LAURENT ET ESTELLE BENOIST vendent un peu plus de la moitié de leurs bouteilles dans leur caveau spacieux au décor rustique. Ils réalisent une autre part importante de leurs ventes sur des salons grand public. Estelle actionne un minipressoir qu'elle montre aux enfants pour les intéresser au métier.
CE RANG DE SAUVIGNON n'a reçu aucun traitement depuis sa plantation, conformément à un essai conduit avec la chambre d'agriculture, et la vigne est parfaitement saine. Laurent Benoist travaille en lutte raisonnée et cherche à réduire les doses de phytos. PHOTOS F. BAL
DES ATELIERS TRÈS LUDIQUES pour les enfants sont animés par Estelle Benoist. Ici, dans un coin du caveau, elle fait découvrir des arômes à Manon, 8 ans, en vacances avec ses parents. Le domaine est référencé dans un guide, « Les p'tits curieux », édité par le Comité départemental du tourisme de Loir-et-Cher.
« Nous ne sommes pas encore sur une véritable valorisation de nos vins, mais nous avons redressé notre entreprise », constatent Laurent, 42 ans, et Estelle Benoist, 39 ans, à la tête du domaine du Vieil Orme, à Saint-Julien-de-Chédon, dans le Loir-et-Cher. En une dizaine d'années, leur chiffre d'affaires par hectare en production a plus que doublé, passant de 5 950 à 13 200 euros, alors que leur surface de vignes en production a diminué de moitié. Leur domaine compte 12 ha de vigne dont dix en production, contre vingt en 2002. En année normale, ils produisent 620 hl de vin dont ils vendent 80 à 90 % en vrac au négoce. Ils tirent environ 15 000 cols par an destinés à 90 % aux particuliers, vendus entre 5,95 et 8,70 euros (hors liquoreux).
Lorsqu'en 1993, Laurent s'installe en Gaec avec ses parents, Danielle et Michel, rien ne laisse présager les difficultés à venir. Ils livrent alors leur production en coopérative. En 2002, alors qu'Estelle vient de rejoindre son époux sur le domaine, ils se rendent à l'évidence : les comptes sont dans le rouge. Le couple décide de quitter la coopérative pour mieux valoriser ces vins. « Si nous ne l'avions pas fait, nous aurions déposé le bilan », souligne la jeune femme.
« L'engagement quinquennal nous obligeait à attendre 2007 pour ne pas perdre les parts sociales, poursuit Laurent. À partir de 2004, nous avions le droit de vinifier et de vendre 20 % de notre production nous-mêmes. C'est ce que nous avons fait. » Ils empruntent et investissent 150 000 euros dans un pressoir pneumatique Schneider de 40 hl, une benne élévatrice Schneider de 50 hl, des cuves en résine époxy et une thermorégulation mobile. « La banque nous a bien suivis », commente Laurent.
Ils créent deux blancs et deux rouges. Ils tirent 3 000 bouteilles qu'ils mettent en vente entre 3,70 et 4,10 euros le col et cèdent le solde au négoce. C'est un moyen de démarrer en douceur. Ils livrent également du moût à la coopérative et non plus des raisins, ce qui augmente leur chiffre d'affaires.
En 2005, ils élaborent un liquoreux, Clé de phi, à base de chardonnay. L'année suivante, ils créent un crémant de Loire et leur premier sauvignon haut de gamme, plus mûr, plus concentré : la cuvée A capella, alors vendue 4,90 euros (5,95 euros en 2011).
Deux ans plus tard, c'est le grand saut. Pour la première fois de sa vie, Laurent vinifie toute sa récolte, soit environ 1 100 hl. Il tire 15 000 bouteilles, soit 10 % de la récolte. « Nous avons démarré sans clientèle et sans trésorerie. Nous avons investi et acheté les matières sèches avant de vendre quoi que ce soit, ce qui a généré un stock sur lequel nous avons été fiscalisés », explique Estelle. Le démarrage a été rude ! D'ailleurs, ils ont aujourd'hui un stock de 40 000 bouteilles.
« À l'automne, après les vinifications, j'ai participé à des salons tous les week-ends, relate Laurent. Le Festival de Loire, à Orléans (Loiret), désormais remplacé par un salon professionnel, nous a propulsés. Il nous a amené une clientèle qui nous a suivis. » De plus, « un excellent courtier » leur ouvre les portes d'un partenariat durable pour le vrac.
Il y a cinq ans, ils établissent une gamme qui présente une originalité : les douze vins qui la composent ne sont pas produits chaque année. « Je ne m'entête pas à reproduire mes vins tous les ans », affirme Laurent. Il décide de la destinée des raisins selon le potentiel du millésime. Les belles années, il élabore son sauvignon A capella, « des rouges sur la concentration », et un chardonnay tendre (5 g/l de sucre) qui séduit sa clientèle parisienne. Les années moins faciles, en moyenne une sur deux, il élabore 10 000 bouteilles de bulles : un touraine rosé effervescent et un crémant de Loire. « Mes clients comprennent bien cette façon de travailler », soutient Laurent.
Les Benoist s'apprêtent maintenant à commercialiser leur première cuvée de touraine-chenonceaux 2012, un blanc à base de sauvignon. Ils en ont produit 3 000 bouteilles pour 30 ares revendiqués. Elle remplace leur haut de gamme A capella, avec un bond de 35 % en terme de prix, à 8 euros.
En rouge, leur cuvée Velours d'automne, assemblage de cot et de cabernet, sera dans le futur remplacée par le touraine-chenonceaux avec la même évolution tarifaire. Mais pour l'instant, ils doivent patienter. Laurent a renoncé à revendiquer la dénomination en 2011 et 2012. « La maturité phénolique n'était pas complètement au rendez-vous », dit-il.
