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VIGNE

Les cuivres égaux face au lessivage

INGRID PROUST - La vigne - n°254 - juin 2013 - page 30

Une récente étude de l'IFV montre qu'il n'existe pas d'écarts significatifs entre les différentes formes de cuivre face au lessivage.

L'efficacité d'un traitement cuprique contre le mildiou réside dans la disponibilité des ions cuivreux qui, une fois solubilisés, empêchent la germination des spores. « Les bouillies bordelaises et les hydroxydes sont réputés être plus prompts à relarguer le cuivre que l'oxyde cuivreux. Mais ces formulations sont également connues pour être plus sensibles au lessivage », rappelle Alexandre Davy, ingénieur œnologue à l'IFV pôle Bordeaux-Aquitaine. Qu'en est-il réellement ? Pour le savoir, ce dernier a comparé la résistance au lessivage de ces différentes formes de cuivre.

Les vingt premiers millimètres de pluie sont cruciaux. Au laboratoire, Alexandre Davy a soumis des feuilles de vignes traitées avec la bouillie RSR Disperss à différents cumuls de pluie : 24, 42 et 107 mm. Puis il a mesuré le pourcentage de cuivre restant. Le lessivage le plus important est intervenu durant les 24 premiers millimètres, entraînant un peu moins de la moitié du cuivre. Par la suite, les pluies entre 42 et 107 mm « n'ont eu qu'un impact extrêmement limité sur le lessivage du cuivre résiduel ».

L'ingénieur a même laissé les feuilles traitées avec ce produit tremper dans l'eau pendant 24 heures avant de les rincer. « Cela n'a pas permis d'éliminer tout le cuivre. On peut donc penser qu'après une application de cuivre, une partie est facilement mise en solution (et donc lessivable) alors qu'une autre partie reste solidement accrochée sur les feuilles », poursuit-il.

Parallèlement, au vignoble, Alexandre Davy a traité des vignes avec dix spécialités cupriques différentes : des bouillies bordelaises, des hydroxydes et de l'oxyde cuivreux. Suite aux traitements, il a dosé la quantité de cuivre total présente sur les feuilles après 24 et 42 mm de pluie. Les résultats sont surprenants.

« On pouvait s'attendre à ce que l'oxyde cuivreux se démarque car on l'estime généralement moins sensible au lessivage que les autres formulations, indique l'ingénieur. Or, aucune forme de cuivre ne semble être plus résistante qu'une autre. Globalement, les différences entre les formulations ne sont pas très significatives, souligne Alexandre Davy. On peut considérer que 30 à 40 % du cuivre est lessivé après 20 mm de pluie, toutes formulations confondues. Le reste du cuivre (60 à 70 %) est donc présent sur le feuillage mais il est probablement trop accroché pour lutter efficacement contre le mildiou. »

Ces résultats laissent Simon Moyal, chef de marché cultures spécialisées chez Nufarm, perplexe. « Nous avons mené des expérimentations avec la société BioTransfer qui a comparé l'efficacité contre le mildiou de plusieurs formulations après 60 mm de pluie. Dans ces essais, deux hydroxydes haut de gamme s'étaient montrés les plus performants, devant un oxyde cuivreux. La bouillie bordelaise testée était la moins efficace, mais avec un adjuvant de type adhésif, son efficacité était meilleure. »

L'intérêt d'associer plusieurs formes de cuivre est discutable. De son côté, Marie Aubelé, responsable technique nationale cultures spéciales chez DuPont, considère qu'il est difficile de comparer des produits avec une seule étude, « d'autant qu'elle a été réalisée au vignoble et que les quantités initiales de cuivre mesurées avant les pluies sont différentes selon les modalités ». Par ailleurs, les mesures ont été réalisées sur le cuivre total et non sur celui disponible.

Pour Philippe Sunder, chef de marché cultures pérennes chez Cerexagri, « il est nécessaire d'approfondir les connaissances en mesurant la quantité de cuivre réellement actif contre le mildiou, celui qui reste après lessivage sur les feuilles traitées avec chacune des formes cupriques ».

