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DOSSIER - La viticulture solidaire et généreuse

Les ressorts invisibles de l'entraide

AURÉLIA AUTEXIER - La vigne - n°258 - novembre 2013 - page 30

Faut-il voir dans ce comportement altruiste un simple geste naturel, quasi réflexe, ou une pratique sociale acquise par apprentissage ? Autant de questions auxquelles la psychologie, la sociologie et les neurosciences apportent chacune leurs réponses.

Pourquoi aide-t-on une personne dans le besoin ?

Tout simplement pour rendre service. C'est ce que dit le bon sens. Certes… Mais les mécanismes humains en jeu sont plus compliqués qu'il n'y paraît, comme l'explique la sociologue Ségolène Petite, maître de conférences à l'université de Lille (Nord) et auteure d'un ouvrage intitulé « Les Règles de l'entraide. Sociologie d'une pratique sociale ». « Si nous venons en aide à quelqu'un, c'est pour créer du lien avec elle ou lui démontrer ce lien », affirme-t-elle. En clair, le coup de main donné est un message signifiant à l'autre qu'il est important pour nous.

Mais, ajoute la jeune femme, « l'entraide obéit aussi à une logique de don contre don. En clair, elle n'est jamais gratuite. Toute sa complexité vient du fait que la logique de contrepartie ne doit pas être apparente, sinon elle empêche la création de lien, objectif premier de l'entraide ». Pour que cette logique reste floue, il faut plusieurs conditions. « D'abord, le retour ne doit pas être trop proche, dans le temps, de l'aide initiale, détaille Ségolène Petite. Ensuite, l'assistance attendue ne doit pas nécessairement venir de la personne initialement secourue. Et, enfin, le retour ne sera pas forcément de la même nature que l'aide apportée. »

Y a-t-il des conditions sociales nécessaires aux comportements d'entraide ?

Oui, et ces conditions sont plus nombreuses que pourrait le laisser penser l'apparente spontanéité d'un geste d'aide. Christine Chataigné, docteur en psychologie sociale et psychologue du travail, en énumère deux. « Quelle que soit la société dans laquelle nous nous trouvons, deux valeurs sont indispensables pour s'intéresser à autrui : la bienveillance et l'universalisme. Les deux se définissent comme le fait de se préoccuper du bien-être des autres, qu'il s'agisse de mes proches, du groupe auquel je m'identifie ou bien des êtres humains en général. À côté de ces valeurs favorisant l'aide, deux facteurs jouent au contraire un rôle inhibiteur : le sentiment d'insécurité et la poursuite du pouvoir. En clair, si une personne pense qu'elle court un risque, elle ne va pas aider. De même, les individus qui privilégient la domination sur autrui ou la compétition viendront moins souvent au secours des autres. »

L'éducation peut-elle favoriser l'altruisme ?

Oui. « De nombreuses études ont montré que, dès l'enfance, l'attitude parentale transmet des valeurs, positives ou négatives, encourageant ou non les comportements prosociaux. », relève Christine Chataigné. Quatre conduites parentales favorisent le développement de l'altruisme. En premier lieu, il faut exprimer de l'affection à l'enfant. Cela va le sécuriser et on sait combien le sentiment de sécurité est un préalable à l'aide. Ensuite, il est important que les parents aient eux-mêmes des conduites altruistes. Leur attitude aura ainsi valeur d'exemple. Il faut encore sensibiliser l'enfant à l'impact de ses actes. Enfin, il est essentiel de lui donner des occasions de se rendre utile. Il va ainsi intégrer qu'aider fait du bien aux autres mais aussi à soi.

Est-ce vrai qu'il est bon pour soi d'aider les autres ?

C'est prouvé scientifiquement : il existe un lien entre le bien-être personnel et l'aide à autrui. « L'impact se vérifie sur l'état psychologique mais aussi sur la santé physique, déclare Christine Chataigné. On sait, par exemple, que les personnes impliquées dans des actions de bénévolat sont moins sujettes aux dépressions. Une étude établit même un rapport entre le temps passé à faire du bénévolat et la rapidité à sortir d'une dépression. D'autres analyses indiquent qu'aider autrui diminue le stress, notamment en abaissant la pression artérielle. Pour finir, des chercheurs ont même montré que l'altruisme induit une qualité de vie meilleure et donc une durée de vie plus longue. »

Pourquoi sommes-nous capables de ressentir les difficultés des autres ?

