SANDRA GOFFRE, le maître de chai du château Faugères, a fait installer le logiciel de traçabilité de la société H&A sur l'ordinateur de son bureau.
LE MAÎTRE DE CHAI scanne le QR code d'une barrique pour connaître les opérations réalisées sur le vin qu'elle contient.
En entrant dans le chai du château Faugères, grand cru classé de Saint-Émilion (Gironde), on sent que tout est fait pour assurer la qualité. À gauche, un trieur optique Vistalys R2, à droite, un érafloir Delta Oscillys : le domaine investit dans du matériel haut de gamme. Le chai est sur plusieurs étages pour pouvoir travailler par gravité. Un autre gage de qualité. Dans le même esprit, l'équipe technique du domaine s'est dotée d'un système de traçabilité permettant « un suivi précis des opérations effectuées sur les barriques », affirme Sandra Goffre, le maître de chai.
C'est la société H&A, leader de la location et de la gestion de parc de barriques, qui a mis au point et installé le dispositif. En janvier 2013, elle estampille les 1 200 barriques du château avec un QR code. Elle lui fournit un lecteur portatif pour lire ces codes et le logiciel de traçabilité. Elle installe ce programme sur l'ordinateur de Sandra Goffre, dans son bureau, au premier étage du chai. « Nous avons passé du temps à le mettre en place ensemble, se rappelle-t-elle en regardant Nicolas Tesseron, responsable du développement des services chez H&A, mais il est très intuitif. »
Puis Sandra Goffre prend la souris et ouvre une première fenêtre : c'est le plan du chai. « Toutes les barriques grises sont vides, les marron sont pleines », indique-t-elle. Elle clique sur l'une d'entre elles pour consulter ses caractéristiques telles que la tonnellerie, la contenance, le type et le milllésime de la barrique, ainsi que le vin qu'elle contient.
Elle explique ensuite qu'il est possible de rechercher et de localiser chaque lot de vin : « Par exemple, je cherche toutes les barriques contenant du vin du lot F11- et voilà ! Elles apparaissent en rouge sur le plan de chai. » L'ouvrier qui doit réaliser une opération sur ce lot n'a plus qu'à imprimer le plan. « Sur certains millésimes, nous avons énormément de lots. Avec ce système, la personne sait où sont les barriques. Elle ne passe pas un quart d'heure à tourner dans le chai avant de les trouver. »
Le maître de chai poursuit sa démonstration en ouvrant une nouvelle fenêtre. Un planning s'affiche à l'écran. Dans la colonne correspondant au mardi 10 septembre, il est écrit : « Sandra Goffre a sorti du lot F-12-ME-45 la barrique 1 039. » L'information apparaît en vert car l'opération a été effectuée. Si la technicienne avait planifié un travail pour ses ouvriers, il serait apparu en rouge sur l'écran. Il serait resté de cette couleur jusqu'à ce qu'il soit réalisé.
Troisième possibilité sur l'écran d'accueil : « Pour savoir ce qui a été effectué sur un lot, je vais sur le tableau statistique, je clique sur le numéro du lot et j'obtiens l'historique de toutes les opérations », poursuit-elle.
À côté de l'ordinateur, le lecteur de code-barres de marque Honeywell est posé sur un socle, relié à l'ordinateur par un port USB. Cet appareil ressemble à une grosse télécommande avec un écran tactile. « C'est ce qu'ils utilisent chez Amazone, Darty ou La Poste pour scanner des produits ou des courriers », atteste Nicolas Tesseron. Ce lecteur a dix heures d'autonomie. « Nous ne sommes jamais tombés en panne de batterie », rapporte Sandra Goffre. Il est muni d'une petite sangle qui permet de le porter à la ceinture. « Moi, je le garde à la main ou je le pose sur un petit chariot », précise le maître de chai.
Pour montrer la simplicité du procédé, Sandra Goffre saisi le lecteur et nous invite à la suivre. Elle prend un ascenseur pour descendre au chai à barrique. Elle s'arrête devant un premier lot. Les barriques sont installées sur le système Oxoline, sur deux étages. « Admettons que je veuille sulfiter une seule de ces barriques, ce qui peut arriver pendant les fermentations malolactiques », suggère-t-elle. Elle prend alors le stylet du lecteur et clique sur l'onglet Gestion à la barrique, puis sur « Ordre et opération ». Elle scanne ensuite le QR code de la barrique. Et celle-ci apparaît sur l'écran de l'appareil. « Après, je choisis une action. Là, je clique sur "Sulfitage". » Puis elle choisit dans un sous-menu déroulant entre « Gaz », « Liquide » ou « Pastille ». « Si c'est des pastilles, je rentre la quantité que j'ai mise et je valide. Et hop, c'est fait », se réjouit-elle. La date et l'heure de l'intervention sont enregistrées automatiquement.