Le couple attend énormément de cette nouvelle dénomination rappelant le prestigieux château de Chenonceaux (Indre-et-Loire). Il compte en vendre 40 000 bouteilles d'ici à cinq ans, rouge et blanc confondus. Grâce à elle, il entend « basculer dans le haut de gamme » et réduire la surface de vigne à 8 ha à l'horizon 2018. Depuis dix ans, les Benoist restructurent leur vignoble dans ce but. Ils ont d'abord remplacé 4 ha de gamay par du cot, le cépage historique de la région, et arraché définitivement 2 ha de gamay. Ils ont planté 3 ha de cabernet franc, de sauvignon et de chenin, les premiers pour le touraine-chenonceaux, le troisième pour les effervescents. En 2007, ils prennent la « difficile décision » de vendre 6 ha de vigne mis en place par les parents de Laurent, une opération qui ne sera réalisée qu'en 2010. « Mon père était parti à la retraite en 2005, indique Laurent. Quand nous avons fait les comptes, on ne s'y retrouvait pas. Et cela me dégageait du temps pour le commerce. »
Laurent s'attelle également à améliorer la qualité des vins en passant « d'un profil négoce » à un profil « pour les particuliers ». Depuis 2009, il pratique la micro-oxygénation sous marc et pendant l'élevage de ses rouges afin de les arrondir. Il compte développer les vendanges manuelles, même si, pour l'instant, ce n'est pas encore une réalité. Il va également construire un nouveau bâtiment, un chai isolé et climatisé, ce qui n'est pas le cas actuellement.
Estelle gère bénévolement l'administratif, la comptabilité et le marketing. Elle a réalisé le site internet du domaine. Malgré cet engagement, elle se revendique avant tout « maman de deux garçons ». « Financièrement, la société – une EARL – n'aurait pas pu porter un salaire en plus, commente-t-elle. La priorité, c'était de la remettre sur les rails. »
Elle travaille sur l'oenotourisme, second pilier de leur projet de développement. Elle propose notamment « des ateliers juniors » pour faire découvrir la vigne et le métier de vigneron aux enfants, jusqu'aux « petits bouts de chou » de 3 ans. Pour faire connaître cette spécificité, elle est référencée dans le guide « Les p'tits curieux », édité par le Comité départemental du tourisme de Loir-et-Cher. Ces ateliers se déroulent dans une salle spécialement aménagée avec du matériel miniature (pressoir, tireuse et boucheuse). Ils durent une heure trente. Matériels et documents à l'appui, elle leur explique comment le vin est fabriqué. Les enfants sont ravis. Naturellement, après l'atelier, les parents dégustent et achètent des vins. Laurent et Estelle comptent poursuivre dans cette voie avec « de gros projets : l'aménagement d'une salle pour accueillir les groupes et la création d'un parcours ludique et pédagogique dans les vignes », s'enthousiasment-ils.
« L'oenotourisme et les salons, c'est ce qui nous apporte le plus humainement, poursuit Laurent. Mais le vrai succès, c'est qu'avec ma femme, nous avons redressé l'entreprise. Désormais, nous espérons transmettre notre domaine avec les valeurs qui nous sont chères. »
Le Point de vue de
CE QUI A BIEN MARCHÉ
Ils sont fiers de ne pas avoir baissé les bras, « d'y avoir cru tout le temps et d'avoir investi énormément même si cela a été dur », disent-ils.
L'aboutissement de la dénomination Touraine-Chenonceaux pour le millésime 2011 « est une belle réussite collective », estiment-ils.
Les ateliers juniors destinés aux enfants à partir de 3 ans marchent très bien. « Dès la première année, en 2010, ils ont permis de développer la fréquentation du caveau et les ventes estivales. »
Le Point de vue de
CE QU'ILS NE REFERONT PLUS
« En 2009, nous sommes partis à l'assaut de l'export en participant à un salon de deux jours aux Pays-Bas, témoigne Laurent. Nous y avions deux ou trois contacts. Nous avons renforcé nos liens avec eux, mais n'avons gagné aucun nouveau client. J'ai voulu aller trop vite. J'aurais dû préparer ce salon minutieusement en réalisant un mailing ciblé avant sa tenue ou en me rendant avant dans le pays pour y effectuer des repérages. »
En 2007, ils ont vendu environ 200 bibs de 5 litres à 16 euros. La valorisation n'était pas suffisante et la clientèle pas très intéressée. Ils ont arrêté.
Le Point de vue de
« Attention au choix des agences marketing », préviennent-ils. Il peut tourner au casse-tête. En 2007, le sommelier d'un restaurant étoilé leur fait prendre conscience que l'habillage de leurs vins n'est pas à la hauteur du standing qu'ils souhaitent leur donner. L'année suivante, ils décident de revoir leur packaging, leur logo et leur identité visuelle. Ils élaborent eux-mêmes un blason très personnel. Au centre, ils placent la lettre phi, symbole du nombre d'or et de l'harmonie. Elle est encadrée par un taureau et un lion, leurs signes astrologiques respectifs. Ils couronnent le tout d'une fleur de lys, symbole de la royauté et du Val de Loire. Puis ils sollicitent une agence marketing. « Elle n'a pas écouté. Notre demande était pourtant très précise et écrite, relate Estelle Benoist.
Elle nous a fait des propositions qui ne nous correspondaient pas du tout, comme l'emploi de bouteilles bordelaises violettes. » Ils ont donc fait appel à une seconde agence et… rebelote ! Elle leur renvoie qu'ils « n'ont ni l'œil, ni l'esprit artistique ». Ils ont le plus grand mal à obtenir de cette agence qu'elle fasse ce qu'ils désirent, mais ils ont tout de même déboursé 15 000 euros !