gally, directeur des achats vins chez Jeanjean et cheville ouvrière de cette stratégie.

Dans les quatre cas, négoce et production signent un contrat de cinq ans. Ce document précise les objectifs de vente en volume, les prix d'achat en vrac (toujours supérieurs au marché), les qualités achetées, les itinéraires techniques, les circuits de vente et les budgets marketing cofinancés par les deux parties.

Un engagement à créer de la valeur ajouter

Dès le mois de juin, production et négoce établissent une première estimation des volumes du millésime à venir qui seront achetés. Tout au long des vendanges, les oenologues de Jeanjean suivent les vinifications correspondantes. En fin de vendanges, les deux partenaires déterminent ensemble les assemblages. Par la suite, les services achat et marketing du négociant, le directeur et le président de la cave concernée se retrouvent tous les trimestres pour suivre les ventes et prévoir d'éventuels ajustements.

« Nos partenariats reposent sur un engagement mutuel des deux parties à créer de la valeur ajoutée au travers des marques, assure Gilles Gally. Les producteurs sont impliqués dans le développement commercial, ils en connaissent la complexité et les aléas. »

Chaque partenaire y trouve son intérêt. Jeanjean conforte son positionnement dans les vins de terroirs, trouvant dans chaque partenariat un moyen de se différencier de la concurrence. Le négociant profite de la notoriété de marques déjà connues pour développer ses ventes. Avec le risque d'une rupture de contrat qui lui ferait perdre le bénéfice de tous ses investissements.

De leur côté, les producteurs bénéficient de compétences et d'un réseau commercial qu'ils n'ont pas les moyens de s'offrir. « Nous sommes en appellation Languedoc Pic Saint-Loup. Ce sont des produits qu'il faut valoriser en bouteilles. Mais nous n'avons pas les moyens de développer nous-mêmes nos ventes », confie Olivier Masson, le président de la cave de Corconne, dans l'Hérault, qui a signé un partenariat autour de sa marque la Gravette.

« C'est un bon accord, confirme Patrick Guiraud, un des huit vignerons de la coopérative copropriétaire de la marque les Embruns avec Jeanjean. Nous sécurisons nos ventes, Jeanjean sécurise son sourcing en IGP Sables de Camargue. Et nous avons le même objectif : la valorisation du produit. »

La démarche n'est pas sans écueils. En 2008, les viticulteurs et leur partenaire décident de passer en bio tous les vins vendus sous la marque les Embruns. En 2011, aux termes des trois ans de conversion, la bouteille est redessinée et son prix révisé à la hausse. Mais de gros acheteurs refusent de suivre. Les volumes commercialisés plongent de 15 000 à 7 000 hl. Un coup dur, tant pour le négociant que pour les producteurs contraints, comme le contrat les y oblige, d'écouler leurs invendus sous une autre dénomination qu'IGP Sables de Camargue, à un prix évidemment inférieur. Le partenariat a malgré tout survécu à ce revers.

« Nous avons fixé un objectif sur cinq ans, il faut nous y tenir, lâche Patrick Guiraud. Nous n'allons pas changer de cap à la première embûche. Nous maintenons nos prix et allons progressivement regagner les volumes. » Cette année, les ventes sont reparties à la hausse.

Après le collier de perles, le caviar

Les contrats signés prévoient un cofinancement des opérations de promotion de chaque marque. Pour la cave de l'Ormarine, par exemple, coopérative et négociant partagent l'objectif de tirer l'image de Picpoul de Pinet vers le haut. « Nous nous interdisons toute opération commerciale agressive, comme offrir une bouteille gratuite pour deux ou trois achetées, avertit Olivier Goué, chef produit chez Jeanjean. Nous cherchons des associations qui valorisent le produit. Il y a quelques années, nous avions organisé un jeu concours permettant au consommateur de gagner des colliers de perle de culture. Nous avions voulu établir un lien haut de gamme entre Picpoul de Pinet et l'huître, qui se marient naturellement. Cette année, nous travaillons sur l'association entre l'Ormarine sur lies fines, la cuvée haut de gamme de la cave, et le caviar. Elle fonctionne très bien. Nous la faisons découvrir à nos forces de vente et à nos acheteurs. L'an prochain, nous ferons des animations en magasin pour les consommateurs. »

L'Ormarine

L'accord signé en 2003 entre Jeanjean et la cave coopérative de Pinet, dans l'Hérault, porte sur la commercialisation d'AOC Picpoul de Pinet sous la marque l'Ormarine ainsi que sous différents noms de domaines. Aujourd'hui, Jeanjean commercialise 17 000 hl d'AOC Picpoul de Pinet sur les 40 000 hl produits par la cave.

Les Embruns

En 2006, Jeanjean, propriétaire d'un vignoble dans l'aire de production des Sables de Camargue, noue un partenariat avec huit vignerons en cave particulière. Ensemble, les partenaires vont développer un rosé sous la marque les Embruns. Les volumes atteignent 15 000 hl en 2010 avant de diminuer de moitié en 2011, lors du passage en bio. En 2012, ils remontent à 10 000 hl et devraient atteindre 12 000 hl en 2013.

La Gravette

L'accord datant de 2010 porte sur la distribution par Jeanjean des AOC Languedoc et Pic Saint-Loup produits par la cave coopérative de Corconne, dans l'Hérault, sous la marque la Gravette. Jeanjean achète également 20 000 hl d'IGP en vrac. Les ventes d'AOC en bouteilles ont atteint 400 000 cols cette année.

Castelmaure

Après vingt-cinq ans d'union libre, Jeanjean et la cave coopérative d'Embres et Castelmaure, dans les Corbières, ont formalisé leur rapprochement en 2010 par un contrat pluriannuel. Jeanjean commercialise en grande distribution française et à l'export différentes cuvées de corbières sous la marque Castelmaure. En 2012, le négociant a ainsi vendu 5 000 hl de cette AOC, soit la moitié de la production de la cave. De son côté, la coopérative continue de vendre en direct dans les circuits traditionnels sa gamme producteur : N°3, Pompadour, Grande cuvée, etc. D'année en année, la part des corbières génériques commercialisés par Jeanjean diminue au profit de cuvées valorisées jusqu'à 350 €/hl pour le très haut de gamme.

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