DANS SON CHAI POUR BLANC ET ROSÉ, Damien Bonnet goûte son vin doux à base de cabernet sauvignon dont il a arrêté la fermentation avec un filtre tangentiel à environ 140g/l. © PHOTOS F. BAL
CE N'EST QUE LE 21 MAI 2013, avec beaucoup de retard à cause des pluies, que Damien Bonnet a descendu ses fils releveurs. Il espérait pouvoir le faire après un deuxième passage d'intercep. Cela n'a pas été possible.
Damien Bonnet s'étonne encore de son succès si rapide. À 30 ans, et cinq ans après son installation à la tête du domaine de Brin, 12 ha de vigne dont 10 en production à Castanet, dans le Tarn, il a réussi son pari. Il est devenu vigneron indépendant et valorise bien ses vins. Il vend 100 % de sa production en bouteilles. Ses prix vont de 6,50 à 12 euros par col pour les secs et de 14 à 28 euros les 50 cl de vins doux. Dès son premier millésime en 2008, il crée sept vins (trois rouges, trois blancs et un rosé sec) et se positionne sur la moyenne haute de l'appellation Gaillac en termes de prix. Les clients l'encouragent. Ils sont contents de voir un jeune passionné sortir de la cave coopérative, miser sur les cépages typiques de Gaillac, s'engager dans la culture biologique et intervenir le moins possible au chai. Sa démarche et ses vins répondent à une forte demande. Et ce tout jeune domaine est rapidement salué par la presse.
« J'écoule toute ma production sans avoir trop démarché, faute de temps, commente Damien Bonnet. Mes rendements sont faibles, avec une moyenne de 25 hl/ha, mais je réalise le même chiffre d'affaires que si j'avais des rendements plus élevés avec une partie vendue en fontaines à vins. »
Son projet de reprise du domaine familial a lentement mûri. Au cours de son BTS vitioeno, il rencontre des vignerons qui lui montrent des façons de travailler « qui ne sont pas enseignées à l'école », précise-t-il. Par exemple, ne pas soutirer après la malo, ne pas levurer ou employer un minimum de SO2.
En 2005, en prévision de son installation, il plante 1 ha de braucol et adhère comme cotisant solidaire à la MSA. En 2008, avec Jean-François, son père, il sort 5 ha de la cave coopérative. Puis, au départ à la retraite de celui-ci, en décembre 2011, il reprend les 6 ha restants alors que le domaine était en coopérative depuis 1982.
Damien Bonnet dispose d'un vignoble d'un seul tenant autour du domaine. Il cultive une majorité de cépages typiques de Gaillac (duras, braucol, mauzac et loin de l'œil) ainsi que du cabernet sauvignon, de la syrah, du merlot et du gamay. L'an prochain, il replantera 2 ha, en priorité des cépages blancs, dont il manque, – ondenc, loin de l'œil et mauzac – et du prunelard, un cépage noir du Sud-Ouest. La même année, il arrachera son hectare de gamay pour le remplacer par du mauzac, destiné « aux bulles » qu'il élaborera selon la méthode gaillacoise. Il atteindra ainsi sa vitesse de croisière en 2017. « Je ne m'agrandirai pas davantage », assure-t-il. Il privilégie la qualité et une meilleure valorisation.
Damien a officiellement démarré la certification en agriculture biologique en 2011. Afin d'avoir des vins « qui ont davantage de caractère », il favorise la vie des sols en laissant un enherbement naturel. En 2012, il teste un semis d'engrais vert, un mélange de féverole et d'avoine, un rang sur deux. Il travaille le sol entre les ceps. Ses choix induisent une baisse des rendements, mais il ne le regrette pas. Depuis, ses vignes sont « plus aérées et les raisins mûrissent bien et pourrissent moins », affirme-t-il.
« Pour travailler en bio, il est indispensable d'avoir une capacité d'intervention rapide, ditil. Je traite les 10 ha en 4 heures, lavage et rangement de mon pulvé Tecnoma Vectis inclus. » Il suit les avertissements « spécial bio » de la chambre d'agriculture. L'année dernière, il n'a pas eu de mildiou sur grappes, « contrairement à d'autres vignerons qui étaient en conventionnel », soutient-il. Il a réalisé sept traitements sur la campagne. Cette année, il en a déjà effectué autant en raison des conditions climatiques déplorables. Mais il n'a pas de taches de mildiou. À la vigne, il a aussi renoué avec les vendanges manuelles délaissées par son père. Il attend « la pleine maturité des peaux » pour récolter.
« Ces progrès à la vigne demandaient un suivi logique à la cave », poursuit-il. Aussi intervient-il le moins possible. Il ne levure pas. Il fait cuver deux de ses rouges pendant quinze jours et le troisième, la cuvée haut de gamme Brin de temps, pendant vingt-cinq jours. Puis il les élève entre seize et vingt-deux mois. Les uns passent en barriques de quatre à huit vins où ils sont élevés sur lies, les autres vieillissent en cuve. Ils ne sont ni filtrés ni collés, « la durée de l'élevage facilitant une clarification naturelle », explique-t-il. Il sulfite extrêmement peu, que ce soit à l'encuvage, (0,5 g/hl) pour sélectionner les levures, ou à la mise (1 g/hl pour les rouges et 2 g/hl pour les blancs).
Actuellement, pour pallier son manque de blanc et pour se démarquer, il élabore un étonnant rosé moelleux (140 g/l) de cabernet sauvignon en vin de France, « car dans la région, nous n'avons pas de demi-secs en appellation », déplore-t-il.
