C'était la deuxième semaine de février 2012. Au petit matin, Serge Lazizzera se rend dans son vignoble de 6 ha à Bagnols-sur-Cèze (Gard). Le temps est très froid, la température glaciale. Le mistral souffle très fort. Apparemment, quelque chose cloche. La vigne ne pleure pas comme elle le fait normalement à cette période. « Les semaines précédentes, la température était douce. Le froid est venu subitement. La sève était dans les souches. Elle n'a pas eu le temps de réagir », analyse-t-il.
Les semaines passent. Le viticulteur se fait du mouron : rien ne pousse dans les vignes, à peine quelques feuilles ici et là. Le gel a fait son œuvre. Sur 6 ha, cinq sont touchés. 75 % des grenaches, 70 % des carignans et 15 % des syrahs sont morts du gel. Il faut dire que ses vignes étaient âgées. Résultat, il ne vendange que 10 tonnes, contre 45 habituellement. Il est loin des 300 hl qu'il apporte chaque année à la cave coopérative de Chusclan (Gard). Heureusement, depuis son installation en 1966, il s'est toujours assuré contre le gel. Une cotisation annuelle de 600 euros avec une franchise de 15 %. « Ma vigne est d'un seul tenant. S'il arrive une catastrophe climatique, je perds tout », affirme-t-il.
Cela ne résout pas le problème de fond : Serge Lazizzera a 72 ans. Le moment de tout arrêter ? C'est mal le connaître. Il cultive ses vignes depuis 1966 tout en ayant été chaudronnier jusqu'à sa retraite. « J'aime mes vignes. Elles avaient 70 ans. Elles étaient belles. J'y étais viscéralement attaché, comme à la terre qui me permet d'être libre, de mener mon entreprise comme je l'entends, même si c'est un travail ingrat », confie-t-il. Après les vendanges, pendant des nuits entières, il réfléchit au problème. Le 26 décembre, sa décision est prise : il va tout arracher et replanter. « Arrêter, laisser la vigne mourir en friche, c'était impossible pour moi. Il faillait qu'elle vive. »
Pour arracher et replanter, il lui faut 20 000 €/ha. Pour financer la replantation, il pourra compter sur l'aide à la restructuration du vignoble. Mais en attendant de la toucher, il a dû avancer l'argent. Toutes les économies du couple y sont passées. Pas de prêt bancaire : Serge Lazizzera est trop âgé pour en obtenir un.
Pour vivre, en attendant que les nouvelles vignes produisent, il pourra s'appuyer sur sa retraite d'ex-salarié et sur celle de Lisette, son épouse. Le couple se serre la ceinture. Plus question de faire de petites escapades ici et là.
En mars dernier, une entreprise est venue arracher les 5 ha de vignes et défoncer le terrain. Elle a mis les ceps en tas, 102 exactement, qu'il a brûlés. « J'ai vu mourir mes vignes et moi avec. Mais je me suis relevé », assure-t-il. Le choc passé, il griffe la terre pour préparer la nouvelle plantation.
En avril, un prestataire a planté 21 500 pieds. Serge Lazizzera en profite pour apporter des améliorations : abandon du gobelet au profit du palissage et augmentation de la densité ainsi que de la proportion de syrah. Dans quatre ans, il pourra à nouveau vendanger ses vignes en Côtes du Rhône.
« Ne jamais baisser les bras »
À 73 ans, Serge Lazizzera a fait face à l'incompréhension. L'artisan venu arracher ses vignes n'a pas pu s'empêcher de lui lancer : « Recommencer à votre âge, mais vous êtes timbré ! » Pas de quoi l'ébranler. Il aimerait que son expérience serve d'exemple. « J'aime cette terre, j'aime mon travail, je ne peux pas faire autrement. Je souhaite que ma décision d'arracher et de replanter encourage les jeunes viticulteurs qui peuvent douter de ce métier. Il ne faut jamais baisser les bras. C'est un principe de vie. » Serge Lazizzera ne regrette pas sa décision, même s'il se rend compte que c'est beaucoup de travail d'entretenir autant de jeunes vignes. Reste qu'il se sent seul. « Ma fille est professeure. Mon fils travaille dans l'informatique. Ils ne mettent pas les pieds dans les vignes. Les collègues, eux, ont le nez dans le guidon. »