Au final, que retenir ? Est-il intéressant d'associer plusieurs formes de cuivre pour bénéficier de la résistance au lessivage des unes et de la rapidité d'action des autres ? De tels mélanges sont souvent recommandés. Selon Alexandre Davy, leur intérêt semble discutable au vu du peu de différences quant au lessivage. Pour lui, le choix d'une formulation de cuivre « devrait davantage être lié à la facilité d'utilisation, au prix et à la phytotoxicité ».

Éric Maille, technicien viticole à AgroBio Périgord, confirme : « Des vignerons n'utilisant que du sulfate ou de l'hydroxyde peuvent avoir des résultats aussi satisfaisants que ceux qui appliquent des mélanges. C'est la qualité de la pulvérisation et la date d'application par rapport à la pluie contaminatrice qui font l'efficacité d'un traitement. » Un avis que partage Sandrine Delobel, de la chambre d'agriculture du Loir-et-Cher.

Nicolas Constant, ingénieur conseil viticole à Sudvinbio, ajoute que « quelle que soit la formulation, il s'agit de cuivre, le mode d'action et les ions cuivreux restent identiques. Il faut faire la part des choses entre résistance au lessivage et efficacité ».

Éric Maille conseille toutefois l'association sulfate et hydroxyde et préconise l'oxyde de cuivre (avec hydroxyde) en cas d'orage ou de pluies importantes.

Le Point de vue de

BRICE TINGAUD, VIGNERON BIO AU DOMAINE DE DAME BERTRANDE, À DURAS (LOT-ET-GARONNE), 18 HA

« Nous associons différents cuivres »

BRICE TINGAUD, VIGNERON BIO AU DOMAINE DE DAME BERTRANDE, À DURAS (LOT-ET-GARONNE), 18 HA

BRICE TINGAUD, VIGNERON BIO AU DOMAINE DE DAME BERTRANDE, À DURAS (LOT-ET-GARONNE), 18 HA

« Le sulfate de cuivre ainsi que l'hydroxyde et l'oxyde cuivreux relarguent des ions cuivreux différemment selon les quantités de pluies. Quand nous traitons le mildiou, nous associons deux de ces formes, voire les trois. Cela nous permet de travailler en microdoses (150 g de cuivre métal par traitement en 2012). J'applique systématiquement un adjuvant terpénique pour avoir une meilleure adhérence. Nous intervenons en fonction du niveau de pluie, de la pousse de la vigne et de la pression. Nous renouvelons systématiquement l'application après environ 20 mm de pluie, sauf si ces pluies ont rapidement été séchées par le soleil et le vent. En 2012, au plus fort de la saison, nous sommes intervenus toutes les deux semaines, puis une fois par semaine pendant deux semaines. »

Le Point de vue de

THIERRY CHARDON, VIGNERON BIO AU DOMAINE DE L'AUMONIER, À COUFFY (LOIR-ET-CHER), 47 HA

« L'hydroxyde et l'oxyde cuivreux me semblent plus résistants »

THIERRY CHARDON, VIGNERON BIO AU DOMAINE DE L'AUMONIER, À COUFFY (LOIR-ET-CHER), 47 HA

THIERRY CHARDON, VIGNERON BIO AU DOMAINE DE L'AUMONIER, À COUFFY (LOIR-ET-CHER), 47 HA

« En début de saison, je commence par utiliser du sulfate de cuivre, puis, en juin, j'associe un hydroxyde à la bouillie bordelaise pour bénéficier de l'effet choc du premier et de la libération progressive des ions cuivre du sulfate. J'y ajoute une huile à base de terpènes pour renforcer la résistance au lessivage et la pénétration dans le feuillage. À l'encadrement de la fleur, je diminue la proportion d'hydroxyde associé au sulfate pour que le traitement soit moins agressif et j'y incorpore de la solithe, qui a un effet collant et asséchant. En cas de forte pression, de sorties de taches de mildiou, j'utilise de l'oxyde cuivreux. Il y a des différences notoires entre les formulations. L'hydroxyde et l'oxyde cuivreux me semblent plus résistants au lessivage. Je renouvelle mes traitements en fonction de la pousse de la vigne et des pluies. Au-delà de 10 mm d'eau, j'interviens à nouveau. »

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