Elle peut même noter les problèmes rencontrés sur une barrique. Dans un menu déroulant prévu à cet effet, il est possible d'indiquer les défauts oxydatifs, réductions, phénols, acétates ou autres rencontrés lors de la dégustation d'une barrique. En sélectionnant ce qui convient, elle peut même noter l'intensité du défaut et ajouter un commentaire libre, comme pour chaque dégustation. « Même les résultats d'analyses pourront être insérés », assure Nicolas Tesseron.
Poursuivant sa démonstration, le maître de chai scanne le QR code d'une barrique au hasard. « Ça me donne toutes les opérations réalisées sur cette barrique. À quel lot elle appartient, quel jour elle est entrée dans le lot, quand nous l'avons ouillée », commente-t-elle. En pratique, Sandra Goffre n'enregistre pas ses interventions au fur et à mesure de leur réalisation. « Par exemple, lors d'un ouillage, je scanne les barriques après avoir terminé d'ouiller toute une ligne », détaille-t-elle. Le soir, en finissant sa journée, elle repose le lecteur de QR code sur son socle. Toutes les informations qu'il a enregistrées sont synchronisées en trois à quatre minutes avec l'ordinateur.
Le système de traçabilité de la société H&A n'a « pas changé ma vie, car je me souviens de ce que je fais dans mon chai, mais il permet une traçabilité plus précise », ajoute la technicienne. Il est simple d'utilisation, « sans cela je n'en voudrais pas. J'ai cinq chais, des lots à n'en plus finir, beaucoup de travaux à réaliser sur les vins. Notre objectif, c'est de garder une trace de ce que nous réalisons. Quand on prend des notes sur un cahier, on ne les relit jamais. C'est mieux de les avoir sur un support informatique. À terme, nous aurons des statistiques. Elles me serviront pour voir quel tonnelier ressort ou quel type de chauffe se révèle mieux que les autres à la dégustation… Plutôt que de trancher au feeling ».
Un élevage en barrique de 12 à 18 mois
Au château Faugères, les barriques sont remplies par gravité après les écoulages. « L'élevage se fait par lot avec des durées et des boisés adaptés à nos différents vins », indique Sandra Goffre, maître de chai. En général, ils sont élevés entre douze et dix-huit mois avec un maximum de 65 % de bois neufs. « Le nombre de souffrages est décidé en fonction des besoins, mais c'est au moins deux et au maximum quatre », ajoute-t-elle.
Des dégustations régulières sont réalisées plusieurs fois dans l'année avec l'œnologue conseil Michel Rolland. Le premier vin du château Faugères coûte 35 euros TTC et le second vin 22 euros TTC, prix particuliers.
Un système simple à mettre en place
Alors que son système de traçabilité est opérationnel depuis neuf mois au château Faugères, la société H&A se prépare à le commercialiser exclusivement auprès de ses clients. H&A loue environ 320 000 barriques à plus de 900 domaines en France. Ce qui représente 40 % du parc de barriques français. Pour l'installer, elle passera bientôt dans les chais afin d'estampiller toutes les barriques avec un QR code et une étiquette indiquant le lot du vin. Elle numérisera le plan du chai, puis y enverra des inventoristes. « Leur métier, c'est de faire de l'enregistrement, explique Nicolas Tesseron, responsable du développement des services chez H&A.
Ils vont scanner toutes les barriques et les insérer dans le logiciel de traçabilité. Deux inventoristes enregistrent jusqu'à 250 barriques par jour. Quand tout cela est fait et que nous avons corrigé les erreurs, nous livrons le produit au client. » Il comprend le lecteur, une imprimante pour imprimer les étiquettes de lots et le logiciel de traçabilité. H&A installe ce dernier « sur l'ordinateur des clients. Nous ne travaillons pas sur de l'extranet, ni sur du cloud, ajoute Nicolas Tesseron. Nous pouvons également installer le logiciel sur un serveur. Ensuite, il faut environ deux heures pour le prendre en main ». À partir de combien de barriques un viticulteur a-t-il intérêt à s'équiper avec ce système de traçabilité ? La réponse n'est pas très précise. « Pour un viticulteur qui a 200 barriques avec un renouvellement de 60 barriques par an, je ne suis pas convaincu de l'utilité, avoue Nicolas Tesseron. Cependant, s'il a 200 barriques dans quatre chais différents, ça peut avoir un sens. » La société H&A n'est pas plus claire sur les tarifs qu'elle appliquera. D'après des calculs réalisés par le président Richard Hardillier, le coût de revient de son système représente « entre 2 % et 3 % du coût de l'élevage en barrique ».