En 2012, il a débuté la production d'un vin pétillant doux, non levuré, à base de gamay. Il le vendra 12 euros. Il a également créé deux monocépages : un braucol et un duras. « Je produis dix vins au total. Ce sera compliqué d'en avoir autant en dégustation », commente-t-il. Pour le packaging, les étiquettes et le site internet, il fait appel aux connaissances de son beau-frère, photographe professionnel. Ce dernier fournit tous les visuels de sa communication.
Pour réaliser sa cave, Damien Bonnet a acheté du matériel d'occasion : pressoir Vaslin de 22 hl, petites cuves en inox et en fibre de verre à chapeaux flottants de 10 à 80 hl, érafloir PMH d'un bon débit et benne élevatrice. L'an passé, il attaque de gros travaux. Il isole et rénove les anciens chais et bâtiments de son grand-père qui vendait son vin en vrac. Il aménage trois chais : un de vinification pour les rouges, un d'élevage pour les rouges et un pour les blancs et rosés. Il aménage également un local de stockage où il entrepose et étiquette les bouteilles tirées-bouchées par la Cuma du Gaillacois au printemps. Ces investissements et travaux s'élèvent à 100 000 euros.
À la vigne, son père était équipé. Damien Bonnet a repris son matériel, sauf la machine à vendanger Braud SB64, un automoteur qu'il utilisait pour traiter et qu'il a revendu. Il a racheté un tracteur vigneron et un pulvérisateur Tecnoma Vectis.
Sur le plan commercial, il place d'abord ses vins localement, dans des bars à vins dynamiques et des restaurants étoilés qui mettent les vignerons en valeur. « Grâce à eux, j'ai bénéficié d'un bouche à oreille. Il m'a d'abord amené une clientèle locale puis des acheteurs d'autres régions », résume Damien. D'autant que le domaine est très bien situé entre Cordes et Albi, deux villes très touristiques. Pour accueillir les visiteurs, il a aménagé un caveau de dégustation façon bistrot, en mettant en valeur un vieux four à pain.
En 2011, trois importateurs américains et un allemand le contactent directement. Il prend un agent à Paris. Il participe à quatre ou cinq salons par an, dont deux consacrés au vin naturel en Corrèze et à Paris, bien qu'il ne souhaite pas « s'enfermer dans une clientèle spécialisée en la matière. Mes vins sont aussi appréciés pour leurs qualités propres », revendique-t-il. La preuve ? En 2008, sa cuvée Anthocyanes obtient une médaille d'or au concours des vins de Gaillac.
Un jour, son voisin du domaine de Labarthe lui propose d'intégrer l'association Terre de Gaillac, regroupant onze vignerons et un distillateur. Cette association organise des dégustations auprès des professionnels et des journalistes. Après l'une d'entre elles, celui qui a déjà obtenu des articles dans « La Revue du vin de France », « Le guide Bettanne & Desseauve » et « Le guide Hachette », en décroche aussi dans la presse généraliste.
Sa femme Cathy, partie prenante du projet depuis le départ, l'épaulera sur le domaine après la naissance de leur second enfant, attendue à l'automne. Elle gérera les volets administratif et comptable. « Petit à petit, avec la reconnaissance, je prends de l'assurance, analyse Damien Bonnet. Le plus difficile a été de me lancer dans l'inconnu, d'avoir le courage de travailler vraiment le vin à mon idée et surtout d'avoir pris le risque d'y aller. Je suis très content de l'avoir fait. Mais je n'oublie pas que tous les ans, je repars à zéro. »
Le Point de vue de
CE QUI A BIEN MARCHÉ
Il est très content de ses choix d'investissement et de s'être bien équipé à moindre coût. En 2012, il a réhabilité trois bâtiments existants pour y aménager trois chais fonctionnels, faciles à nettoyer. Après cette première année de fonctionnement, il en est très satisfait. « Je vais sans doute découvrir les inconvénients à l'usage », précise-t-il. Il a acheté d'occasion tout son matériel de cave et ce qui lui manquait pour la vigne.
Le Point de vue de
CE QU'IL NE REFERA PLUS
Il a recouvert de résine epoxy trois cuves en ciment (170 hl au total) datant de l'époque de son grand-père. « En fait, j'aurais dû les casser et m'équiper de petites cuves en inox à la place. Cela ne m'aurait pas coûté plus cher et aurait été beaucoup plus fonctionnel. Mais je trouvais que c'était plus compliqué. Finalement, je vais le faire. »
Début février 2012, il a épandu du fumier de vache sur 3 ha à la dose de 15 tonnes par ha. Cette opération a occasionné un tassement des sols et a abîmé le tour des vignes. Il ne le refera plus de cette manière.
Le Point de vue de
« Se positionner en terme de prix de vente est un risque à prendre, reconnaît Damien Bonnet. Je l'ai fait de manière logique, en tenant compte de mes coûts de revient mais sans réaliser un calcul comptable poussé. » En 2009, sa première année de vente, il lance six vins secs entre 5 et 12 euros le col et un liquoreux à 28 euros les 50 cl. Dès la deuxième année, il corrige le tir. Il augmente son rosé de 30 % (de 5 à 6,50 euros) et son entrée de gamme rouge de 25 % (de 6 à 7,50 euros). En 2012, il augmente son blanc sec Pierres blanches de 9 à 10 euros. « J'ai de faibles rendements et je ne lésine pas sur la qualité des matières sèches, bouchons et bouteilles », justifie-t-il. Il se demande aussi si les prix des trois cuvées de rouge ne sont pas trop proches et s'il n'aurait pas dû étaler davantage la fourchette pour aller de 7,50 à 15 euros au lieu de 7,50 à 12 euros. Sans doute vendra-t-il à 15 euros l'une des deux cuvées monocépages, braucol et duras, qui sortira en 2014.