Parce que notre cerveau les vit, en quelque sorte. En 1996, une équipe de chercheurs en neurosciences menée par Giacomo Rizzolatti, de l'université de Parme (Italie), met en évidence une nouvelle classe de neurones dans le cerveau des singes. Leur caractéristique principale est de s'activer aussi bien lorsque l'animal effectue une action que lorsqu'il observe un de ses congénères réalisant la même action. Cela revient à dire qu'une partie de soi se projette dans l'action exécutée par un autre que soi. Ces neurones aux propriétés miroirs existent aussi dans le cerveau humain. Non seulement ils s'éveillent à la vue d'une action, mais également à la vue d'une émotion. En 2003, une étude a ainsi montré que ressentir le dégoût ou être témoin d'une expression grimaçante de dégoût chez autrui active les mêmes neurones miroirs. D'autres recherches établissent, en outre, que l'observation d'images de visages heureux provoque une activité musculaire accrue au niveau du muscle zygomatique – celui qui permet de sourire – chez l'observateur.

Pourquoi cette découverte révolutionne l'analyse des comportements prosociaux ?

Parce qu'elle fournit une explication concrète à l'empathie, cette capacité de ressentir ce que l'autre éprouve et à réagir de manière adaptée. Pour simplifier, grâce aux neurones miroirs, lorsque nous voyons quelqu'un souffrir ou dans la difficulté, une partie de nous-même ressent ses difficultés. Comme nous voulons sortir de cette situation pénible, nous lui venons en aide.

Dernièrement, des études ont été menées sur des enfants autistes. Elles montrent qu'ils ont un déficit de leur système miroir. Il semble même que la sévérité de leur affection soit corrélée à celle de leur système neuronal miroir. Or, les autistes ont énormément de mal à comprendre les états d'âme des autres, à se mettre dans leur perspective. Reste à savoir si la défaillance d'empathie est la cause ou la conséquence d'un déficit de neurones miroirs.

Le contexte et l'environnement sont-ils importants ?

« Plus les valeurs individuelles prosociales sont intégrées, moins le contexte aura de l'influence. Ainsi, un individu doté d'un altruisme prégnant sera d'abord guidé par cet altruisme, y compris s'il est dans un contexte normatif défavorable à cette valeur », considère la psychologue Christine Chataigné. Autre élément à prendre en compte : l'importance du conformisme. « Quand une personne est très conformiste, elle va adopter le point de vue de son groupe et le faire sien. Son comportement d'aide correspondra alors à celui prôné par son groupe », poursuit la spécialiste.

Une chose est sûre, cette influence du collectif peut jouer à deux égards. « En principe, le fait d'appartenir à une communauté encourage la coopération. C'est une façon de se valoriser les uns les autres dans un but commun », poursuit-elle. Mais, à l'inverse, le groupe peut aussi avoir un impact défavorable sur l'aide dans la mesure où il tend à diluer la responsabilité. « Nous secourons moins si nous pensons que d'autres sont plus compétents que nous pour aider. Il est d'ailleurs prouvé que lorsqu'on est victime ou témoin d'un accident, il est préférable d'interpeller dans la foule une personne déterminée pour lui demander d'aller chercher du secours plutôt que d'appeler à l'aide tout le monde. Le fait de désigner cette personne va la sortir de l'anonymat et la faire se sentir responsable ».

Qui est le plus impliqué dans l'entraide et la solidarité ?

Ségolène Petite observe que l'aide se met en place suivant un certain mécanisme : « En premier lieu, c'est d'abord la famille qui intervient et souvent suivant une logique verticale. Les ascendants aident leurs descendants et vice versa. L'implication collatérale est possible, par exemple entre frère et soeur, mais c'est plus rare. Il existe aussi une entraide de sociabilité. Elle dépasse le cadre familial, mais obéit toujours à la même logique, à savoir la volonté de créer des liens. »

Homme et femme ont-ils les mêmes aptitudes à aider ?

L'empathie, comme le sens de l'entraide, n'a pas de sexe dans la mesure où il s'agit de qualités humaines. Toutefois, la sociologue apporte une précision : « Les femmes ont un rôle d'instigatrice des relations sociales. À ce titre, elles jouent souvent un rôle pivot en matière d'entraide, soit en apportant l'aide directement, par exemple en soignant une personne malade, soit en l'organisant, par exemple en coordonnant un déménagement. »

Est-on plus secouru en campagne qu'à la ville ?

C'est une idée fréquemment répandue : les campagnards sont plus solidaires que les citadins. Sur ce sujet, la sociologue estime que cela peut s'expliquer par un souci de protection face aux nombreuses sollicitations rencontrées en ville. « Dans un environnement urbain, je ne peux pas interagir avec tout le monde, constate Ségolène Petite. Je suis donc obligée de me protéger. Dans une communauté plus réduite, comme il y a moins de sollicitations, je peux me permettre d'être plus à l'écoute des autres. Et comme il y a moins d'anonymat à la campagne, je me sens plus impliquée vis-à-vis des autres. »

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